Il y a une partie de moi qui tremble un peu en écrivant ses mots. Mes petits coussinets de chat effleurent un terrain où je ne suis pas encore à l'aise. Même si ce dont je vais parler relève de l'évidence pour certains, j'approche d'une zone qui est à la fois très sensible et très profonde, alors permettez que j'y aille doucement.
J'ai récemment fait du ménage dans des paperasses vieilles de plusieurs années. J'ai retrouvé un cartable plein de textes que j'avais écrit. Certains datent de plus de vingt ans. J'ai rougi un peu en les relisant: que de naïveté dans ces textes! Mais surtout, ça m'a remis en lumière une chose que je fais depuis une éternité: écrire. Et prendre des notes pour des projets qui sont souvent restés à l'état de projets. Mine de rien, j'en aie quand même pas mal, à l'étroit dans de vieux cartables d'école qui date du secondaire (j'étais très précautionneuse avec mes cartables!), d'autres qui sont autant de fichiers informatiques qui traînent dans mon ordi et qui forment une longue chaîne depuis mon tout premier ordinateur qui lui, doit bien dater d'il y a vingt ans. Je pense surtout à ce qui pourrait être une petite nouvelle, écrit sur du vieux papier à bretelle, ce qui vous dit à quel point il est vieux! Un souvenir. Je ne me souvenais même pas de l'avoir gardé. Écrit oui, mais je pensais que cela c'était perdu au fil de mes déménagements. Celui-là, je le relis et je me dis encore, hé, il y a quelque chose là! Mais entre écrire un texte et penser au mot qui désigne la personne qui écrit et l'appliquer à moi-même, il y a là un gouffre immense.
Je regarde les auteurs que je connais autour de moi et il y a en moi une partie d'admiration et une pointe d'envie. Pas que je sois jalouse, c'est un sentiment que je ressens rarement, mais plutôt, un comment font-ils? Pas comment font-ils pour s'asseoir et pondre des histoires si magnifiques, mais plutôt, comment font-ils pour assumer leur rêve? Devant tout le monde? Sans gêne? Ce rêve-là est tellement profond et puissant en moi que de le faire sortir, c'est quelque chose de si terriblement intime que je n'ai jamais osé en parler. Je me contentais d'y penser, d'accumuler des idées sur des bouts de papier, de remplir des cahiers de notes et de garnir mon ordinateur de fichiers aux noms pour moi plein d'histoires, de personnages et d'aventures. Je n'en aie pas fait lire à beaucoup de gens autour de moi, surtout à ma famille. Mais voilà, la vérité, c'est que j'écris depuis des années et que moi aussi, je rêve de publier, de raconter mes histoires. Pas de façon constante, il y a eu de longues périodes où je n'ai touché à rien, plutôt en y allant plutôt par à-coup et en prenant de longues pauses, mais c'est toujours resté là, dans un racoin.
Pourquoi ne pas le faire? Pourquoi ne pas écrire, ne pas oser sortir mes histoires, ne pas prendre le risque? La réponse est à la fois simple et complexe: c'est que ça part de tellement loin et c'est tellement profond que c'est difficile à laisser sortir. La peur joue un rôle c'est sûr. Et quand on a peur, on a parfois tendance à mettre un bouchon sur certaines choses. Ça a été mon cas. Pendant très très très longtemps. Parce que ça me faisait peur, je n'osais pas et parce que je n'osais pas, ça entretenait ma peur.
Je dis ça et je suis sûre que plusieurs personnes ont un petit hochement de tête en se disant: ah, on le savait bien qu'elle écrivait! On le savait bien que ça viendrait! Et bien, moi, je ne le savais pas. Ou plutôt, je n'en étais pas sûre. C'est lors d'une conversation avec un auteur que je connais que je me suis rendue compte que ce que je croyais être mon petit secret était en fait un secret de Polichinelle. Quand, après six détours langagiers, j'ai enfin dit que j'avais commencé à écrire et que cette fois, j'espérais que ce soit pour de vrai, il a juste secoué la tête et m'a lancé une phrase qui m'est rentrée dedans comme une tonne de brique: «On le savait Mariane, la question de savoir si tu allais écrire un jour n'était pas si, mais quand.» Ouch! Ah oui? À ce point-là? On m'a posé la question à de multiples reprises et je répondais à côté, pas encore capable de l'assumer. «Et toi Mariane, tu écris?» «Un jour peut-être!» je répondais. Et je repoussais le moment de l'annonce. Pas parce que je n'en avais pas envie, mais parce que j'avais peur de mon propre rêve et de sa puissance. Aussi étrange que ça puisse paraître, c'est la plus pure vérité. Me mettre au clavier, écrire oui, ça je m'en savais capable, mais me dire auteure un jour? Ça c'était une étape que je n'étais pas prête à franchir.
