jeudi 28 novembre 2024

La reine oubliée: 3- L'homme de Césarée de Françoise Chandernagor

 La reine oubliée tome 3 L'homme de Césarée Françoise Chandernagor Albin Michel 427 pages


Résumé:
L'homme de Césarée, c'est cet homme que Sélénée, âgée de vingt ans à peine, épouse sans l'avoir même rencontré. Il s'appelle Juba et est roi de Maurétanie, un royaume indépendant, mais allié à Rome, situé sur les rivages de l'Afrique. Loin d'être un barbare, le nouvel époux de Sélénée est un homme érudit, féru d'histoire et lui-même auteur de plusieurs livres. Si leur nuit de noces est un échec, ils développeront lentement une relation solide, basée sur un profond respect mutuel, qui sans être une grande histoire d'amour leur apporte tous les deux ce qu'ils cherchent: lui, un héritier et elle, une façon de prolonger sa lignée, afin qu'un jour, quelqu'un puisse exercer la vengeance contre eux qui ont détruit sa famille. Le premier sur sa liste? Auguste.

Mon avis:
Ce livre a un rythme lent, comme si nous étions sur un bateau qui défile sur le Nil, contemplant le paysage qui change lentement. Et pourtant, l'histoire avance, petit à petit. On retrouve Sélénée à son arrivée à Césarée, qui lui rappelle tant Alexandrie en version réduite. On la suivra sur la décennie suivante, entre allers-retours à Rome et la naissance de ses enfants. Mais surtout, on la suivra dans sa psyché, celle qui reste marquée en elle comme au fer rouge: l'Égypte, royaume de son enfance et Auguste, qui a assassiné ses parents. Sélénée veut être vengée, mais elle sait qu'elle ne sera pas celle qui pourra l'accomplir, elle qui ne sait pas manier une épée ni diriger des hommes. C'est pourquoi elle souhaite tant que la suite passe par sa lignée, qu'elle souhaite par-dessus tout prolonger.

Cette idée de vengeance est celle qui sous-tend toute la vie, tous les actes de Sélénée. Ça la rend parfois aveugle à d'autres réalités, mais on ne peut pas dire qu'elle manque de continuité. Malgré tout, le sort ne lui sera pas toujours favorable. D'abord, ce long moment avant de concevoir son premier enfant. Puis, surtout, voir le triomphe d'Auguste, encore et encore. Car loin, d'être isolée, la reine Sélénée est très bien informée des intrigues de Rome, des décisions politiques, des coups de théâtres, des combats, là-bas en Germanie, mais aussi des assassinats dans le royaume de Judée ou de l'éternelle question du roi d'Arménie.

Car au-delà du seul personnage, dont l'exploration de la vie intérieure est fascinante, c'est le voyage dans la Rome antique, comme si on y était, qui fascine. L'autrice a l'art de nous faire voyager dans cette époque sans trop qu'on y prête attention, mais avec une vivacité remarquable. De légers détails lui permettent de faire des apartés qui, sans alourdir le moins du monde le texte, nous font découvrir tel aspect des bains, tel détail du commerce, tel douloureuse vérité du fameux cirque romain. Il en ressort un vérité qui parfois peut faire oublier que l'on est bel et bien dans un roman et que parfois, l'autrice prend de petites libertés avec l'histoire pour mieux nous faire revivre celle-ci.

Un magnifique voyage qui se terminera avec le tome 4 de cette série, mais quel voyage!


lundi 4 novembre 2024

Les petites mains qui paient

 Salut!

Dans le langage des maisons de haute couture, les petites mains sont les innombrables ouvrières qui réalisent les robes de rêve qui défilent sur les podiums. Tailleuse, brodeuse, plieuse, ourleuse, perleuse  et autre sont des femmes (le plus souvent) qui ont du métier et de l'expérience dans leur domaine. Leur immense talent est souvent précis, dans un domaine particulier, mais il est indispensable pour la réalisation du but final de l'entreprise: créer des vêtements destinés à attirer le regard et à briller de mille feux. 

Sans elles, pas de mannequins, pas de défilés, pas de photos léchées dans les magasines, pas de tapis rouge et même au global, d'industrie de la mode.

Toutefois, à part les gens qui travaillent au sein de l'industrie, personne ne peut nommer le nom d'aucune d'entre elles. Même si leur travail est indispensable. Tous n'en ont que pour le ou la designer. C'est l'esprit créatif derrière les vêtements, c'est à cette personne que vont tous les éloges et le mérite. Sans une bonne équipe toutefois, rien ne peut exister. 

C'est à toutes ces personnes de l'ombre derrière les grandes créations auquel j'ai pensé lorsque le scandale concernant le comportement de Neil Gaiman a surgi dans les médias. Parce que le prolifique auteur était surtout connu ces dernières années pour son travail d'adaptation de ses oeuvres au petit écran. The Good Omens pour n'en nommer qu'un seul, qui avait une troisième saison complète de prévue, n'aura finalement droit qu'à un final de 90 minutes. Bon, entendons-nous, David Tennant et Michael Sheen vont se retrouver du boulot, je ne suis pas inquiète pour eux. Mais les décorateurs, maquilleuses, coiffeuses, éclairagistes, preneurs de sons et toutes ces autres personnes indispensables à une production télévisée se retrouvent elles, au chômage. Ils sont indispensables au succès de cette série, mais ils aussi sont les premiers à souffrir de l'annulation prématurée de celle-ci. Ainsi en a-t-il été des employés de The Weinstein compagny: ils n'avaient rien à voir avec les agissements de leur patron, ils se sont quand même retrouvés au chômage. 

L'impact des agissements de certaines personnes, le plus souvent des hommes, dans la sphère de leur intimité, dépasse largement le cadre de celle-ci. Tant mieux pourrait-on se dire, tellement certains d'entre eux ont pu agir dans l'obscurité en parfaits salauds, voir en criminels et continuer leur carrière sans le moindre problème. Ceci dit, l'impact sur les autres personnes impliquées dans leurs projets est disproportionné: eux et elles n'ont rien à voir avec ces actes... Mais ils devront de nouveau se trouver un boulot pour mettre du pain sur la table dans un milieu où il y a toujours beaucoup d'appelés, mais peu d'élus.

Tout ça parce que les idées, la création, l'imagination sont encore entourées d'un aura de mystère qui fait que les créateurs ont un statut à part. Ils sont le sommet de la pyramide, mais on oublie si facilement qu'une pierre au sommet d'une pyramide n'est rien sans les centaines d'autres qui sont en dessous d'elle. On pourrait dire la même chose d'une maison d'édition: les auteurs sont sur le devant de la scène, mais les directeurices littéraires, les réviseuses, les responsables de la promotion, tout ce beau monde en prendra pour son rhume si l'une de leurs plumes est éclaboussée par un scandale.

Pas pour rien que l'on en vienne à mettre de la pression sur les créateurs pour garder leur vie intime en ordre: de là dépend beaucoup de choses. L'éléphant dans la pièce est que cela aurait toujours dû être ainsi. Le rééquilibrage des privilèges que l'on vit est dur, mais nécessaire. Il y aura encore beaucoup de chute du piédestal et de personnes dont on découvrira que l'image ne correspondait pas à la personne. Sauf que remettre les pendules à l'heure a un coût. Et c'est surtout cruel pour toutes les petites mains qui paient pour les actions des autres.

@+ Mariane