jeudi 21 avril 2022

Jane Eyre de Charlotte Brontë

 Jane Eyre  Charlotte Brontë *Lu en numérique



Résumé:

Jane Eyre, orpheline de dix ans, vit sous le toit de sa tante paternelle. Souffrant des négligences de celle-ci et des mauvais traitements de ses cousins, elle a développé un grand sens de l'observation des êtres.  Poussée à bout, elle réplique lorsque son cousin veut la battre et subit une punition injuste qui la fait tomber malade.  Découvrant par le pharmacien qui la soigne que des enfants vivent en pension, elle réclame le droit d'y aller.  Arrivée là, les conditions de vie sont pires encore: nourriture infecte, interminables journées et locaux glaciaux. Après une épidémie, les conditions s'améliorent et Jane y fait ses études.  À dix-huit ans, par goût du changement et désir d'améliorer sa vie, elle se trouve une place comme gouvernante.  À Thornfield, dont le mystérieux maître, M. Rochester, est absent à son arrivée.  Le troisième étage semble receler quelques mystères, mais Jane y est heureuse.  Jusqu'à l'arrivée de M. Rochester, qui bouleversera sa vie. Entre ces deux êtres, qui ne sont pas beaux physiquement, naîtra une idylle que ni les classes sociales ni la différence d'âge n'empêcheront. Mais le troisième étage n'a pas encore livré ses secrets.

Mon avis:

Il est étonnant de voir qu'en plein XIXe siècle, une jeune femme à l'expérience du monde relativement limitée ait pu écrire un personnage féminin à la psychologie aussi raffinée.  Car Jane Eyre, l'héroïne de Charlotte Brontë, détonne au milieu de la production de son époque où les femmes étaient de perfides enjôleuses ou des demoiselles en détresse.  Bien au contraire, dès son jeune âge, la jeune orpheline montre de grandes prédispositions à comprendre les gens et n'hésite à parler et à dire leurs quatre vérités à ceux qui le méritent.  Sa personnalité affirmée et la façon dont elle réclame tout au long du livre le contrôle sur sa vie en fait une héroïne de roman tout à fait moderne.  Il y a même une scène remarquable où elle réagit à ce qui serait aujourd'hui considéré comme du mansplaning... de la même façon dont on pourrait le faire aujourd'hui.

Jane Eyre va travailler tout au long du récit pour que ses rêves se réalisent.  Ceux-ci ne sont pas de partir au loin ou d'accomplir un exploit, mais pour son époque, ils sont majeurs: elle souhaite avant tout être une femme indépendante.  Ainsi, elle prend les décisions importantes de sa vie en fonction de cette volonté et même son amour pour Rochester ne la fera pas s'en détourner.  D'ailleurs, même si elle souffre de leur séparation à un moment, jamais elle ne regrettera sa décision, car elle l'a prise pour elle-même, pour sa propre vie, c'est son choix. C'est remarquable à bien des égards, car Jane Eyre s'accomplira comme personne au lieu de renoncer à ses rêves pour épouser l'homme qu'elle aime.  En toutes choses, elle se respecte d'abord elle-même.  Ce faisant, elle s'éloigne des clichés de la romance où plus souvent qu'autrement, la femme abandonne ses rêves par amour.  D'ailleurs, je ne parlerais pas de romance en pensant à ce livre.  Le sous-titre original, mémoires d'une gouvernante, est plus juste: Jane Eyre est le personnage principal et l'amour fait parti de sa vie, mais ce n'est pas le coeur de l'intrigue.

Néanmoins, le roman reste ancré dans l'époque victorienne où il a  été écrit.  Le respect des convenances et tout le jeu entre les personnages qui en découle occupent une part importante du roman et les longs monologues explicatifs prennent des pages et des pages.  C'est le style de l'époque.  Peut-être même y en a-t-il une petite couche de trop parce que parfois, c'est long longtemps, mais reste que cela ne détonne pas trop parmi les oeuvres de l'époque.  Néanmoins, la peinture que l'auteure fait des paysages, des lieux et des gens est typique de cette Angleterre rurale de l'époque victorienne et de l'image que l'on s'en fait. Par contre, son regard sur celle-ci est typiquement féminin: les champs sont un décor et seuls les métiers accessibles aux femmes (gouvernantes, cuisinières, intendante, servantes) sont évoqués avec une minutie qui montre une très bonne connaissance de ceux-ci.  Les métiers plus masculins sont par contrastes, peu détaillés et accessoires à l'intrigue.

