lundi 13 mars 2023

Je peux exister dans cet univers-là

 Salut,

La vieille querelle. Fantastique vs fantasy. Ok, je me permets si vous permettez. Ouais, je devrais plutôt dire que vous permettiez ou non. Je m'en fiche.

Fantastique vs fantasy donc.

J'aime l'expression fantastique. Je l'avoue sans la moindre honte. J'aime la fantasy aussi, pour d'autres raisons. Mais il me semble que dans ma tête, il y a une différence entre les deux.

Pas celle de Todorov, je me fiche du Todorov et de son doute, rien à cirer!

Non, juste que...

Il y a quelques années à un Congrès Boréal. Quelques années, que dis-je une bonne décennie! On est en atelier et soudain, voilà qu'un auteur que j'aime pour le reste de son oeuvre (ok, c'est Yves Meynard!) parle d'urban fantasy. Et ça me fait l'effet d'ongles sur un tableau à craie. Mais c'est de fantastique dont tu parles que je m'écris de ma chaise dans le public. J'ai été refroidi d'un regard noir comme de l'encre. On ne parlera pas de ça m'a écourté ledit auteur (que j'aime pour le reste de son oeuvre!). J'avais prononcé le mot tabou, le mot-qu'on-ne-prononce-pas-en-sa-présence. Bref, j'avais dit fantastique.

Sauf que son expression à lui d'urban fantasy avait écorché mes oreilles de francophile. Pourquoi au juste utiliser une expression anglophone alors qu'une expression en français existait? Pas une exacte traduction, j'avoue. Et elle traînait les casseroles de Todorov en plus, ce qui faisait un boucan d'enfer. Mais n'empêche, fantasy urbaine non plus ne me semblait pas une bonne traduction. Parce que ce dont il parlait aurait aussi bien pu se retrouver en plein milieu d'un champs que sur Broadway.

Bien plus tard et un confinement dans le corps qui donne une envie folle de reprendre les conversations sur les terrasses, j'atterris sur la terrasse d'une amie (une magnifique terrasse, qui vaut le détour avec ses palmiers, enfin dans le temps, et la conversation des ses habitants, bref, la tienne Gen!) où le mot terrible finit par retentir: fantastique. Et là de me faire dire: le fantastique, ce n'est pas le bon mot, c'est fantasy! Et de me faire expliquer que la différence est (entre autres, je n'ai pas tout retenu, la faute à la délicieuse boisson et à son contenu en alcool ingérée ce soir-là) est dans la construction de mondes. Le fameux worldbuilding des anglos. Ok, j'ai surtout retenu cette notion et ladite personne qui m'en a parlé de façon enflammée (pour ceux qui ne connaissent pas Gen, vous n'avez pas encore compris le synonyme du mot passion envers les littératures de l'imaginaire!). Sauf que j'étais sous influence et je n'ai pas su répondre.

Sauf que ma mémoire et mon cerveau fonctionnent parfois au ralenti, mais tournent aussi vite que la roue d'un hamster lancé à pleine vitesse quand il finit par embrayer.

Et après que mon foie a digéré la dose d'alcool, je me suis mise à réfléchir.

Fantastique donc. Je lui suis fidèle.

Mais merde Todorov!

Le doute de Todorov, élément indispensable de la littérature fantastiques ne vaut que pour si qui a été produit dans le sillage de Maupassant et de son Horlà. Un texte qui pour le reste vaut le détour, mais ne nous écartons pas du sujet. Parce qu'avec son fameux doute, il a réduit à la tronçonneuse le concept de fantastique, l'a réduit à un univers dont on peut douter au départ. Alors qu'au fond, le fantastique, c'est l'irruption d'un élément surnaturel dans notre monde. On peut en doute au départ, mais quand cette réalité est acceptée ou qu'elle l'a été avant le début de l'intrigue... ça change quoi à l'histoire?