De près ou de loin, j'ai toujours eu un pied dans le monde du livre, depuis aussi loin que je me souvienne. Toute petite, j'arpentais la bibliothèque avec une joie inégalée. À l'université, je hantais la librairie de la Coop. Lors de mon bref passage dans l'enseignement, j'ai une fois accordé presque plus d'énergie à un projet de recherche de livres qu'à ma préparation de cours (je n'ai pas duré dans ce métier non plus!). Ensuite, est venue la merveilleuse période de la librairie. Pas au niveau financier, mais au niveau des expériences et des apprentissages, oui. Au lieu d'écrire mes propres textes, j'ai défendu ceux des autres et souvent avec passion. Peut-être une façon de vivre mon rêve par procuration. Par contre, je suis très heureuse d'être passée par là. Ça m'a appris les dessous du monde du livre, qui fait quoi, comment, où et pourquoi et ça m'a donné une vision assez juste de ce que ça pouvait vouloir dire, être auteure au Québec. Je n'ai donc pas développé d'attentes irréalistes, même si presque au même moment, J.K. Rowling devenait la première milliardaire du monde du livre et que tout le monde se disait soudain que c'était possible.
Je ne regrette absolument pas mes cinq années en librairie. Ce que j'y aie appris vaut à mes yeux de l'or. C'est aussi à cette période que, de façon détournée, j'ai commencé à écrire de façon régulière. Vous l'avez vu le résultat sur ce blogue pendant des années. Ma période de blogueuse (j'ai parlé de cette période dans ce billet-ci) a été une période extrêmement intense de ma vie. Celle de la librairie l'a été tout autant et elles sont arrivées en même temps. Quand je dis intense, c'est autant en positif qu'en négatif: intense parce qu'au point de vue humain, c'est incroyablement nourrissant, énergisant et exaltant. Par contre, il y a une partie de moi qui s'est vidée. En quittant la librairie, j'ai aussi débranché une partie de l'alimentation qui nourrissait et le blogue et mon envie de lire. Si je sortais de ce cadre, on aurait dit qu'il me manquait quelque chose. Résultat, pendant plusieurs années après mon départ de la librairie, je me suis tenue éloignée des livres. J'ai beaucoup moins lu et j'ai arrêté de bloguer. Ça ne me ressemblais pas, j'avais toujours été une lectrice boulimique depuis ma plus tendre enfance. J'avais sans m'en rendre compte épuisé une partie de moi-même que je pensais inépuisable.
À l'époque de la librairie est arrivé dans ma vie quelque chose qui a changé ma vie d'une façon incroyable, alors qu'au fond, je ne m'y attendais pas du tout: le jiu-jitsu brésilien. C'est un sport de combat, mais ce qu'il m'a avant tout appris, c'est que j'avais une qualité cachée dont je ne soupçonnais pas la puissance: la ténacité. Il m'en a fallut parce que je me suis entraînée pendant la majeure partie du temps avec des gars, souvent des gars qui font de la compétition et donc, plus fort, plus rapide et plus adroit que moi. Mais j'ai appris à leur tenir tête, à trouver mes victoires là où elles étaient et à ne pas me décourager même si mes progrès étaient beaucoup plus lents que ce à quoi j'aurais aspiré. J'ai pendant des mois continué alors que mon premier instinct aurait été de tout laisser tomber. J'ai bien fait de m'accrocher: le jour où mon professeur a passé une ceinture mauve autour de ma taille, j'avais autant appris sur mon sport que sur moi-même. Et je savais que si j'étais capable de faire preuve de constance, de ténacité et de me relever malgré les échecs et les difficultés. Ce sont des qualités que j'avais toujours accordé aux autres, mais sans jamais m'en donner le crédit à moi-même. Là, je ne pouvais pas le nier, c'était ma réussite à moi, le fruit de mes efforts et de ma détermination. Ça n'est pas arrivé en un jour, mais ça m'a apporté quelque chose de profond que je garde encore précieusement en moi. J'étais soudainement devenue consciente que j'étais moi aussi capable de faire ce que j'admirais chez les autres.
