Salut!
Bon, on a vu ce
qu'est un territoire,
l'emboîtement des échelles,
la répartition des éléments sur celui-ci, comment tout le monde finit par se créer
une carte mentale de ça et qu'
il ne faut pas toujours se fier aux cartes. On en a vu du stock hein? Bon, vu le nombre de personnes qui, ici ou ailleurs m'ont dit qu'ils en apprenaient un bout avec cette série de billets, on va continuer. Le reste des sujets de cette série sera cependant un peu plus pointue que les précédents, qui abordaient les grands concepts de la géographie humaine. Maintenant, intéressons-nous à la façon de se déplacer sur un territoire. Parce que, il a beau être là, si on reste toujours au même endroit, ben... Ça fait pas une grosse histoire...
Une territoire sur lequel vous ne vous déplacez jamais... n'existe pas. Il y aura toujours un à l'intérieur et à l'extérieur. Un à la maison et un au boulot (même si c'est sous le même toit, ceux qui font du télétravail l'auront compris!). Si vous êtes un.e ermite asocial.e richissime, et que vous pouvez vous permettre de ne jamais sortir, votre territoire sera votre chez vous, mais il restera un territoire où vous avez à faire quelque chose de très simple, mais qui est à la base de la notion de territoire: vous y déplacez.
Si votre territoire se réduit à un appartement, tout sera adapté à la marche: passer de la cuisine, au salon, à votre chambre. Votre vision de votre territoire sera celle d'une personne qui marche. Admettons que vous soyez un.e millionnaire, et que par conséquent, vous avez un manoir, vous pourriez avoir des zones que vous parcourez à la course, en planche à roulette, voire en bicyclette. Et votre vision de ces zones sera influencée par la façon dont vous vous y déplacez. Si vous parcourez un corridor précis bien planté sur votre skate, il se peut que la décoration des murs vous soit beaucoup moins familière que celle au-dessus de la télévision...
Pas pour rien que l'on dit et répète que la meilleure façon de découvrir une ville est de la parcourir à pied. La vitesse de déplacement est moins grande en partant, cela est certain. Se déplacer moins vite est l'une des clés pour avoir du temps pour observer. Une autre des clés est de pouvoir observer plus librement. Si vous avez à garder les yeux sur la route parce que vous conduisez, la jolie statue à votre droite n'attirera pas votre attention et il ne sera peut-être pas possible non plus de faire un arrêt pour l'observer. Dommage pour elle. À pied, la donne ne sera pas la même.
Maintenant, imaginez si vous passez à côté de la même statue sur une voie rapide. Dans un train. Dans un bateau qui circule dans la rivière toute proche. À bord d'un hélicoptère qui la survole. Depuis un avion quelques milliers de mètres plus haut. Depuis la station spatiale internationale. Avouez que la statue ne sera pas pareille dans chacun des cas. La façon dont on se déplace dans un territoire influence la vision que l'on a de celle-ci.
J'habite dans un quartier situé sur l'île de Montréal, mais excentrée par rapport au centre. Pour plusieurs de mes amis, venir chez moi est un calvaire qui me vaut des gémissements à chaque fois que j'offre d'organiser un souper (pré-pandémie évidemment!). Pour moi, la situation est relativement simple: on part de chez soi, on prend l'autoroute et excepté s'il y a des travaux ou du trafic, on arrive chez moi relativement facilement. Malheureusement pour moi, beaucoup de mes amis sont des adeptes du transport en commun et pour l'avoir fait à quelques reprises, je sais à quel point venir chez moi est un vrai parcours du combattant par ce moyen de transport. Donc, pour moi, le territoire que j'habite est accessible, mais pas pour mes amis. La façon de se déplacer sur un territoire a donc une influence sur celui-ci. D'ailleurs, quand vient le temps de me rendre au centre-ville pour un 5 à 7 entre amis, je peste à mon tour: mes amis adeptes des transports en commun ne pigent rien aux concepts de travaux, de trafic ou de place de stationnement à trouver.