Soit dit en passant, on devrait dire fantaisie en français, mais un traducteur des premiers contes fantastiques en français a préféré fantastique à fantaisie.  Ce qui fait qu'encore aujourd'hui fantaisie en français réfère bien plus à l'univers des contes de fées qu'à celui des émules de Tolkien. La source de bien des chicanes de nos jours alors que les anglos continuent leur train-train. Même mes amis anglos ont sourcillé quand j'ai dit fantastique. Mais à force de discours enflammés, j'ai fini par leur faire comprendre la différence.

Dans un univers de fantasy, tout est inventé. On peut inventer la gravité, la monnaie, l'histoire, la géographie, la mentalité des gens, la philosophie, la morale n'importe quoi bon!

Pas dans le fantastique. Le fantastique existe parce qu'il tord les lois du ici et maintenant. Sauf en de rares circonstances, la gravité est la même les lois de la majorité sont les mêmes, les éléments magiques se greffent à cet univers par touche, mais gardent une assise dans le monde réel. 

Bref, je n'ai aucune chance de croiser un jour Gandalf, mais je peux croiser n'importe quel personnage de fantastique dans la rue... parfois sans m'en rendre compte. 

C'est cette possibilité, infime, mais réelle, qui continue de me faire tenir à cette distinction: le fantastique a lieu dans mon monde, il en agrandit les possibilités, mais sa base, son fond profond, s'appuie sur ma réalité. La fantasy n'a pas ce scrupule ou cette limite: il fait ce qu'il veut. Source d'inspiration médiévale, oui, grandes lignes de pensées oui, mais est-ce que je pourrais croiser l'un de ses personnages dans la rue en me rendant au boulot? Non. Même pas le jour de l'Halloween. 

Quelque chose en dessous de la surface est fondamentalement différent. Il y a une coupure, une différence qui n'existe pas en fantastique. Celle-ci se nourrit de la réalité courante des êtres humains non-magiques que nous sommes. Les vampires, les loups-garous et les dizaines d'autres font partie de notre monde, ils en connaissent au moins l'existence, doivent composer avec lui. Les frontières, les langues, l'argent, l'art, la culture, ça fait parti de l'arrière-plan, car le fantastique a toujours ses assises dans notre réalité. La fantasy? Elle en est complètement affranchie.

Je peux exister dans l'univers de Harry Potter, de True Blood, de Twilight, de toutes ces séries qui ont envahi nos écrans et nos bibliothèques depuis des années. Pas dans celui du Seigneur des anneaux, de Games of thrones, de La roue du temps. Ça n'a rien à voir avec la construction du monde (bon, quoique Twilight...). True Blood a construit un très riche univers qui s'entremêle avec le nôtre, sous le vernis de la surface et des apparences, voilà qu'apparaît un tout autre univers, inclus dans le nôtre. On traverse la porte invisible qui mène au quai 9¾ et nous sommes toujours ici.. et en même temps ailleurs.

@+ Mariane

P.S. Si vous ne partagez pas mon opinion, sachez que je respecte profondément ce fait. Mais SVP, ne me faites pas perdre mon temps et ne perdez pas le vôtre à essayer de me faire changer d'avis! :P

jeudi 9 mars 2023

Lady Snowblood: 1- Vengeance sanglante de Kazuo Kimura et Kazuo Koike

 Lady Snowblood tome 1 Vengeance sanglante Dessins de Kazuo Kamimura Scénario de Kazuo Koike Sensei 522 pages



Résumé:

Japon, Ère Meiji: Lady Snowblood est une tueuse à gages. Certes, elle coûte une fortune, mais ses services en valent la peine. Grâce à son intelligence, son charme et ses aptitudes au sabre, elle remplit toujours ses mandats, sans jamais être reconnue. Mais qui est cette Lady Snowblood? Et quel secret se cache derrière son visage angélique?