Les années ont passé, j'ai continué à fréquenter les événements littéraires, même si je lisais beaucoup moins, j'ai eu beaucoup d'autres expériences, je me suis laissée gagnée par le démon des jeux vidéos (mais quel bouffeur de temps!) et des séries télés (à peine mieux!). Et puis un beau jour, je me suis retrouvé face à un chiffre: 35. 35 années que je suis sur Terre. L'âge que ma mère avait le jour où elle m'a mise au monde. Ça peut paraître bizarre, mais ce fait-là m'a fait très très mal. Je voyais arriver la date de mon anniversaire et je paniquais. Autant la trentaine n'avait fait que m'effleuré, autant la mi-trentaine m'est rentré dedans comme un tsunami. J'ai vécu une difficile période de remise en question. Je me suis rendue compte que plusieurs projets auquel une partie de moi tenais beaucoup, ne prenait pas autant de place qu'ils auraient dû. D'autres par contre, en prenait beaucoup trop et je planifiais ma vie en fonction d'eux alors que leurs chances d'atterrissage heureux étaient plus qu'incertains. J'ai regardé les choses en face et je me suis demandé ce que j'allais faire de ma vie. Mon vieux rêve d'écrire est alors venu me tirer par la manche. Je l'ai regardé et cela m'a rappelé qu'il avait toujours été là, depuis des années. Des cartables complets sont là pour me le rappeler, des dossiers sur le bureau de mon ordinateur, des fichiers à la tonne. Et des idées, des dizaines et des dizaines d'idées, d'histoires, de personnages et de péripéties. Alors, je me suis assise et j'ai écrit. Et c'est merveilleux de le faire.
Sauf que je n'ai pas vingt ans. J'en aie 35. J'ai énormément lu, j'ai travaillé dans le milieu du livre et quelque part, je sais où je m'en vais. Mes années de blogue au compteur aident aussi beaucoup. Sans m'en rendre compte, même si je cachais mon rêve en dessous d'une pile d'autres choses, ce que j'avais besoin pour pouvoir écrire s'est développé en moi: c'est l'habitude de la constance avec le jiu, c'est ce que j'ai appris sur la fiction en fréquentant des auteurs et ce que j'ai appris sur comment on fabrique un livre en travaillant dans une librairie. Ajoutez à ça l'expérience de la vie qui fait que bien des choses sont plus compréhensibles, émotionnellement parlant, à 35 ans qu'à 20 ans et je découvre que ma vie a bien fait les choses et s'est chargée de garnir mon coffre à outil pendant que j'avais l'esprit ailleurs.
Cette année, en soufflant mes 35 chandelles, j'ai souhaité avoir un texte publié en 2018. C'était un objectif que je me mettais. Un souhait. Ensuite, j'ai rouvert mon ordi et j'ai travaillé. J'ai écrit des textes, certains qui vont sans doute aller rejoindre mon cartable d'écolière et d'autres qui ont peut-être un potentiel, mais je suis fière de me dire que là, je travaille vraiment. Que je fais vraiment le boulot d'une écrivaine. Après avoir reporté mon rêve aux calendes grecques pendant des années, là, je le réalisais. Au moins la première partie, celle sur laquelle je peux avoir du contrôle, celle que je peux faire par moi-même. J'ai travaillé et je continue à le faire et c'est quelque chose de vraiment jouissif que de le faire! C'est libérateur et c'est exaltant, même si mes anciennes craintes reviennent me visiter souvent. Ok, très souvent même. Aie-je le droit de me dire auteure alors que je n'ai rien publié de façon officielle? Quelle est la différence avec avant, l'époque où je disais «Un jour peut-être!» et aujourd'hui? J'ai envoyé des textes à des revues? Aucun n'a encore été accepté au moment où j'écris ces lignes en tout cas, ce qui me met en plein syndrome de l'impostrice: peut-on se dire auteure si on a rien publié? Écrivaine, peut-être, écrire est gratuit et chacun est libre d'écrire! Mais Auteure?
Au dernier Boréal, j'étais encore en plein maëlstrom de l'impostrice. Doublé du fait que je me suis inscrite à un atelier d'écriture pour la toute première fois de ma vie. J'ai mal dormi durant les trois journées qui ont précédé, je suis arrivée là tendue comme une corde de violon et j'ai à peine osé lever la main quand l'animatrice a posé la question à savoir si on écrivait ou non. J'étais entourée de jeunes au début de la vingtaine, pleins de sève et pétillants de volonté et moi, je me présentais là avec mon rêve écrit sur une feuille jaunie et toute craquelée à force d'avoir passé du temps plié en quatre au fond de ma poche. Ça ne s'est pas trop mal passé, mais j'ai eu en quelque sorte une révélation: je suis assise entre deux chaises. Je ne suis pas complètement une débutante, mais il me manque des bases communes à pas mal tous les auteurs. Mon ego a fait un boucan d'enfer pendant quelques minutes, mais une autre chose que le jiu m'a appris à faire, c'est de le foutre à la porte de mes pensées assez vite. Je savais que j'avais du pain sur la planche, mais au moins, j'avais une idée un peu plus claire du boulot à accomplir.
