mardi 31 décembre 2024

Bilan culturel 2024

 Salut!

2024 a été une année très chargée pour moi. Dans le genre, beaucoup de travail au travail, beaucoup de défis et ça a eu un gros impact sur mon niveau d'énergie dans ma vie personnelle. Les vacances ont été consacrées à me reposer plus qu'à me lancer dans de nouveaux projets disons! Les choses vont, j'espère bien, se replacer en 2025. 

Côté plutôt professionnel dans la littérature, j'ai animé ma première table-ronde au dernier Congrès Boréal! C'était la table sur les finalistes au Prix des Horizons imaginaires et j'avoue que j'ai adoré le faire. J'ai aussi continué à faire des chroniques sur les classiques de la littérature à CKIA aux côtés de Julie lit au lit et à faire des critiques dans Solaris. Pas de publications, mais quelques soumissions et des refus, mais bon, l'absence de tête à l'écriture explique beaucoup ceci.

Livres

Qui dit tête fatiguée dit moins de lecture, mais j'ai quand même eu quelques beaux coups de coeur cette année, incluant l'excellent Kindred d'Octavia E. Butler. Mes lectures personnelles (donc, pas pour des critiques ou des chroniques) ont surtout été portées par la suite des aventures de Cléopâtre Sélénée, l'excellente série de Françoise Chandernagor. Me reste le dernier tome à finir avant de laisser partir ce personnage auquel je me suis profondément attachée au fil des livres.

Films

Dune 2e partie de Denis Villeneuve (Cinéma): Comment ne pas parler de cet excellent cadeau aux cinéphiles et aux amateurs de l'oeuvre de Frank Herbert? J'ai trouvé quelques entourloupes dans le scénario un peu grossière, mais l'image, la qualité, l'histoire racontée, tout ceci valait largement la peine d'aller le voir deux fois en deux jours, comme pour le premier (une fois en anglais et l'autre en français, histoire de vérifier que j'avais bien tout compris!).

Opérations Mincemeat de John Madden (Netflix) : Comment une petite équipe des services secrets britanniques a réussi à tromper les allemands sur la cible réel du débarquement de Sicile à l'aide d'un cadavre trouvé à la morgue auquel ils inventent carrément une vie. Le film, à petit budget, reste cependant efficace et on passe un bon moment. Une rivalité pas nécessaire a été ajoutée pour créer un peu de tension vers la fin, mais bon, ça s'excuse, même si ce n'était pas vraiment nécessaire.

The Marvels de Nia DsCosta (Disney+): Je vais résumer ceci de façon vraiment simple: j'ai maintenant officiellement décroché de l'univers de Marvel, moi qui était une fan pure et dure jusqu'à Endgame!

Kung Fu Panda 4 de Stephanie Stin et Mike Mitchell (Cinéma): Ça aurait pu être le film de trop dans la franchise, mais non, finalement, je ne suis pas sortie de la salle déçue. L'idée de transmission au coeur du film a été bien menée. Et bon, les pitreries de Po sont toujours aussi désopilante.

Damsel de Juan Carlos Fresnadillo (Netflix): Je l'ai fini parce que j'avais rien d'autre à faire? Sincèrement, un échec royal! Une idée qui n'est pas mauvaise au départ, mais le rendu, ouf. 

Julie et Julia de Nora Ephron (Netflix): Un bon petit film qui m'a rappelé des bons souvenirs du début des années 2000, avec plein de bouffe qui donne faim!

Séries télé

Stranger things Saison 3 (Netflix): Une troisième excellente saison pour cette série que plusieurs m'ont poussé à regarder alors que je n'étais pas convaincue au départ. J'ai presque peur de regarder la saison 4 de peur d'être déçue!

Bridgerton Saison 3 (Netflix): Une troisième excellente saison, quoique très honnêtement, je n'ai pas trop cru à l'histoire d'amour entre Penelope et Colin. Et le fait de couper la saison en 2 n'a pas du tout aidé. Le reste par contre était totalement à la hauteur de ce que les deux premières saisons nous avaient habitué et j'ai hâte à la suite.

Mercredi Saison 1 (Netflix): Encore là, une série que j'aurais dû écouter bien avant. Bonne reprise de l'univers de Chas Addams, mais avec quelques libertés qui m'ont fait grincer des dents. Mais le personnage de Mercredi, lui, est rendu avec tellement de brio par Jenna Ortega que ça valait la peine.

The rookie Saison 1 à 6 (Crave): Il m'arrive souvent de tomber sur une série et de la binger sans arrêt jusqu'à avoir épuisé tous les épisodes. C'est le cas de cette série. Mais bon, la saison 7 commence le 7 janvier, alors... Excellente série avec des personnages profondément humains et qui ne fait pas l'impasse sur le côté sombre de l'humanité et du travail de policier. La série se passe essentiellement en patrouille et si on voit notre lot de drame, il y a aussi un bon nombre de moments d'humours face à toutes les situations qui peuvent survenir.

Documentaires

Minimalists de Matt D'Avela (Netflix) Si l'idée de départ est excellente (réduire le nombre d'objet autour de nous et la consommation comme source de réconfort et d'estime de soi), le film s'adresse visiblement à des gens qui ont un style de vie très différent du mien. Intéressant, mais surtout de constater à quel point certaines personnes sont engluées dans la surconsommation. L'idée de donner un objet dont on ne se sert pas par jour pendant 30 jours est à adopter par contre. Même si on gère bien les objets dans notre environnement, c'est une excellente cure à faire.

En thérapie avec mon chat (UnisTV): Cette série avait tout pour me plaire. L'Éducahteur Daniel Fillion qui rend visite à des gens qui ont des problèmes avec leurs félins et les résous avec une bonne compréhension de la psychologie de ceux-ci. Je l'ai écouté avec un Edgar ronronnant sur mes genoux. 

Théâtre et arts de la scène

Manikanetish de Naomi Fontaine: Adapté du roman du même nom, c'est une très bonne pièce. J'ai vu la version en tournée, donc, sans Naomi Fontaine elle-même, mais la créativité avec la scène et les accessoires sur celle-ci était de la partie. Magnifique hommage aux jeunes innus, aux défis auquel ils font face, mais aussi à leur résilience et à leur goût pour la vie.

Silence on tourne: Une pièce de type théâtre d'été, bien tournée, mais très prévisible. J'ai rit à plusieurs moments et levé les yeux au ciel à d'autres.

Projet Polytechnique de Jean-Marc Dalphond et Marie-Joanne Boucher: Deux comédiens qui ne se connaissent pas se rencontre via les médias sociaux et décident d'explorer les conséquences et les échos de la tuerie de Polythechnique de 1989. Tout y passe: culture des armes à feu, lois restrictives sur celles-ci, féminicides et culture Incel, la pièce ratisse large. Les effets théâtraux sont nombreux et servent bien les sujets abordés, que ce soit le lobby pro-arme ou les nombreuses fusillades dans les écoles au sud de la frontière. En deux heures et demie, on touche une foule de sujet, mais surtout, on finit par se poser la question suivante: et si on ne fait rien, vers quoi on s'en va? Parce que, la pièce le montre, le sujet est beaucoup plus vaste que la mort de 14 femmes il y a 35 ans.

La machine de Türing de Benoît Solès: À cheval entre la biographie et l'exploration d'une personnalité, cette pièce rend hommage à Alan Thüring, le brillant mathématicien qui a cassé le code d'Enigma durant la Seconde Guerre mondiale pour mourir moins de dix ans plus tard dans la honte à cause de son homosexualité. Je n'ai rien appris de nouveau avec cette pièce, ce qui est normal vu ma connaissance de cet homme, mais je n'ai pas non plus trouvé qu'il y avait un angle intéressant pour l'explorer. Par contre, superbe performance de l'acteur Benoît McGinnis dans le rôle titre.

Dehors novembre: Une mise en scène de la création du dernier album des Colocs, racontée par Vander, l'un des membres du groupe qui était dans le fameux chalet qui a vu naître cet album mythique. Les textes des chansons étaient lus sur scène et c'était parfois douloureux à entendre tellement l'acteur essayait de ne pas les chanter, mais la narration et les anecdotes de Vander valaient la peine.

Madame Pylinska et le secret de Chopin d'Éric-Emmanuel Schmidtt: Une histoire classique de passage à l'âge adulte, mais portée par la langue d'Érie-Emmanuel Schmidtt et la musique de Chopin. Comment résister à un tel duo? J'ai vu la pièce interprétée par l'acteur et auteur lui-même ce qui en rajoutait une couche. 

Cabaret chez Mado: J'y suis allée pour l'enterrement de vie de jeune fille de ma meilleure amie, mais sincèrement, j'y retournerai, c'est vraiment un show à voir!

(P.S. j'ai attrapé le bouquet au mariage! ;) )

Balados

J'ai la flemme de faire la liste, mais disons que mon application me dit que j'ai écouté l'équivalent de 24 jours complets de balados cette année... Je suis vraiment trop accro!

Expositions

Les olmèques (Pointe-à-Callières): Dans l'ensemble déçue de cette exposition, mais elle était vraiment trop grand public pour moi. Magnifiques sculptures par contre, ça donne envie d'en savoir plus sur cette civilisation.

Les gladiateurs (Musée de la civilisation à Québec): Autre déception, on était vraiment dans le très de base concernant les gladiateurs. Malgré tout, je ne regrette par de l'avoir vu.

Et maintenant, on se lance en 2025!

@+ Mariane

jeudi 28 novembre 2024

La reine oubliée: 3- L'homme de Césarée de Françoise Chandernagor

 La reine oubliée tome 3 L'homme de Césarée Françoise Chandernagor Albin Michel 427 pages


Résumé:
L'homme de Césarée, c'est cet homme que Sélénée, âgée de vingt ans à peine, épouse sans l'avoir même rencontré. Il s'appelle Juba et est roi de Maurétanie, un royaume indépendant, mais allié à Rome, situé sur les rivages de l'Afrique. Loin d'être un barbare, le nouvel époux de Sélénée est un homme érudit, féru d'histoire et lui-même auteur de plusieurs livres. Si leur nuit de noces est un échec, ils développeront lentement une relation solide, basée sur un profond respect mutuel, qui sans être une grande histoire d'amour leur apporte tous les deux ce qu'ils cherchent: lui, un héritier et elle, une façon de prolonger sa lignée, afin qu'un jour, quelqu'un puisse exercer la vengeance contre eux qui ont détruit sa famille. Le premier sur sa liste? Auguste.

Mon avis:
Ce livre a un rythme lent, comme si nous étions sur un bateau qui défile sur le Nil, contemplant le paysage qui change lentement. Et pourtant, l'histoire avance, petit à petit. On retrouve Sélénée à son arrivée à Césarée, qui lui rappelle tant Alexandrie en version réduite. On la suivra sur la décennie suivante, entre allers-retours à Rome et la naissance de ses enfants. Mais surtout, on la suivra dans sa psyché, celle qui reste marquée en elle comme au fer rouge: l'Égypte, royaume de son enfance et Auguste, qui a assassiné ses parents. Sélénée veut être vengée, mais elle sait qu'elle ne sera pas celle qui pourra l'accomplir, elle qui ne sait pas manier une épée ni diriger des hommes. C'est pourquoi elle souhaite tant que la suite passe par sa lignée, qu'elle souhaite par-dessus tout prolonger.

Cette idée de vengeance est celle qui sous-tend toute la vie, tous les actes de Sélénée. Ça la rend parfois aveugle à d'autres réalités, mais on ne peut pas dire qu'elle manque de continuité. Malgré tout, le sort ne lui sera pas toujours favorable. D'abord, ce long moment avant de concevoir son premier enfant. Puis, surtout, voir le triomphe d'Auguste, encore et encore. Car loin, d'être isolée, la reine Sélénée est très bien informée des intrigues de Rome, des décisions politiques, des coups de théâtres, des combats, là-bas en Germanie, mais aussi des assassinats dans le royaume de Judée ou de l'éternelle question du roi d'Arménie.

Car au-delà du seul personnage, dont l'exploration de la vie intérieure est fascinante, c'est le voyage dans la Rome antique, comme si on y était, qui fascine. L'autrice a l'art de nous faire voyager dans cette époque sans trop qu'on y prête attention, mais avec une vivacité remarquable. De légers détails lui permettent de faire des apartés qui, sans alourdir le moins du monde le texte, nous font découvrir tel aspect des bains, tel détail du commerce, tel douloureuse vérité du fameux cirque romain. Il en ressort un vérité qui parfois peut faire oublier que l'on est bel et bien dans un roman et que parfois, l'autrice prend de petites libertés avec l'histoire pour mieux nous faire revivre celle-ci.