Mon avis:

Je ne suis pas une grande lectrice de manga. Je n'ai jamais vraiment accroché au genre. Cependant, j'avais lu un manga de Kazuo Kamimura il y a plusieurs années et dont j'avais gardé un très bon souvenir. Donc, en fouinant un peu pour donner une nouvelle chance au manga, je suis tombée sur cette série qu'il a dessinée aux côtés du scénariste Kazuo Koike. La quatrième de couverture disait que la série est l'une des sources d'inspiration pour Kill Bill de Quentin Tarantino, film que j'ai adoré. J'ai donc plongé.

Et je ne regrette pas, même si les trois tomes de la série font près de 1400 pages. 

La série raconte les aventures de Lady Snowblood, tueuse à gages habile qui arrive toujours à ses fins, mais aussi personnage qui mène sa quête personnelle. Parce que Yuki, de son vrai nom, est née en prison, d'une mère condamnée à perpétuité pour un meurtre. Sa victime était l'une des quatre personnes qui ont tué son mari et son fils et elle ne peut accomplir sa vengeance envers les trois autres. C'est pourquoi, elle fait tout pour tomber enceinte en prison, et avant de mourir suite à l'accouchement, elle confie la tâche qu'elle n'a pas pu accomplir à sa fille à peine née. La petite Yuki sera élevée par une co-détenue de sa mère et entraînée dès son plus jeune âge, ce qui en fera, arrivé à l'âge adulte, une redoutable combattante, mais aussi une stratège dotée d'un esprit aiguisé.

La série a été publiée en feuilleton et les histoires ne sont pas toutes liées chronologiquement. Par contre, on alterne très tôt entre les contrats de Lady Snowblood et les épisodes consacrés à sa quête personnelle. Dans ce premier tome, on voit surtout jusqu'où elle est prête à aller pour assouvir sa vengeance, mais aussi l'habileté dont elle sait faire preuve dans ses contrats. Parce que loin de se contenter de tirer dans le tas, Yuki maîtrise l'art de vaincre autant par les armes que par la ruse. Les pièges qu'elle tend à ses cibles sont nombreux et elle n'hésite jamais à utiliser son charme et ses attributs physiques pour parvenir à ses fins. Elle ne se contente pas de tuer, elle domine et terrasse ses adversaires, souvent en tapant là où ça fait mal.

Même si elle est très peu loquace et ne parle que peu d'elle-même, Yuki est un personnage à la personnalité bien défini. Elle est téméraire, intelligente, courageuse et calculatrice, mais ça ne l'empêche pas de faire preuve d'une certaine introspection et de se questionner sur ses choix. Elle n'accepte, dans le cadre de la série, que des contrats qui visent des oppresseurs, jamais des opprimés. Et si elle vit et travaille surtout dans les quartiers des plaisirs (une façon gentille de parler des quartiers de prostitution), elle ne fera jamais de victimes innocentes et fera en sorte de protéger les plus faibles en maintes occasions. Elle sait aussi se faire des alliés utiles et est généreuse envers eux. 

La série est violente, très violente même. Il y a  du sang dans presque toutes les pages et même si c'est en noir et blanc, on sent très bien le côté sanglant du personnage. Elle accomplit ses contrats à coups de sabre et n'hésite pas à utiliser sa lame, dissimulée dans son ombrelle, pour tuer. Le manga appartenant au genre des gegika, il y a également beaucoup de nudité. On voit Lady Snowblood entièrement nue à plusieurs occasions, mais en même temps, on ne voit jamais d'organes génitaux de manière directe. Le dessin laisse un blanc dans l'entrejambe de Yuki et si l'on voit des organes masculins, ce n'est pas sur un personnage. Le dessinateur utilise alors des procédés divers pour monter sans montrer (une ombre sur le mur par exemple). 

Le dessin est assez cinématographique. De nombreux plans auraient pu facilement faire le saut au cinéma tel quel. D'ailleurs, il y a une impression que l'auteur fait parfois une série de dessins qui permettent d'imaginer le mouvement entre les cases, sans montrer le mouvement lui-même. Le visage de Lady Snowblood est fort élégamment dessiné, au point où à un moment, un simple froncement de sourcils suffit à nous faire comprendre ce qu'elle pense d'une situation. Je n'ai pas beaucoup de points de comparaison avec d'autres mangas, mais le tracé et le rendu est remarquablement maîtrisé et les découpages de cases sont à l'avenant.

Bref, une très belle découverte! Et oui, j'ai déjà lu les deux autres tomes, critiques à venir!

lundi 27 février 2023

Noter ou ne pas noter, telle est la question

 Salut!

Depuis quelque temps, je vois une tendance se dessiner: on ne note plus les critiques. Plus de séries d'étoiles après une critique de spectacle, de film, d'albums ou encore plus important en ce qui me concerne, de livre. La décision de Lettres québécoises à ce sujet et plus particulièrement l'entrevue qu'avait donné Mélikah Abdelmoumen à la défunte émission Plus on est de fous, plus on lit (que je m'ennuie de cette émission!) m'ont fait beaucoup réfléchir.

Parce qu'après tout, une note, qu'est-ce que ça représente?

Et bien, c'est une façon un peu simpliste de résumer notre opinion sur un livre lorsque l'on en parle. Il y a maintenant fort longtemps, on m'avait demandé ce que disait mon système de note interne au blogue. J'avais pondu ce billet, qui date maintenant de dix ans... Mais un des points que je soulève dans ce billet est très important: la critique reste profondément subjective. 

Et une note? Ishh! Encore plus! J'ai plusieurs fois jonglé avec la note que j'allais accorder à un livre parce que, bien honnêtement, j'étais embêtée. J'ai toujours fait au mieux, mais il y a des fois où je revois une critique que j'ai faite et que je me demande pourquoi au juste j'ai donné cette note. Pas toujours, fort heureusement. Mais parfois.

Mais pas dans le texte de mes critiques. Parce que trois chiffres séparés par une virgule ne peuvent remplacer une argumentation où l'on soulève les points forts, souligne les faiblesses, nuance un détail, explique un effet, gratte un peu plus loin que la surface. Même dans mes critiques les moins réussies, j'ai toujours essayé de rendre mon opinion sur un livre de façon claire et argumentée. J'en suis d'ailleurs très fière, parce que le faire de manière constante au cours des 13 dernières années a été un sacré défi, mais un défi que je suis fière d'avoir relevé, un livre à la fois.

Un autre problème que j'ai toujours eu personnellement avec les critiques notées, un défaut que j'ai d'ailleurs moi-même, c'est la manie qu'ont plusieurs à sauter le texte et à se jeter sur la note finale. Qui ne représente qu'une microscopique partie du boulot que je mets sur cette partie de mon activité de blogueuse. Ah, Prospéryne a mis 4.25 sur 5 à ce livre... et passe à côté du texte que j'ai passé une bonne heure, souvent plus, à peaufiner, à relire, à réfléchir, à retravailler. Pour être sûre et certaine que ce que j'y avais écrit représentait mon exacte pensée sur ce livre. Du boulot que je disais. Alors la pensée que tout le monde saute pour aller regarder la note que j'ai souvent décidée en tout dernier... Mouais, ce n'est peut-être pas une pensée si agréable au fond.

Depuis le début de 2023, je me suis demandé quelle serait la réaction si je ne notais pas mes critiques. J'ai donc publié mes deux premières critiques de l'année sans note. La réponse? Un bruit de criquets. Personne ne semble avoir remarqué ou du moins, ne s'est donné la peine de le souligner. Certes, je n'ai publié que deux critiques (d'autres s'en viennent, promis!), mais ça m'a quand même donné une petite idée: les gens s'habituent à ne pas voir des notes et ceux qui s'intéressent à mon avis savent qu'il vaut mieux lire que de sauter à la fin. Une façon aussi de motiver mes lecteurices à prendre le temps de s'intéresser à ce qui me prend le plus d'énergie.

Alors voilà, plus de notes sur ce blogue. La seule chose que je vais garder qui ressemble à une note, c'est la mention coup de coeur, parce que ça, c'est toujours utile! ;)


@+ Mariane

jeudi 16 février 2023

Crépuscules, Collectif

 Crépuscules  Collectif  Les Six brumes 235 pages


Résumé:

Recueil de nouvelles sur les genres de l'imaginaire, science-fiction, fantasy, horreur, pour les 20 ans de la maison d'édition Les Six brumes et réunissant des auteurices marquants qui ont publié chez eux.

Mon avis:

Diversité est un mot clé de ce recueil, qui va dans les registres de la fantasy, de l'horreur, de la science-fiction et même dans celui des histoires de bûcherons! Un joyeux mélange qui met en scène de très belles plumes. Détail remarquable, le niveau est relativement égal entre les nouvelles du recueil: pas de nouvelles qui se démarquent particulièrement par leur qualité supérieure ou inférieure à la moyenne. La différence est dans les histoires racontées, dans les styles et dans les thèmes abordés, ce qui est très agréable.

Et côté thème, on va dans tous les registres, de l'horreur plus psychologique au fantastique à la Maupassant, de la fantasy classique, à la science-fiction policière. La nouvelle qui introduit le recueil, Du sang sur  le mackinaw de Luc Dagenais donne le ton de ce mélange des genres avec une nouvelle mélangeant l'univers des camps de bûcherons, une enquête sur un meurtre et des amours gais, rédigé dans un registre que n'aurait pas renié Honoré Beaugrand. C'est l'une des nouvelles que j'ai préférée dans le recueil.

Mes autres coups de coeur sont les nouvelles de Pierre-Luc Lafrance, qui avec Retrouvailles, signe une nouvelle qui met en scène deux anciens camarades de classe se croisant à la veille de leurs retrouvailles du secondaire. Une rencontre qui finit par revenir sur les événements arrivés dix ans plus tôt, avec une note fantastique qui se glisse dans le récit au fil de celui-ci, par gouttes. La nouvelle d'Ariane Gélinas, Quatre fois l'île, qui mêle univers nordique, fées et volonté de la nature s'inscrit dans la lignée de ses autres textes. L'érotisme y tient bien sûr une part importante, mais aussi le bizarre et l'étrange s'y glissent. La dernière nouvelle, Crépuscules de Frédéric Durand, est sans doute la plus étonnante et la plus efficace du recueil parce qu'elle met en scène une lectrice lisant le recueil et par un effet de miroir et de mise en abîme, joue avec les perceptions du lecteur sur sa lecture.

En fait, le seul reproche concernant ce recueil est l'ordre dans lequel les nouvelles ont été placées, celles contenant un contenu sexuel explicite se retrouvant placé les unes à la suite des autres et les nouvelles d'horreur elles aussi rassemblées à la queue leu leu. Pour le reste, peu de reproche à faire!

Idéal pour découvrir une grande variété de plumes, autant dans les styles que dans les thèmes.

lundi 13 février 2023

Que serait le texte sans son con?

Salut!

Il m'arrive souvent, quand je texte une anecdote à ma meilleure amie de tourner un peu les coins ronds de l'histoire pour avoir à en écrire moins. Que voulez-vous, je déteste taper sur un clavier de cellulaire! Il arrive souvent qu'elle me réponde d'un retentissant CONTEXTE? parce qu'elle ne comprend rien à mes histoires... Parce que oui, le contexte fournit souvent des éléments qui changent complètement le sens d'un mot, d'une phrase ou d'une réaction.

Est-ce que cela vous est déjà arrivé de regarder la scène d'action finale d'un film d'action sans savoir qui étaient les protagonistes et qui étaient les antagonistes? Moi si. Dans la scène finale, tout le monde se tirait joyeusement dessus et c'était... très confondant. Est-ce que c'est bien que personnage x se fasse tuer, est-ce que personnage y réussi un bon coup ou est-ce qu'elle vient de mettre les héros dans le pétrin? Aucune idée! Quelques minutes plus tard, dans la scène finale, j'ai fini par comprendre qui était qui et ça a été agréable de comprendre. Parce que finalement, ça donnait du sens à la fusillade!

Mon exemple était dans un contexte très précis, mais on peut élargir aussi au contexte plus large. Si on lit le Seigneur des anneaux sans avoir lu Bilbo le Hobbit, on ne pourra pas comprendre pourquoi Bilbo passe autant pour un original aux yeux de ses pairs tout simplement parce qu'on ne connaît pas le personnage avant ses aventures! Qu'il soit un excentrique semble normal, alors qu'avant sa grande aventure aux côtés de Thorin et ses douze compagnons nains, Bilbo était le modèle du hobbit pantouflard et bien ancré dans ses habitudes, surtout concernant les plaisirs de la table. De même, on ne saura rien de la réelle puissance de Gandalf. Et encore, je ne parle pas de toutes les découvertes que l'on peut faire à son sujet en lisant Les Contes et légendes inachevées ou le Silmarillion, tant directe , comme la façon dont il est arrivé en Terre du Milieu et indirecte, comme ses origines et son statut d'Istari.

Donc, un lecteur qui ouvre le Seigneur des Anneaux sans connaître l'univers élargi pourra apprécier une excellente histoire. Mais le lecteur qui connaît le contexte pourra quant à lui voir les allusions, comprendre les réactions, saisir les enjeux plus profonds, bref, il aura une connaissance plus approfondie du récit. Ce qui est, bien souvent, la marque des fans d'une oeuvre est justement de connaître ce contexte, de voir les liens, petits et grands et de s'en délecter, d'en débattre. Dépassé un certain point par contre, on peut en devenir fou au point d'en rabattre les oreilles à tout le monde et de devenir tatillon sur le moindre détail.

Mais que ce soit pour une petite oeuvre ou une grande, le contexte reste important. Aucun personnage ne peut agir dans le vide et même encore là, le vide peut-être porteur d'un contexte. Comment le personnage est-il arrivé là, d'où il part, quel était son but en arrivant là, était-il en fuite, en mission, est-il tombé dans un piège, est-il en train de se cacher, prépare-t-il un coup? Ce sont tous ces éléments qui doivent être là pour que les actions d'un personnage prennent du sens. 

Le con de contexte ne rend pas le texte plus stupide, mais plus intelligent. D'ailleurs, les racines latines du mot le relient aux sens d'assemblage, réunion, enchaînement. On ajoute au texte, on ajoute à l'histoire. 

Bref, on ajoute du contexte!

@+ Mariane

lundi 30 janvier 2023

Tous ceux que l'on n'adapte pas

 Salut!

L'autre jour, je me mettais à penser à tous les films adaptés de romans que j'avais vus dans ma vie. Il y en a... beaucoup. Aujourd'hui, un film est presque une garantie que le livre restera dans l'imaginaire collectif. Après la trilogie de Peter Jackson, pas sûre que le Seigneur des Anneaux prendra le chemin des oubliettes! Ceci n'était bien sûr qu'un exemple parmi d'autres. Il y a un effet d'entraînement du film vers le livre. Pas pour rien que les éditeurs s'empressent de mettre l'affiche du film sur la couverture d'un livre qui est adapté! Les deux industries se nourrissent l'une et l'autre. Les deux formes, l'adaptée et l'originale deviennent les facettes d'une même oeuvre. 