Le récit est divisé en plusieurs parties: l'enfance malheureuse, le passage en pension dont seule la première année sera racontée, le travail de gouvernante à Thornfield etc. L'auteure alterne entre les moments plus importants et passe beaucoup plus rapidement sur d'autres.  Des années complètes peuvent être résumées en quelques lignes! Ces sauts dans le temps se justifient, mais laissent de gros trous dans le récit.  On se demande comment Jane a traversé certaines étapes de sa vie qui sont laissées dans l'ombre.  Et bon, comme le récit est censé être une autobiographie, ces ellipses surprennent parfois.

Le style est parfois grandiloquent et comporte beaucoup de longueurs, mais Jane Eyre et tous les événements qui lui arrivent compensent largement.  Le ton et le style ont mal vieilli, mais pas le personnage ni l'intrigue qui pourrait, sur certains aspects, se passer encore aujourd'hui.

Ma note: 4/5

*On peut trouver le fichier libre de droits ici.

lundi 18 avril 2022

Le ciel, la terre, le ciel, la terre ou l'art de transformer une tragédie en comédie

 Salut,

Adolescente (oui, l'histoire date de plus d'une vingtaine d'années!), il m'arrivait parfois de me retrouver en «gang» pour faire des partys.  Je n'étais pas party animal quand j'étais adolescente, bien que je n'étais pas autant du genre à me coucher à l'heure des poules.  Lors de l'une de ces soirées où tout le monde se mêle et où tout le monde finit par se raconter des histoires chacun de son bord, une des personnes que je fréquentais s'était mise à raconter une anecdote pas trop joyeuse: quelques années plus tôt, elle avait eu un accident de voiture.  OK, ce n'est pas drôle.  Mais ce dont je me souviens aujourd'hui, ce sont ses yeux écarquillés et faisant des allers-retours entre le haut et le bas, tandis qu'elle racontait la voiture faisant des tonneaux et qu'elle voyait alternativement le ciel et la terre.

Même son doigt faisait le geste de la voiture qui tournait dans les airs.

Le ciel, la terre, le ciel, la terre.

Puis-je vous avouer?  Au moment où elle le racontait, j'étais morte de rire. Parce que de la façon dont elle le racontait, c'était tordant.  Tout était là: les effets comiques, le ton, l'histoire tellement folle, les protagonistes qui se hurlent les choses les plus idiotes ou totalement hors de contexte. Par exemple, la personne qui nous racontait l'histoire s'était d'abord plainte d'être prise dans sa ceinture de sécurité... ce qui était logique parce que la voiture avait atterri sur le toit! Sa tante, qui était au volant, l'avait engueulée parce qu'elle ne se rappelait plus comment déboucler sa ceinture! Bref, on était quelques personnes à se pisser dans les culottes en l'entendant raconter.  Et pourtant, quelques secondes après, elle nous avait avoué, les yeux embués, que ce souvenir était pour elle traumatisant.  Sa façon de le raconter en avait fait une histoire abracadabrante et extraordinairement drôle.  Je pense, des années après, que le fait qu'elle nous avait raconté cette histoire de cette façon avait été pour elle une façon de l'exorciser, de la raconter sans tomber dans le pathos où on lui serait tous tombé dans les bras en pleurant.  Ce n'était pas ce qu'elle voulait.  C'était (et c'est toujours) une personne très forte.  

Je ne me rappelle plus des détails de son histoire, forcément, ça fait un bail, mais ses yeux et le ton de sa voix quand elle racontait, oui.

Le ciel, la terre, le ciel, la terre.

Une anecdote pas très drôle dont elle avait fait une histoire désopilante.

On peut raconter une histoire comme Shakespeare et en faire une tragédie touchant le coeur de l'âme humaine.  Ou l'on peut prendre le parti inverse et en faire une histoire à vous faire mal aux côtes à force de rire.  Ce n'est pas l'histoire qui est en elle-même tragique ou comique, c'est la façon dont on la raconte: le choix des mots, des expressions, du rythme, de la narration, tous ces petits éléments changent notre perception d'une même histoire.  Donnez exactement le même texte à un humoriste et à un acteur tragique et vous comprendrez vite la différence, même si l'histoire racontée est la même.

