jeudi 24 février 2022

«C'est le Québec qui est né dans mon pays!» d'Emmanuelle Dufour

 «C'est le Québec qui est né dans mon pays!» Carnet de rencontres, d'Ani Kuni à Kiuna  Emmanuelle Dufour  Collection Ricochets Écosociété 176 pages


Résumé:

Lors d'un voyage en Nouvelle-Zélande, Emmanuelle Dufour se fait poser une question somme toute innocente par une petite fille: connais-tu les premiers peuples de ton pays.  Pour elle qui a parcouru la planète à la rencontre des peuples autochtones a ressenti un choc: elle ignorait tout de ceux qui vivaient sur la terre où elle a elle-même grandi.  Décidée à combler cette lacune, elle se lance dans la découverte des Premières Nations du Québec, une trajectoire qui soulèvera de nombreuses questions sur son propre nationalisme québécois.

Mon avis:

Au départ un mémoire de maîtrise, ce récit a volontairement été rédigé en bandes dessinées et c'est une grande force. Parce que l'iconographie y occupe une place très importante.  Dans l'une des pages, elle dessine tous les personnages ''indiens'' qui ont peuplé notre imaginaire d'enfants occidentaux: Pocahantas, Yakari, Astérix chez les Indiens, le personnage des chips YumYum et combien d'autres qui ont influencé notre imaginaire face aux Premières Nations. Des images qui sont soient fantaisistes, soient fortement stéréotypés, parfois mêmes racistes de ces peuples. Le fait de mettre toutes ces images les unes à côté des autres donne une idée de l'ampleur de cet imaginaire construit.  Le reste de l'album sera consacré à aller voir de l'autre côté de la barrière, à donner la parole à ceux que l'on a trop souvent décrits à leur place.

Ce qui est particulier, c'est qu'elle fait des liens entre l'éveil des Premières Nations à la fierté d'être ce qu'ils sont et le mouvement nationaliste québécois.  Ce qui soulève en elle de nombreux questionnements.  Le titre, lourd de sens, révèle alors toute l'ampleur des angles morts dont les Québécois ont fait preuve: comment réclamer un territoire qu'ils ont eux-mêmes pris à d'autres? Les nombreux stigmates de la crise d'Oka sur les relations entre les Québécois et les peuples autochtones sont d'ailleurs clairement montrés: un cas typique de la façon dont les premiers n'ont tout simplement pas tenu compte des droits et des volontés des seconds.  Mais surtout, elle donne la parole à de nombreux membres des Premières Nations, partout au Québec, bien souvent dans leur langue (avec une traduction pour les francophones).

À aucun moment le discours ne se fait culpabilisant.  Une des intervenantes autochtones le dit d'ailleurs clairement: ils n'en ont rien à faire de notre culpabilité, elle ne sert à rien, ils veulent des actions. Et dans ce sens, aller vers l'autre est la première action. Connaître et comprendre vient ensuite. Le livre montre toutes les étapes que l'auteure franchit dans cette volonté d'aller vers l'autre, les remises en question, les réflexions qui l'ont nourrie, les rencontres.  C'est ce cheminement que l'on suit, sur plusieurs années, en même temps que l'on voit l'éveil de la population en général sur les questions concernant les Premières Nations.

Le dessin est très documentaire et c'est volontaire, mais le coup de crayon est juste et elle joue beaucoup avec les images.  Parfois, on dirait un collage, parfois, elle consacre une pleine page à la parole de quelqu'un avec son dessin et elle n'hésite pas à mettre des pages en noir pour parler des histoires sombres, comme celles abordant les pensionnats.  Bref, le livre est autant une réussite au point de vue visuel qu'au point de vue du récit.  D'ailleurs, ce choix de présentation rend le sujet d'autant plus facile d'accès pour une personne qui s'intéresserait au sujet en ne connaissant strictement rien.  Une oeuvre nécessaire, une oeuvre bien faite et je l'espère, un pas de plus vers la réconciliation.

Ma note: 4.5/5

Aucun commentaire: