lundi 31 octobre 2022

Les légendes font de la mauvaise Histoire, mais de très bons livres

 Salut,

J'étais dans un lancement de livres l'autre jour (joie retrouvée après deux ans de disette pandémique) lorsque l'auteur, interrogé sur ses sources par un historien, a tout simplement avoué que les sources historiques étaient peu nombreuses, mais que les légendes abondaient sur le sujet. Il a alors lancé une phrase qui m'a fait réfléchir: «Les légendes font de la mauvaise Histoire, mais de très bons livres.»

Je suis tout à fait d'accord avec ce que l'auteur a dit, mais surtout parce que cette phrase résume si bien: les légendes et l'Histoire ont une base en commun, mais divergent profondément sur à peu près tout le reste.


L'Histoire est basée sur l'étude des traces du passé, avec ses méthodes et ses techniques. Non, on ne s'improvise pas historien ou historienne et non, on ne peut pas faire de l'Histoire sérieusement sans un sacré travail derrière. Entre chercher des documents d'époques, les trouver, les analyser, les faire parler, appuyer tout ce que l'on avance sur ces sources, interpréter les faits pour qu'ils nous informent sur le passé sans tomber dans le farfelu ou se laisser emporter par des chimères ou nos biais conscients ou inconscients, ça demande une grande somme de travail et surtout, de rigueur. Et le résultat? Il peut être aussi obscur et pointu que grand public et convivial, dépendant de qui le produit et du public visé. 


Mais surtout, l'Histoire se base sur des faits vérifiables et prouvés.


Les légendes n'ont aucunement ce problème.


Par définition, une légende n'a pas besoin d'être prouvée au départ. Elle peut être grandiose, improbable, obscure ou perdue dans les limbes du temps. Sauf qu'elle reposera, à différents degrés, sur un fait. Souvent lointain, pris isolément d'un contexte plus large, mais un fait tout de même. Oui, le roi Arthur aurait bel et bien existé, mais son royaume et sa cour ont sûrement été à des années-lumière de ce qui est représenté dans les mythes arthuriens. Oui, les Templiers ont bel et bien existé, mais la malédiction du dernier de ses grands maîtres, Jacques Maulay, sur les rois de France... ne l'est sans doute pas. Mais reste qu'une légende repose sur une possibilité, aussi mince soit-elle, qu'elle soit vraie. Et il faut avouer que les légendes sont pas mal plus emballantes et vendeuses que l'Histoire, qui n'ose jamais faire un seul pas de côté sur ce qu'elle ne peut pas prouver.


Quand on arrive au niveau de la fiction, les livres historiques demandent donc une quantité de recherche faramineuse et une grande minutie à leurs patients rédacteurices. Car écrire un roman historique est un travail de moine, excusez-moi l'expression. Parce que la plus petite erreur peut leur être remise sous le nez. Je me rappelle une anecdote racontée par Michel David qui s'était fait dire par un lecteur que son personnage préféré était celui du nageur. Michel David essayait en vain de se rappeler d'un personnage de nageur dans son oeuvre quand le lecteur lui a dit qu'un de ceux-ci traversait à un moment un pont qui a été construit un an après dans la réalité!


Mais les légendes... Tant que l'histoire que l'on raconte se tient, on se fout de l'Histoire avec un grand H. Tout est permis. Les dates perdent de leur importance, les grands personnages historiques peuvent dire des choses qu'ils n'ont jamais dites historiquement parlant et de simples événements anodins devenir de superbes revirements. Mais surtout, on peut se permettre d'inventer autre chose, un monde différent.. sur les bases de quelque chose de réel, donc de quelque chose qui aurait pu arriver dans notre propre monde et qui est parfois peut-être même arrivé, mais on ne sait pas, on n'a pas de preuve, sauf que peut-être... Quelle merveille pour celui ou celle qui prend la plume!

Dans l'oeil du public non averti, l'Histoire et la légende sont d'ailleurs bien proches. Malheureusement. L'un comme l'autre peuvent être la source de merveilleux livres. Sauf qu'il faut bien avouer que seule l'Histoire a le mérite d'être vraie.

@+ Mariane

lundi 17 octobre 2022

L'herbe est toujours plus verte dans le livre

Salut!

Quand les multiples controverses (la plupart justifiées) sont tombées sur JK Rowling, je fais partie de ceux qui sont tombés des nues. Mais aussi de ceux qui se sont retrouvés dans un dilemme cornélien. Oui, mais j'aime Harry Potter. Oui, mais JK Rowling! Oui, mais Harry Potter... Oui, mais l'auteure! Bref...

Au-delà du, on doit séparer l'oeuvre de l'artiste (qui a majoritairement servi à justifier le comportement injustifiable de pas mal d'hommes, juste parce qu'ils étaient des artistes brillants), je ne trouvais pas de réponse. Il ne semblait pas y avoir d'alternative entre tourner carrément le dos à l'oeuvre ou rester en ayant honte et en même temps... en continuant à tripper sur les aventures d'Harry, Ron et Hermione. Parce que c'est sur eux, avant tout, que mon attirance vers l'oeuvre va. Oui, JK Rowling a conçu un narratif autour de sa vie, oui, elle a été dans la pauvreté et a su se tirer de là par son imaginaire. Oui, elle en a bavé et elle a su triompher. On aime les histoires de gens qui partent de rien et qui réussissent après tout. Ça n'excuse pas ses commentaires plus récents. Ni son entêtement à rester dans ses idées et à refuser d'écouter ceux qui lui parlent.

Et moi, je suis un peu restée mêlée, jusqu'à ce que je vois cette vidéo sur YouTube. Je vous encourage à la regarder au complet. On parle de JK Rowling, mais aussi de Joss Whedon et de Mel Gibson. Ce n'est pas une vidéo qui juge, mais qui essaie de comprendre avec beaucoup de nuances. Et ça m'a fait beaucoup de bien.

Sans reprendre toute cette vidéo, je pense qu'une idée qu'elle développe est très valable: quand les artistes produisent, ils produisent l'œuvre qui représente le monde tel qu'ils et qu'elles veulent qu'il soit, pas tel qu'ils et qu'elles sont eux-mêmes. L'œuvre est une métaphore du monde qu'ils et qu'elles désirent. Un monde dans lequel on accepte la différence, on pardonne à ceux qui nous font mal et qui se tient debout devant les injustices, comme dans Harry Potter par exemple.

C'est facile en papier, surtout quand l'artiste qui tient la plume contrôle tous les paramètres. C'est foutument dur dans la vraie vie quand ça peut vous tomber dessus à tout moment, que vous soyez fatigué.e.s, malade.s, frustré.e.s par une autre situation ou encore tout simplement pas alerte ce jour-là. La vraie vie est pas mal plus dure que la fiction. Je sais que je peux réécrire mille fois un texte avant qu'il soit publié. Dans la réalité, j'ai une chance et elle se joue en millisecondes. Pour des tas de gens, la réponse ne va pas être la bonne ou on aura l'impression de s'être plantée, on se reprochera pendant des jours une mauvaise réaction, on se rendra compte après coup qu'on a loupé une belle occasion de se tenir debout. Bref, dans la vraie vie, on est humain et donc on est faillible.

Dans la fiction, on voit le monde tel qu'on voudrait qu'il soit et on est inspiré par lui. Alors quand on se rend compte que la personne qui l'a produit n'applique pas les mêmes principes dans sa propre vie... la chute est rude. Parce qu'on perd avant tout notre source d'inspiration, notre petite poussée en avant, notre coup de pied qui nous pousse à devenir meilleur.e.s. Oui, en effet. Mais ce n'est pas dans l'artiste que l'on a trouvé l'inspiration avant tout, c'est dans son œuvre.

L'artiste est un être humain. Ils ou elles rêvent aussi et ils ou elles mettent dans leurs créations ce qu'ils désirent et non ce qui est. Ils ou elles peuvent faillir comme êtres humains. Et même faire l'inverse de ce qu'ils promeuvent dans leurs œuvres, parce que le créer est une chose, l'être est une autre.

Ça ne résout en rien le dilemme éthique auquel font face tous les lecteurices du monde quand leurs auteurices favoris ne sont pas dans la vraie vie comme les protagonistes de leurs œuvres. C'est juste que je comprends mieux le mien : j'aimerais vivre dans le monde de Harry Potter à cause des valeurs qu'il prône, pas à cause de JK Rowling. D'une certaine façon, elle a mis le meilleur d'elle-même dans son œuvre. Autant profiter de cette partie et faire du mieux qu'on peut avec le reste.

@+ Mariane

lundi 3 octobre 2022

De la contamination de l'imaginaire

 Salut,

L'autre jour, je me repassais dans ma vie quelques grands classiques. Dickens, Poe, Stevenson, Caroll, Doyle, je me faisais un plaisir à me remémorer mes lectures et à plonger dans ces histoires qui ont fait le tour du monde. Sauf qu'à un moment donné, un fait m'a fait sursauter comme si j'avais reçu un coup dans le ventre: aucune des œuvres auquel j'avais pensé n'avait été écrite en français...

Pourtant, nombre d'histoires ont été écrites en français à la même époque et sont aussi des chefs-d'œuvre. Par ici les Dumas, Verne et cie. Mais leur influence diminue avec le temps. Les classiques qui envahissent nos univers sont souvent ceux qui ont nourri l'imaginaire de gens vivant dans une autre langue que celle dans laquelle j'ai grandi: l'anglais.

Je n'ai rien contre l'anglais comme tel. Mais j'en ai contre le système qui fait que beaucoup de ce qui a été produit en anglais finira par être traduit et trouvera un nouvel écho dans d'autres langues, alors que moi, qui écrit et qui vit en français a des chances infinitésimales de trouver pareil écho en anglais. Question de marché, certes, mais aussi question de culture. Je suis habituée à vivre dans un univers de traduction, où le 221b Baker Street a une signification. Mais si j'étais habituée à ne connaître que des œuvres qui ont été pensées et produites dans ma langue, avec mes codes culturels, lire rue St-Denis ou avenue Mont-Royal dans une œuvre peut me faire sursauter. Parce que ça ne ne me parlera pas autant. Ce sera la culture d'une autre personne, d'un autre groupe, alors que ma propre culture pourra sembler plus universelle. Même si elle ne l'est pas nécessairement.

Ce mouvement qui part de pays qui sont majoritairement anglophones n'est pas anodin: c'est aussi une façon de prolonger au niveau culturel les relations de pouvoir économiques et politiques déjà existantes. Et même, je parle de l'anglais, mais tout n'est pas égal: un auteur américain aura plus de chance qu'un auteur britannique ou qu'un auteur canadien à ce grand jeu. Les relations de pouvoirs entrent en jeu là aussi: ceux qui sont au sommet auront tendance à privilégier ceux qu'ils connaissent. Pour le succès d'une Margaret Atwood, combien d'auteurs moins talentueux, mais avec un drapeau à cinquante étoiles sur leur passeport seront traduits, adaptés au cinéma et auront la chance de se faire connaître au-delà de leurs frontières? 

Et encore là, même au sein des États-Unis, les voix de personnes racisées ou marginalisées seront moins entendues. Rien n'est simple.

L'imaginaire se construit jeune. Être habituée à connaître des voix qui ne viennent pas du même contexte que nous avec des codes culturels différents est essentiel. Apprendre que d'autres langues existent et apprécier les œuvres qui en proviennent aussi. Le hic, c'est que ce mouvement doit être réciproque. Si on ne maîtrise pas une seconde langue, la traduction existe, mais encore faut-il qu'elle soit de bonne qualité, ce qui n'est pas toujours le cas. L'échange est de loin préférable.

Cette contagion de l'imaginaire finit par être telle que l'on se reconnaît de moins en moins dans les oeuvres qui ont été produites dans notre propre langue que celle qui se passe dans une ville à des milliers de kilomètres de chez nous. Et peut finir à long terme par diminuer la valeur de notre propre culture à nos propres yeux.

@+ Mariane