Sauf que ce n'est pas tout qui est adapté! Même si en regardant en comparant la liste des scénarios originaux et ceux adaptés, on peut avoir l'impression d'une déferlante de ces deuxièmes, en fait, c'est une infime minorité qui a la chance de prendre vie à l'écran. Certes, que les séries télé prennent maintenant part au mouvement agrandit le bassin potentiel, mais ça ne change pas le fait que pour des milliers de livres publiés chaque année, quelques dixièmes de pourcentage passeront à l'écran. Et encore... certains ont droit à plusieurs adaptations et d'autres... aucune!

Si on parle de grands succès internationaux, certains titres, comme Les Trois Mousquetaires d'Alexandre Dumas, peuvent même avoir droit à leur propre page Wikipédia tellement les adaptations ont été nombreuses! Mais, puisque je suis québécoise, je vais faire un brin ma chauvine et parler d'adaptations de romans d'ici. Comme le sujet est déjà très vaste, je vais me contenter de parler de littérature du terroir. Pour ceux qui viennent de bailler, je le fais simplement parce que de un: tout le monde ici en a lu au moins un sur les bancs d'écoles et de deux, on a presque tous entendu parler d'un moins un ou deux autres titres. Je vais donc pouvoir comparer des pommes avec des pommes (d'autant plus qu'il ne pousse pas d'oranges au Québec).

Maria Chapdelaine a été adapté quatre fois. Le Survenant a été adapté en série radiophonique, à la télévision et au cinéma. Et je ne ferais pas la liste des adaptations d'Un homme et son péché... La vie de ces romans a eu droit à un nouvel essor grâce au passage à l'écran, allant chercher un nouveau public avec chaque adaptation. Mais combien d'autres romans n'ont pas eu droit à leur moment de gloire sur pellicule? Aucune adaptation de Trente arpents de Ringuet, pas plus que de Menaud Maître-Draveur, j'avais vu l'ombre d'un projet d'adaptation des Engagés du Grand-Portage, à mon grand regret. Pourtant, ce sont les compagnons d'étagère des trois précédents. Pourquoi les adaptations des uns se multiplient, alors que les autres soupirent d'envie sur leurs tablettes?

Il ne s'agit pas de qualité littéraire. Les six oeuvres que j'ai mentionnées ont toutes été reconnues par la critique à leur parution, font parti du corpus littéraire, sont étudiées à l'université et se retrouvent régulièrement au menu des programmes scolaires, au grand déplaisir d'une partie de ceux qui ont à les lire. Ils font même partie du même mouvement littéraire, sont situés dans le même genre de décors et à la même époque, alors, ça ne devrait pas être beaucoup plus compliqué à adapter que ceux qui passent à l'écran encore et encore!

Je n'ai pas de réponse précise. Il y a une grosse part de hasard. Il suffit qu'une personne, producteur.ice, scénariste, réalisateur.ice se passionne pour une oeuvre pour que les chances de le retrouver à l'écran bondissent. La manie de refaire pour reproduire le succès doit aussi jouer son rôle. Ce qui au fond me désole, c'est que certaines oeuvres, qui pourraient pourtant avoir un écho très profond avec les problématiques actuelles prennent la poussière. 

Et encore, je n'ai en tête que la littérature du terroir. Il y a encore plus à découvrir si on élargit ses horizons. Encore plus dont on peut déplorer l'absence aussi.

@+ Mariane

jeudi 19 janvier 2023

La chambre de Giovanni de James Baldwin

 La chambre de Giovanni  James Baldwin Rivages 238 pages


Résumé:
Paris, années 1950: David est dans une maison, dans le sud de la France. Hella, sa fiancée, vient de le quitter. Et Giovanni, il le sait, va mourir le lendemain. Pour ce jeune américain perdu à Paris, la rencontre avec ce bel italien a été plus qu'un coup de foudre, une révélation sur ce qu'il est, sur sa nature profonde, Mais à une époque où l'homosexualité vit aux marges de la société et est soumise à tant de préjugés, faire le choix d'accepter cette partie de soi-même n'est pas un choix que tous sont prêts à faire.