Un magnifique voyage qui se terminera avec le tome 4 de cette série, mais quel voyage!


lundi 4 novembre 2024

Les petites mains qui paient

 Salut!

Dans le langage des maisons de haute couture, les petites mains sont les innombrables ouvrières qui réalisent les robes de rêve qui défilent sur les podiums. Tailleuse, brodeuse, plieuse, ourleuse, perleuse  et autre sont des femmes (le plus souvent) qui ont du métier et de l'expérience dans leur domaine. Leur immense talent est souvent précis, dans un domaine particulier, mais il est indispensable pour la réalisation du but final de l'entreprise: créer des vêtements destinés à attirer le regard et à briller de mille feux. 

Sans elles, pas de mannequins, pas de défilés, pas de photos léchées dans les magasines, pas de tapis rouge et même au global, d'industrie de la mode.

Toutefois, à part les gens qui travaillent au sein de l'industrie, personne ne peut nommer le nom d'aucune d'entre elles. Même si leur travail est indispensable. Tous n'en ont que pour le ou la designer. C'est l'esprit créatif derrière les vêtements, c'est à cette personne que vont tous les éloges et le mérite. Sans une bonne équipe toutefois, rien ne peut exister. 

C'est à toutes ces personnes de l'ombre derrière les grandes créations auquel j'ai pensé lorsque le scandale concernant le comportement de Neil Gaiman a surgi dans les médias. Parce que le prolifique auteur était surtout connu ces dernières années pour son travail d'adaptation de ses oeuvres au petit écran. The Good Omens pour n'en nommer qu'un seul, qui avait une troisième saison complète de prévue, n'aura finalement droit qu'à un final de 90 minutes. Bon, entendons-nous, David Tennant et Michael Sheen vont se retrouver du boulot, je ne suis pas inquiète pour eux. Mais les décorateurs, maquilleuses, coiffeuses, éclairagistes, preneurs de sons et toutes ces autres personnes indispensables à une production télévisée se retrouvent elles, au chômage. Ils sont indispensables au succès de cette série, mais ils aussi sont les premiers à souffrir de l'annulation prématurée de celle-ci. Ainsi en a-t-il été des employés de The Weinstein compagny: ils n'avaient rien à voir avec les agissements de leur patron, ils se sont quand même retrouvés au chômage. 

L'impact des agissements de certaines personnes, le plus souvent des hommes, dans la sphère de leur intimité, dépasse largement le cadre de celle-ci. Tant mieux pourrait-on se dire, tellement certains d'entre eux ont pu agir dans l'obscurité en parfaits salauds, voir en criminels et continuer leur carrière sans le moindre problème. Ceci dit, l'impact sur les autres personnes impliquées dans leurs projets est disproportionné: eux et elles n'ont rien à voir avec ces actes... Mais ils devront de nouveau se trouver un boulot pour mettre du pain sur la table dans un milieu où il y a toujours beaucoup d'appelés, mais peu d'élus.

Tout ça parce que les idées, la création, l'imagination sont encore entourées d'un aura de mystère qui fait que les créateurs ont un statut à part. Ils sont le sommet de la pyramide, mais on oublie si facilement qu'une pierre au sommet d'une pyramide n'est rien sans les centaines d'autres qui sont en dessous d'elle. On pourrait dire la même chose d'une maison d'édition: les auteurs sont sur le devant de la scène, mais les directeurices littéraires, les réviseuses, les responsables de la promotion, tout ce beau monde en prendra pour son rhume si l'une de leurs plumes est éclaboussée par un scandale.

Pas pour rien que l'on en vienne à mettre de la pression sur les créateurs pour garder leur vie intime en ordre: de là dépend beaucoup de choses. L'éléphant dans la pièce est que cela aurait toujours dû être ainsi. Le rééquilibrage des privilèges que l'on vit est dur, mais nécessaire. Il y aura encore beaucoup de chute du piédestal et de personnes dont on découvrira que l'image ne correspondait pas à la personne. Sauf que remettre les pendules à l'heure a un coût. Et c'est surtout cruel pour toutes les petites mains qui paient pour les actions des autres.