La personne qui raconte est celle qui fait la différence, quel que soit son outil: pour l'écrivain.e, les mots, pour l'acteur.rice, son visage et sa voix, pour le réalisateur.rice, le choix des images et des angles de caméra.  Certes, il y a aura toujours des drames duquel il sera plus difficile de rire: des tragédies, des drames, surtout quand les victimes sont nombreuses. Et des histoires drôles qu'il sera difficile de prendre au sérieux. Après tout, même si la personne se casse quelque chose, on aura tout d'abord tendance à rire devant une chute rocambolesque!

Aucune histoire n'est intrinsèquement désopilante ou tragique.  Les histoires sont ce qu'on fait d'elles.

@+ Mariane

lundi 4 avril 2022

Le chemin plutôt que la fin

 Salut,

Comme pas mal de gens, je me suis récemment confortablement installée devant mon (pas si) petit écran pour me délecter des amours de la famille Bridgerton, de l'aîné en particulier, Anthony, qui prendra épouse dans la saison 2.  En blague, j'ai lancé à une amie qui avait un peu d'avance sur moi dans son écoute: ne me raconte surtout pas avec qui Anthony finit à la fin!

C'était une blague bien sûr.  On le savait à la seconde où elle a fait son apparition que la future vicomtesse Bridgerton serait Kate Sharma, bien que les attentions du vicomte se portent sur sa soeur Edwina durant la plus grande partie de la saison.  Et de savoir ça ne m'a pas empêché de dévorer les épisodes un bol de pop corn à la main.

Parce que dans ce genre, ce n'est pas la fin qui importe, c'est le chemin.

On le sait qu'ils vont finir heureux et auront sûrement beaucoup d'enfants (bon, étant donné la taille de la famille Bridgerton, c'est pas mal prévisible!). Mais le comment devient soudain très intéressant, parce qu'au départ, ils sont des antagonistes dans une lutte pour conquérir la jeune soeur de Kate, Edwina (dans le cas d'Anthony) ou de la protéger du vicomte Bridgerton (dans le cas de Kate).  Et lors de la série, une série de mésaventures, de moments cocasses, de surprise et de retournements de situation auront lieu.  Tout pour voir lentement, mais sûrement fondre les résistances de ces deux êtres et naître leur histoire d'amour., comme on avait suivi celle de Daphnée et de Simon à la saison précédente.

On le sait comment ça va finir, mais le plaisir repose à savoir comment ça va arriver.

Dans un polar, on le sait que l'enquêteureuse va finir par mettre la main au collet de l'assassin.  Au-delà de découvrir qui c'est, il y a un réel plaisir à le.la voir se débattre pour faire émerger la vérité.  On le sait aussi que dans une quête, le héros ou l'héroïne va atteindre son but: détruire l'anneau, vaincre le méchant, sauver le monde, etc.  Et pourtant, on va ouvrir le livre ou appuyer sur le bouton play avec d'autant plus d'intérêt.  C'est rassurant et c'est même un plaisir parfois délectable: on essaie de deviner ce que seront les prochaines étapes, on se félicite quand on réussit et on s'exclame dans un retournement inattendu.

Ce n'est pas comme une histoire où l'on ne sait pas comment cela va finir.  Dans un drame, tout peut arriver à la fin. C'est un genre qui justement, joue sur le fait que la fin est imprévisible et qu'il faut suivre pour connaître la fin.  La romance et le polar, ainsi que certaines franges de la fantasy, on les lit pour les étapes, moins pour la finale.  D'ailleurs, savoir la fin ne gâche pas nécessairement le plaisir.

Quand la fin importe moins que le chemin, le genre a aussi tendance à être plus codifié.  Une bonne romance implique que les deux amoureux doivent être attirés, mais ne pas être réunis avant la fin du livre.  Entre les deux, les événements extérieurs, les disputes, les malentendus, les épreuves se succèdent pour la plus grande délectation de ceux et celles  qui suivent l'histoire. Dans un polar, il y a à la base un crime, le plus souvent un meurtre, quoique qu'un vol puisse aussi faire l'affaire et quelqu'un.e qui décide de mettre au clair qui a fait le coup. De là, un festival d'indices qui mettront parfois sur la bonne piste, parfois sur la mauvaise, mais qui au final mèneront au ou à la coupable. Et ainsi de suite! Chaque retournement nous fait douter, puis nous remet sur la voie, puis nous refait douter et ainsi de suite à n'en plus finir.  Et le pire?  On aime ça...

Bref, parfois c'est le chemin qui est plus important que la destination.  Ça ne veut pas dire que cela soit moins intéressant pour autant!

@+ Mariane

P.S. Anthony et Kate finissent ensemble...