Le samedi, j'ai osé participer au concours d'écriture sur place. Je ne l'avais jamais fait. Je n'avais jamais osé le faire plutôt. Beaucoup trop peur de révéler mon secret pour ça! En prévision du concours, j'ai attrapé une pile de feuilles volantes qui traînait chez moi. C'est en m'asseyant pour écrire que je me suis rendue compte qu'elles étaient toutes jaunies, mais tant pis, c'est ce que j'avais emporté. J'ai essayé d'écrire, mais ça ''bloquait''. Rien ne sortait. Alors, j'ai pris un truc développé au cours des derniers mois, j'ai fait du brainstorm sur la page en la couvrant de gribouillis que personne d'autre que moi ne pourrait relire et ensuite, j'ai pondu mon texte en un temps record. J'ai scellé mon enveloppe et je l'ai remise. Je n'y ai pas repensé sauf pour une chose: j'étais vraiment contente de l'avoir fait. C'était ma première participation après tout et je n'avais absolument aucune attente. Dire que j'ai osé parler de mon rêve d'être auteure durant cette fin de semaine est très exagéré. J'en aie parlé à quelques personnes que je connais depuis assez longtemps pour être en confiance, mais en parler à tout le monde ou de manière ouverte était encore au-dessus de mes forces. Même quand j'en parlais, c'était avec timidité et je devais prendre sur moi pour ouvrir la bouche. Il est très dur de se défaire de certaines habitudes...
La fin de semaine a continué sur les chapeaux de roue, comme c'est tout à fait normal lors d'un Boréal. Le dimanche après-midi est arrivé et mes réserves d'énergie étaient très basses après trois jours de congrès (et l'absence de sommeil dans les trois jours qui l'avaient précédé!). Quand est arrivé l'heure de nommer les gagnants au concours d'écriture sur place, j'étais dans le fond de la salle, assise sur un des bancs de côté, avec mes cernes jusqu'au milieu des joues. Sauf que quand Julie Martel s'est levée, j'ai cru apercevoir dans ses mains d'horribles feuilles jaunies... Je crois que mes battements de coeur auraient pu à se moment-là être mesurés sur l'échelle de Richter. Non, ça ne se pouvait pas, j'avais écrit ce texte super vite et c'était ma première participation en plus, c'était impossible! Et puis, elle a eu un petit mot pour dire qu'il y avait deux gagnants ex-aequo et elle a nommé mon nom. Je me souviens d'avoir porté ma main à ma bouche et d'avoir entendu deux longues secondes de silence, mais ça c'est sans doute mon imagination. Durant ces deux secondes-là, une partie de moi s'est mis à courir de joie dans ma tête et restait persuadée que ça ne se pouvait pas. Et puis, tout le monde m'a regardé et s'est mis à applaudir! Je me suis levée dans un état complètement second. J'avais les larmes aux yeux en arrivant en avant. C'est peut-être rien gagner un concours d'écriture pour certaines personnes, mais à ce moment-là, pour moi, ça valait plus que des millions. Je me souviens que pas mal tout le monde est venu me féliciter ensuite, mais à ce moment-là, mon cerveau était complètement en mode survoltage et donc, en y repensant, je regrette d'avoir dû écourter certaines discussions et j'espère sincèrement que j'ai pas dit trop de conneries!
Depuis, j'ai eu des nouvelles de Solaris pour la publication et s'est mise en branle une petite mécanique qui me semble à la fois merveilleuse, familière et complètement déroutante, parce que cette fois, elle s'applique à moi. Mon nom paraîtra sur une couverture pour la première fois bientôt. La voici d'ailleurs, la fameuse couverture:
Je n'avais jamais vraiment réalisé que gagner le Concours d'écriture sur place équivalait à avoir son nom sur la couverture de Solaris, ni que cela impliquait un contrat de publication en bon et due forme. Là s'arrête les connaissances théoriques de la libraire et commence les connaissances pratiques de l'auteure! J'ai encore du mal avec le mot, mais je m'y habitue, doucement, par étape. Et je continue d'écrire. J'espère avoir d'autres textes publiés, j'espère même écrire un jour un roman entier et j'y travaille! J'aborde ce nouvel univers du haut de mes coussinets de chat et finalement, une fois la porte franchie, il est moins effrayant que ce que je pensais.
Ce qui fait que je me le permets, en finissant:
Mariane Cayer, auteure