@+ Mariane

jeudi 3 octobre 2024

Les soleils des indépendances d'Ahmadou Kourouma

 Les soleils des indépendances Ahmadou Kourouma Points 196 pages


Résumé:

Fama est un homme qui a tout perdu: son cousin lui a pris le trône héréditaire des Doumbouya, sa femme, la belle Salimata, ne lui a pas donné d'enfants et il est réduit à la pauvreté, lui qui devait être prince. Par-dessus tout, les indépendances ont sapé les structures traditionnelles qui devaient assurer son rôle dans sa société. Alors qu'il s'échine à faire perdurer les usages et les rites immémoriaux, une nouvelle inattendue lui parvient de l'intérieur des terres. Son cousin usurpateur est mort. Commence alors un retour vers le pays d'origine et avec lui l'espoir d'une vie nouvelle. Mais est-ce vraiment possible sous les soleils des indépendances, qui avaient promis des jours heureux et avaient fini par des dictatures?

Mon avis:

Ne pas lire ce livre si vous êtes déprimé... Parce que ce roman, c'est le revers des espoirs suscités par la vague des indépendances africaines. La pente vers la dictature, le désespoir causé par un avenir qui avait été bloqué par les colonisateurs et qui l'est toujours, cette fois par les siens. Fama est un homme moyen, ni particulièrement courageux, ni particulièrement intelligent, dont toute la vie avait été construite autour de l'idée qu'il allait un jour hériter du trône de ses ancêtres et qui se retrouve totalement démuni face à l'usurpation de son cousin. Fama ne sait pas comment s'adapter, comment changer. D'ailleurs, il le refuse. Il cherche à tout prix à garder vivantes les anciennes traditions, même si cela entraîne un violent décalage entre le monde tel qu'il existe et le monde tel qu'il voudrait qu'il soit.

Il ne survit que grâce à sa femme, la belle Salimata au ventre sec. Ce personnage, dont deux des chapitres sont écrits de son point de vue, est un personnage courage. C'est elle qui réussit à faire vivre le ménage par un dur labeur de vendeuse à la criée. Elle se veut bonne musulmane et généreuse, ce qui ne l'empêche par d'être exploitée par des hommes qui la manipulent pour prendre plus qu'elle ne peut donner. Ce qui est particulier, c'est de voir toute la violence que vit le personnage. Entre l'excision qu'elle a subie jeune adolescente (la scène est terriblement graphique et racontée par elle du point de vue de son propre corps), le viol qui a suivi (parce qu'elle est belle) et la violence conjugale avec son premier mari, on se dit qu'elle a déjà tout subi. Mais non, elle sera agressée au marché, volée et laissée sur place, pratiquement nue devant tout le monde. Son seul souhait, son seul espoir, est d'être mère un jour, un but qu'elle poursuit avec acharnement. Le problème est que le roman laisse clairement entendre que c'est son époux qui est stérile, mais, société patriarcale oblige, c'est elle qui porte le poids des regards plein de jugement.

Lorsque la nouvelle de la mort du cousin arrive et que le retour vers le pays natal commence, Fama pense qu'il va renaître, que sa vie va enfin reprendre le cours interrompu qu'elle aurait toujours dû avoir. Il se leurre bien sûr: son pays natal est plein de marécages, les gens y meurent de faim et le nouveau climat politique local, avec les membres du comité ultrapuissant lui mettent des bâtons dans les roues. C'est l'échec de sa vie qui se déroule devant lui. Alors qu'il attendait la gloire du retour, il se retrouve à régner sur les restes de son peuple. Mais quelle magnifique description de ce retour, des traditions, des usages et des coutumes, dans le détail et combien chaque élément est important pour l'ensemble.

Malgré le sujet oh combien difficile, la plume d'Ahmadou Kourouma est sublime. Elle reprend le rythme de l'oralité des grios et multiplie les images et les allusions à la nature sauvage africaine. C'est une vision du monde et une philosophie du quotidien que l'auteur explore, dans un monde où tout le monde est musulman, fait les cinq prières quotidiennes et va consulter le marabout en sortant de la mosquée sans y voir la moindre contradiction. Un océan de contrastes qui s'entrechoquent tout en restant cohérents, avec des personnages broyés par le poids de ce que leur vie aurait pu être et qu'elle n'a pas été. Un roman très dur, mais j'oserais dire nécessaire, car il gratte les plaies des indépendances, car sous leurs soleils, tout n'a pas été rose.

mardi 20 août 2024

Le code secret des bibliothèques

 Salut!