À une autre échelle (et oui, toujours l'échelle!), pour tous ceux qui n'ont jamais mis les pieds, disons, dans un pays africain, il peut être possible, en se limitant aux images des livres et des bulletins télés, de se faire une image bien partielle de ce vaste territoire. Non, c'est pas partout pareil. Oui, il y a des zones super urbanisées, oui, il y a des zones de savanes, mais entre les deux, y'a des petits villages, des zones péri-urbaines, des beaux quartiers, des quartiers populaires, des cinémas, des tours à bureau, des zones montagneuses, des plantations, des zones minières, pétrolières ou gazières, des zone militaires, des zones de guerres, mais aussi des zones tranquilles. Quand on traverse un pays, on remarque bien plus ses petites particularités. Ce pays-ci a un sol rouge particulier, celui-là est tellement vallonné que l'on passe son temps à monter et à descendre, cet autre est tellement enfoncé dans la jungle que celle-ci s'arrête à la porte des maisons. Si on parcourt le pays au ras du sol, en jeep par exemple, on le verra. Si on le survole, on verra autre chose. Si on le parcourt à pied, on aura droit à un autre visage.
Les ponts, les routes et les autres infrastructures de transport transforment profondément la façon de se déplacer sur un territoire. Si vous aviez parlé de traverser l'île de Montréal du nord au sud en une demie-heure à Paul Chomedey de Maisonneuve et à Jeanne Mance, ils auraient soit ri de vous, soit douté de votre santé mentale... À l'époque, le territoire était entièrement boisé et on devait s'armer pour le traverser, car la menace des Iroquois était toujours présente... C'était une épopée que ce trajet. Pourtant, les gens qui prennent le métro le font de manière courante. La rivière des Prairies ne semblent plus aussi éloignée qu'elle l'était avant du fleuve Saint-Laurent et le territoire qui les sépare a été complètement transformé par la façon dont on s'y déplace. De territoire hostile, il est devenu un territoire familier et accessible. Avec la facilité de déplacement est venue l'urbanisation et l'urbanisation va encore plus transformer le paysage.
Néanmoins, ce qui a le plus transformé la manière de concevoir le territoire au cours des cent dernières années, c'est une invention bien humaine: l'avion. Certes la caravelle a permis de traverser l'Atlantique, mais elle reste un moyen de voyage relativement lent qui oblige à s'adapter au paysage. Regarder par la fenêtre d'un train ou en voiture oblige quand même à être en contact avec lui. L'avion peut faire traverser des distances considérables en quelques heures, pratiquement sans contact avec le territoire. Vous quittez Montréal emmitouflé dans votre manteau d'hiver et vous débarquer dans un pays du sud à 30°C. Entre les deux, le territoire est inexistant pour les passagers de l'avion. On l'observe depuis un hublot, vaguement, mais on en a pas conscience comme tel. Le temps de déplacement devient donc une bulle qui permet de se déplacer d'un endroit à un autre... sans faire de lien entre eux. L'avion crée donc des non-territoires que l'on survole, sans jamais être en contact avec eux. Ces zones sont rocailleuses, luxuriantes, pauvres, violentes, en pleine catastrophe, resplendissante de prospérité, des merveilles de la biodiversité, complètement polluée? On ne saura rien sur elle, comme si elle n'existait dans les faits, pas.
Je me permets ici de faire craquer mes doigts de satisfaction avant d'entamer la partie la plus agréable de mes billets sur la géographie. Le lien avec la fiction. La façon de se déplacer sur un territoire influence la façon dont on perçoit celui-ci. Penser à Star Trek. L'Enterprise se déplace à travers l'espace en utilisant une technologie qui lui permet de «sauter» d'un système solaire à un autre, créant ainsi une série de territoires morcelés, entre lequel rien ne semble exister... et dans lequel le téléspectateur.trice serait vraiment largué d'essayer de les situer sur quelque chose ressemblant à une carte. C'est comme se déplacer en avion parmi les étoiles... Dans la vaste majorité des romans de fantasy, on se déplace à pied ou à cheval. Les obstacles sur la route des héros et héroïnes deviennent partie prenante de l'histoire: on y vit des détours d'intrigues, des obstacles, des deuils et des victoires. La route elle-même, partie prenante du territoire, devient une raison d'être du récit. Pensez à Frodon et à son anneau... Dans ce cas, le déplacement dans le territoire est pratiquement le récit à lui tout seul! Si on se déplace à cheval, le territoire sera vu uniquement par les zones accessible par ce moyen de transports. Si on se déplace en vaisseaux spatiaux, les limites seront moins nombreuses, mais on verra davantage certaines zones comparées à d'autres. Et dans ce cas, le ciel deviendra un territoire, alors que pour les cavaliers, il ne l'est pas.
Bref, bonne trotte tout le monde, peu importe votre moyen de transport!
@+! Mariane