Mon avis:
Lire du James Baldwin est plongé dans un océan de nuances émotionnelles, subtiles, comme une palette de couleurs étalées devant soi qui nous apprendrait tout sur les personnages dont on partage les aventures. Ici, il s'attaque, en plein milieu des années 1950 (le livre a été publié à l'origine en 1956) à l'homosexualité masculine, mais aussi l'impact de ce que repousser, nier, vouloir tuer cette partie de soi a comme impact sur la vie, la santé mentale et même j'oserais dire l'âme de ceux (et celles!) qui ne peuvent accepter ce qu'ils sont. 

Le personnage principal, David, sait ce qu'il est, mais il le refuse, essaie de vivre autrement, a une liaison avec une femme, mais est incapable de vraiment aimer, vraiment se donner. Malgré tout, cette partie refoulée de lui refait surface, un peu malgré lui. À Paris, alors qu'il débarque de son Amérique encore puritaine, un milieu gai qu'il fréquente sans vraiment s'y mêler a compris ce qu'il est. Il ne veut pas l'admettre, mais eux le sentent. C'est là, un soir, qu'il rencontre Giovanni. Ce coup de foudre sera aussi un dur coup dans sa vie, parce que dès lors, il ne peut plus nier ce qu'il s'efforce de refouler depuis si longtemps. Les conséquences de cet amour seront funestes, mais c'est surtout sur ce qu'elles révèlent à David qui seront atroces: sa haine de soi internalisée depuis tant d'années, ne disparaît pas en claquant des doigts.

La chambre de Giovanni, lieu de leurs amours, est à la fois un révélateur et une prison, car c'est pour la durée de son séjour dans cette chambre que David aimera Giovanni. Mais il ne veut pas d'un engagement, pas d'un séjour à long terme, déchiré entre ce que son coeur lui dicte et ce que son esprit a assimilé. Le narrateur est David et on sent à travers le récit les immenses conséquences que le déni face à son homosexualité ont sur sa vie, sur son mal de vivre. Mais aussi les pressions internalisées de la société, une certaine vision de la virilité qui le coupe de son être et le pousse à prendre des décisions qui ne peuvent que le faire souffrir. Quand Giovanni essaie d'agrandir la minuscule pièce en voulant réduire l'épaisseur des murs, on sent qu'il essaie de créer de l'espace pour que David s'y sente bien. Mais David voit cela comme une futilité. Il est incapable de s'imaginer vivre dans cette pièce à long terme, il ne la supporte presque pas et tout ce que son amant fait pour essayer de le convaincre de rester ne servira à rien. Histoire tragique, classique, d'un homme qui, incapable de s'aimer lui-même est aussi incapable d'aimer les autres.

La plongée dans le milieu gai de Paris est aussi intéressante. Certes, les hommes ne sont pas tous tendres les uns envers les autres. Beaucoup de jugements et pas mal de bavardages alimentent les nuits dans un bar clandestin où tous peuvent enfin être eux-mêmes. Mais la liberté d'être et d'exister qu'ils ont à cet endroit est magnifique. Attention à ceux qui voudront lire le livre aujourd'hui, de nombreux mots sont maintenant considérés comme inacceptables sont utilisées sans le moindre problème de la part de tous les personnages. Certains personnages sont très archétypaux, mais aucun n'est en carton: leurs psychés, les débats intérieurs qui les animent, les sacrifices, la souffrance, les jeux de pouvoir mêmes sont finement dessinés.

La mort de Giovanni clôt le livre. Ce n'est pas une surprise, c'est annoncé dès le début. Mais l'impact de cette mort sur David est sans doute la partie la plus douloureuse et la plus tragique, car elle aurait pu être évitée s'il avait accepté de s'aimer lui-même tel qu'il est.