Quand j'étais au primaire, la bibliothèque était installée dans un petit local. Petit dans le sens, trop petit pour une classe, mais trop grand pour un rangement. Les livres y courraient le long des murs sur les rangées métalliques beiges, bien séparés par des espaceurs. Pendant des années, j'ai consulté ses rayons avec passion: j'ai lu, j'ai fouiné dedans, j'ai payé des amendes parce que je les ramenais en retard (c'est la vie!) et surtout, j'ai expérimenté différent système pour y maintenir un semblant d'ordre. 

En première année, c'était un long carton plastifié, vert, avec des chiffres au bout. Moi, j'étais le numéro 6. On le laissait à la place du livre que l'on venait de prendre pour pouvoir le remettre en place quand on avait fini. Ça ne nous permettait que de sortir un livre des rayons à la fois, ce qui était profondément embêtant pour la mordue des livres que j'étais. Ensuite est venue une grande innovation: les responsables de la bibliothèque, pour la plupart des mamans bénévoles chargées de tamponner les dates de retour (on était au XXe siècle après tout...), avaient vidé les tablettes du bas de toutes les étagères pour les laisser libres. Désormais, si on prenait un livre, il fallait le déposer sur la tablette du bas. Qui était chargé de les replacer à leurs places? Des bénévoles de 5e et 6e années.

Ai-je besoin de vous dire que je me suis portée volontaire dans le quart de seconde qui a suivi la proposition?

Ce qui m'a introduit au merveilleux monde des codes de bibliothèques. J'étais loin de savoir quoi que ce soit sur Dewey et son système de classement, mais je comprenais la logique de base: on commençait par les premiers chiffres (ceux qui commençaient par 100 n'allaient pas au même endroit que les 800), ensuite, on décortiquait jusqu'à arriver jusqu'au dernier signe, chiffre ou lettre et on recasait le livre à l'endroit où il y avait un trou entre les livres, ou du moins, le plus possible proche de ce trou. 

Quelle joie durant les deux dernières années de mon primaire que de pouvoir entrer dès la sortie de l'autobus (notre privilège d'assistant-bibliothécaire était de pouvoir entrer avant tous les autres). Ensuite, on rangeait les livres et on allait en classe. Le paradis.

Depuis, j'ai un amour infini pour les systèmes de classement des bibliothèques. Certes, la plupart suivent à des degrés divers le classement de Dewey, mais il y a toujours des variations, des sections spéciales et des manies de bibliothécaire dans chaque bibliothèque. Par exemple, dans la bibliothèque de mon ancienne ville, les étagères se suivaient, mais faisaient un saut avec une section décalée par rapport aux autres. Dans la première bibliothèque municipale que j'ai fréquentée, il fallait toujours vérifier si le livre que l'on cherchait n'était pas derrière la rangée de livres parce que les rayons débordaient en permanence. Ma bibliothèque actuelle a classé la littérature par ordre alphabétique, en séparant seulement ceux destinés aux adolescents et aux adultes. Bref, ce n'est jamais parfaitement pareil.

D'ailleurs, c'est l'un de mes petits plaisirs de fréquenter les rayons des bibliothèques: trouver moi-même, avec l'aide d'une cote le livre que je cherche, comme si cette cote était une carte menant à un trésor. J'ai toujours un petit sourire quand je trouve mon livre toute seule. 

Les systèmes de classement sont comme les bonnes tuyauteries: quand elles fonctionnent à la perfection, on ne s'en rend pas compte. Mais ça les rend d'autant plus précieuses. Malheur à ceux qui vont replacer les livres à la mauvaise place! Et bonnes recherches dans les rayons pour ceux qui comprennent comment elles sont classées!

