lundi 28 février 2022

Le pouvoir d'empathie des livres

Salut!

Vous savez, je n'ai jamais été sur un vieux rafiot crachotant une fumée noire en train de fuir mon pays d'origine empêtré dans une guerre.  Pas du tout.  Mais si je ferme les yeux, je peux m'imaginer y être, tout ça parce que Kim Thuy, dans son magnifique me l'a raconté.  Elle m'a raconté la peur, le danger, elle m'a raconté aussi l'angoisse, l'odeur du moteur que tout le monde craint de voir s'arrêter, la nuit noire, la saveur des biscuits qu'ils ont mangés, imbibés d'huile à moteur et qu'elle a malgré tout avalés parce qu'il n'y avait rien d'autre...

Des dizaines d'auteurs m'ont ainsi raconté leurs histoires, parfois la leur, parfois une autre, imaginée par eux.  Ils m'ont appris comment on fait un feu à partir de brindilles, comment on teint la laine et qu'on la tisse, comment on récolte les fraises sauvages et des dizaines et des dizaines d'autres choses.  C'est l'art de l'auteur de nous décrire comment on fabrique des dizaines d'objets, comment on se débrouille dans la nature, mais il y a plus.

Je n'ai jamais souffert de la faim, celle avec un grand F, celle qui déchire le ventre et qui fait faire des choses qu'on ne ferait pas autrement.  Mais je l'ai lu très souvent.  Je peux décrire ses sensations, comment elle transforme les sens, comment elle tord le ventre et rend sensible à tant de détails, petits et grands, qu'autrement, on ne remarque pas.  

Je n'ai jamais eu peur au point de craindre pour ma vie, mais je connais la peur, parce qu'on me l'a décrit.  Je n'ai jamais connu la pauvreté, mais le déchirement qu'elle cause, la griffure de son impact sur l'âme, même si ce n'est que pour de petites choses, je la connais.

Je n'ai jamais été dans un pays en guerre, mais je comprends les ravages que cela fait sur les relations sociales, combien on en vient à se méfier de tout le monde, combien le moindre geste, la moindre parole, peut décider de sa vie ou de sa mort.

Je n'ai jamais été trompée par un.e amoureux.se, mais j'ai lu bien des fois l'atroce déchirement que cela fait à la confiance, en soi et dans les autres, à l'amour, toutes les répercussions que ce manque de confiance finit par avoir, sur la personne qui trompe, la personne trompée et sur toutes les autres qui les entourent.

Parce qu'on l'a écrit et mieux, on l'a écrit en me parlant d'une personne.  Jeune, vieille, homme, femme, enfant, adolescent, riche, pauvre, privilégiée ou non, quelque soit la couleur de sa peau, son origine, sa foi son orientation sexuelle, son identité de genre ou ce qu'elle désire: pouvoir, éducation, dignité, etc.  C'est à travers cette personne que j'ai compris. Cette personne qui peut n'avoir existé d'abord que dans la tête de celui ou celle qui l'a écrit. Ce n'est peut-être même pas une vraie personne, ni même inspirée d'une vraie personne.  C'est un personnage, mais ce personnage peut nous faire ressentir tellement d'émotions qu'il en devient presque vrai.

C'est l'un des nombreux pouvoirs de la littérature: nous permettre l'empathie.  De marcher quelques kilomètres dans les souliers de quelqu'un d'autre, de faire l'expérience de leur propre vie, de leur point de vue.  Certes, on peut le faire d'une autre manière: la télévision, le cinéma, le journalisme, les biographies, etc, mais la littérature a ceci de particulier qu'elle nous permet de plonger profondément dans les pensées et les sensations d'un individu.  De nous mettre à sa place.

La science a déjà prouvé que la lecture permet de développer l'empathie.  On ne lit pas en se disant: je vais développer ma capacité à comprendre les autres, non, c'est un effet secondaire.  Ce qui est merveilleux, c'est que cela se fait naturellement, sans que l'on s'en rende vraiment compte.  Tout simplement parce que lorsque l'on est assit en train de lire un livre, on ne pense pas que l'on est en train d'apprendre à son cerveau à se mettre dans les souliers de quelqu'un d'autre, à sortir de notre propre cadre de pensée, de comprendre que différent ne veut pas dire dangereux et qu'il y a autant de beauté que de laideur dans toutes les cultures du monde : on est emporté par la magie d'une histoire, l'un des plus grands plaisirs de l'humanité depuis des temps immémoriaux.

@+ Mariane

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