@+ Mariane

jeudi 18 juillet 2024

Kindred d'Octavia E. Butler

 Kindred Octavia E. Butler Beacon press 280 pages


Résumé:

Dana vient d'emménager dans sa première maison avec son mari, Kevin. Alors qu'ils sont en train de défaire des boîtes de livres, Dana se sent soudainement étourdie et perd conscience. Elle se réveille au bord d'une rivière où un enfant est en train de se noyer. Sans attendre, elle saute à l'eau et elle le sauve, mais quelques instants plus tard, perd de nouveau conscience et se retrouve aux côtés de son mari, couverte de boue. Celui-ci lui dit qu'elle a littéralement disparu pendant quelques instants. Troublée par les événements qu'elle peine à comprendre, elle perd une deuxième fois conscience et retrouve le même petit garçon, âgé de quelques années de plus, qu'elle sauve à nouveau d'une mort certaine. C'est en discutant avec cet enfant qu'elle prend conscience de deux faits importants: le premier, c'est qu'elle est revenue physiquement dans le temps, au début du XIXe siècle, dans une plantation esclavagiste de la côte est. L'autre, encore plus dérangeante, est que l'enfant qu'elle a déjà sauvé deux fois est son ancêtre. Or, il est blanc et elle est noire.

Mon avis:

C'est le genre de livre dont on ne peut pas sortir sans avoir été, à un niveau ou à un autre, transformé. L'histoire de Dana, bien que relativement conventionnelle dans le genre des voyages dans le temps, ne l'est absolument pas par son traitement : l'autrice s'est servie de cette trame pour interroger la réalité de l'esclavage et même nous la mettre en plein visage, mais avec une intelligence redoutable. Dana n'est pas une victime, c'est une femme moderne, qui est habituée à la liberté et qui d'un coup doit apprendre à courber la tête et à accepter la servilité nécessaire à sa propre survie, tant physique que psychologique. Le poids énorme de l'esclavage, sa réalité, sa continuité, même quand les maîtres ne sont pas là et que le fouet ne guette pas, est représentée avec une telle acuité que l'on a l'impression de la ressentir. Même si ce n'est qu'un livre.

Dana en tant que personnage est une femme ordinaire: ni spécialement intelligente, ni particulière forte, elle se révèle pourtant douée d'un incroyable instinct de survie dans l'épreuve. Lors de ses retours dans le présent (elle fera plusieurs aller-retour tout au long du livre), elle travaille à se préparer pour les retours dans le passé, essayant de comprendre ce qui lui arrive et le lien mystérieux qui la lie à Rufus, ce fils de propriétaire terrien esclavagiste, qu'elle sauve encore et encore de la mort.

C'est d'ailleurs sur la relation entre les deux que repose l'intrigue. Rufus, qu'elle sauve d'abord enfant, qui grandira tout au long du livre, est un personnage ambigu capable de cruauté, mais qui cache au plus profond de lui un besoin sans fond d'être aimé. Par l'attention qu'elle lui porte, Dana devient son point de repère, mais aussi une personne qu'il aime. Et quand il aime, il fait tout ce qui est en son pouvoir pour attacher les gens à lui, de crainte de les perdre, se faisant haïr d'eux, car il ne prête aucune attention à leurs désirs et à leurs sentiments. Égoïste, mais égoïste parce que fragile au plus profond de lui-même. Leur relation, tendue, tordue même, pleine de contradictions et de jeux de pouvoir, qui s'inverse alors que Rufus grandit et qu'il devient plus fort, forme le coeur du récit. Malgré les apparences, il ne contrôle pas tout : même avec son statut d'esclave, Dana parvient à tirer des ficelles.

La moitié du récit se passe à l'époque esclavagiste précédant la Guerre de Sécession, une période que l'autrice rend avec une vivacité incroyable. Tous ces petits détails que l'on oublie, comme le fait que Dana connaît la médecine moderne et la contamination bactérienne: doit-elle manger ce bout de jambon qui traîne sans doute sur la table en plein été depuis plusieurs heures? Les médicaments simples comme l'aspirine, qu'elle finit par ramener dans ses voyages, ont des effets démesurés parce qu'inconnus de ses contemporains. Si elle n'est pas médecin, sa connaissance des infections lui permettra de sauver des vies, dans ce monde où personne n'est conscient qu'une plaie mal nettoyée peut conduire à la mort.

L'esclavage est représenté avec précision, mais avec beaucoup de nuances. Les esclavages ne sont pas de pauvres victimes des méchants blancs, ils sont des personnes entières, capables et qui ont toutes leur propre agentivité. Les réflexions de Dana sur ce que les livres d'histoire qu'elle a lus et ce qu'elle constate sur le terrain sont particulièrement intéressantes. Non, l'horreur n'est pas là au quotidien, non, on ne fouette pas quelqu'un chaque jour, mais le poids de la peur et le fait que ça peut arriver n'importe quand, flotte partout et force ceux qui sont sous le joug de l'esclavage à s'adapter, à plier pour ne pas se briser et à développer un formidable instinct de survie.

Pas étonnant que ce roman ait fait date dans l'histoire des littératures de l'imaginaire et qu'il soit encore au programme de nombreuses écoles secondaires aux États-Unis. Parce le portrait qu'il propose, par la puissance de son récit et par la réflexion poussée des rapports entre les humains que crée l'esclavage, c'est un livre à lire. Pour moi, c'est un grand coup de coeur.

lundi 27 mai 2024

Le grand cru et l'ado

 Salut!

Neveu a maintenant 15 ans. Il est à l'âge où son visage peut être confondu avec un champ de coquelicot. L'âge où la réponse à la plupart de nos questions est un ouin qui a des ressemblances avec un coassement de grenouille. L'âge où son cellulaire et ses amis deviennent le centre du monde et où j'ai l'impression de passer du statut de tante cool à madame fatiguante. Bref, l'âge où le lien que j'ai avec lui change, même s'il reste là. 

Parfois, je m'imagine lui offrir un verre de vin. Un grand cru là, d'une bonne bouteille, vieillie, pleine de saveurs subtiles et d'arômes délicats. Neveu n'a jamais été tenté par l'alcool. Alors une gorgée d'un très bon vin, comme ça, d'un coup, sans préparation aucune? Je suis sûre qu'il va la recracher et courir se rincer la bouche pour faire disparaître les tanins. Il ne comprendra pas la riche saveur à laquelle il vient d'être confronté, tout simplement parce que son goût n'est pas formé, pas déployé, qu'il n'est pas capable de comprendre, de prendre le temps de savourer. Il est encore à l'étape de l'apprentissage. Et c'est normal, c'est de son âge. Neveu est un ado, tout simplement et comme des milliers d'autres, il est en train de découvrir le monde et de l'apprendre. Donc, quelque chose d'un peu plus complexe peut le rebuter facilement.

Si l'on ne parle d'un coup plus de vin, mais de livres. De grands crus de la littérature, souvent des classiques. Des livres à l'écriture travaillée, peaufinée. De personnages denses et ambigus, d'intrigues amples, d'émotions complexes et brûlantes. Je m'imagine la tête de Neveu pour ça aussi. Et sa grimace.

Nos goûts en lecture sont comme des papilles gustatives: plus ils ont goûté de plumes, de styles et d'intrigues différents, plus elles seront à même de savourer les subtilités de goûts qui ne sont pas à première vue évidents à savourer, à apprécier des détails qui ne sont pas faciles d'approche. Ce qui peut susciter un rictus de dégoût à un moment peut finir par faire sourire de bonheur à un autre. Mais ça prend du temps. Ça ne se fait pas en un jour et c'est toujours une aventure à chaque fois.

Quand on n'a pas en banque autant d'expérience, se retrouver devant un classique à lire, surtout au secondaire, peut devenir une épreuve qui décourage et dégoûte les jeunes. Parce que leur goût n'est pas formé. Moi-même, qui était pourtant un rat de bibliothèque à cet âge, j'ai grimacé devant certains livres plus ennuyeux. Non, je n'ai pas aimé Maria Chapdelaine à cette époque. C'est avec le temps, à force de lire des livres, que j'ai développé mon goût. J'ai d'ailleurs eu une passe, début trentaine où j'ai lu 5-6 romans du terroir que j'ai bien aimé. Mais le temps avait fait son oeuvre. Je pouvais mieux savourer les plumes et les histoires, parce qu'ayant un peu plus de recul et d'expérience, j'étais capable de voir au-delà de ce que je ne connaissais pas pour comprendre le texte et mieux l'apprécier. Mais ça a pris du temps.

Alors, je comprends que lire Agaguk, Maria Chapdelaine ou Bonheur d'occasion puisse faire du sens pour un pédagogue soucieux de mettre la jeunesse en contact avec le meilleur du canon littéraire. Sauf qu'il faut de foutus bons profs pour vulgariser ceci et éviter que les élèves ne recrachent leurs lectures avec une grimace dégoûtée. Dans la situation actuelle, c'est déjà bon d'avoir un prof dans la classe, alors, on repassera pour donner le goût de la littérature aux jeunes.

@+ Mariane