mardi 31 décembre 2024

Bilan culturel 2024

 Salut!

2024 a été une année très chargée pour moi. Dans le genre, beaucoup de travail au travail, beaucoup de défis et ça a eu un gros impact sur mon niveau d'énergie dans ma vie personnelle. Les vacances ont été consacrées à me reposer plus qu'à me lancer dans de nouveaux projets disons! Les choses vont, j'espère bien, se replacer en 2025. 

Côté plutôt professionnel dans la littérature, j'ai animé ma première table-ronde au dernier Congrès Boréal! C'était la table sur les finalistes au Prix des Horizons imaginaires et j'avoue que j'ai adoré le faire. J'ai aussi continué à faire des chroniques sur les classiques de la littérature à CKIA aux côtés de Julie lit au lit et à faire des critiques dans Solaris. Pas de publications, mais quelques soumissions et des refus, mais bon, l'absence de tête à l'écriture explique beaucoup ceci.

Livres

Qui dit tête fatiguée dit moins de lecture, mais j'ai quand même eu quelques beaux coups de coeur cette année, incluant l'excellent Kindred d'Octavia E. Butler. Mes lectures personnelles (donc, pas pour des critiques ou des chroniques) ont surtout été portées par la suite des aventures de Cléopâtre Sélénée, l'excellente série de Françoise Chandernagor. Me reste le dernier tome à finir avant de laisser partir ce personnage auquel je me suis profondément attachée au fil des livres.

Films

Dune 2e partie de Denis Villeneuve (Cinéma): Comment ne pas parler de cet excellent cadeau aux cinéphiles et aux amateurs de l'oeuvre de Frank Herbert? J'ai trouvé quelques entourloupes dans le scénario un peu grossière, mais l'image, la qualité, l'histoire racontée, tout ceci valait largement la peine d'aller le voir deux fois en deux jours, comme pour le premier (une fois en anglais et l'autre en français, histoire de vérifier que j'avais bien tout compris!).

Opérations Mincemeat de John Madden (Netflix) : Comment une petite équipe des services secrets britanniques a réussi à tromper les allemands sur la cible réel du débarquement de Sicile à l'aide d'un cadavre trouvé à la morgue auquel ils inventent carrément une vie. Le film, à petit budget, reste cependant efficace et on passe un bon moment. Une rivalité pas nécessaire a été ajoutée pour créer un peu de tension vers la fin, mais bon, ça s'excuse, même si ce n'était pas vraiment nécessaire.

The Marvels de Nia DsCosta (Disney+): Je vais résumer ceci de façon vraiment simple: j'ai maintenant officiellement décroché de l'univers de Marvel, moi qui était une fan pure et dure jusqu'à Endgame!

Kung Fu Panda 4 de Stephanie Stin et Mike Mitchell (Cinéma): Ça aurait pu être le film de trop dans la franchise, mais non, finalement, je ne suis pas sortie de la salle déçue. L'idée de transmission au coeur du film a été bien menée. Et bon, les pitreries de Po sont toujours aussi désopilante.

Damsel de Juan Carlos Fresnadillo (Netflix): Je l'ai fini parce que j'avais rien d'autre à faire? Sincèrement, un échec royal! Une idée qui n'est pas mauvaise au départ, mais le rendu, ouf. 

Julie et Julia de Nora Ephron (Netflix): Un bon petit film qui m'a rappelé des bons souvenirs du début des années 2000, avec plein de bouffe qui donne faim!

Séries télé

Stranger things Saison 3 (Netflix): Une troisième excellente saison pour cette série que plusieurs m'ont poussé à regarder alors que je n'étais pas convaincue au départ. J'ai presque peur de regarder la saison 4 de peur d'être déçue!

Bridgerton Saison 3 (Netflix): Une troisième excellente saison, quoique très honnêtement, je n'ai pas trop cru à l'histoire d'amour entre Penelope et Colin. Et le fait de couper la saison en 2 n'a pas du tout aidé. Le reste par contre était totalement à la hauteur de ce que les deux premières saisons nous avaient habitué et j'ai hâte à la suite.

Mercredi Saison 1 (Netflix): Encore là, une série que j'aurais dû écouter bien avant. Bonne reprise de l'univers de Chas Addams, mais avec quelques libertés qui m'ont fait grincer des dents. Mais le personnage de Mercredi, lui, est rendu avec tellement de brio par Jenna Ortega que ça valait la peine.

The rookie Saison 1 à 6 (Crave): Il m'arrive souvent de tomber sur une série et de la binger sans arrêt jusqu'à avoir épuisé tous les épisodes. C'est le cas de cette série. Mais bon, la saison 7 commence le 7 janvier, alors... Excellente série avec des personnages profondément humains et qui ne fait pas l'impasse sur le côté sombre de l'humanité et du travail de policier. La série se passe essentiellement en patrouille et si on voit notre lot de drame, il y a aussi un bon nombre de moments d'humours face à toutes les situations qui peuvent survenir.

Documentaires

Minimalists de Matt D'Avela (Netflix) Si l'idée de départ est excellente (réduire le nombre d'objet autour de nous et la consommation comme source de réconfort et d'estime de soi), le film s'adresse visiblement à des gens qui ont un style de vie très différent du mien. Intéressant, mais surtout de constater à quel point certaines personnes sont engluées dans la surconsommation. L'idée de donner un objet dont on ne se sert pas par jour pendant 30 jours est à adopter par contre. Même si on gère bien les objets dans notre environnement, c'est une excellente cure à faire.

En thérapie avec mon chat (UnisTV): Cette série avait tout pour me plaire. L'Éducahteur Daniel Fillion qui rend visite à des gens qui ont des problèmes avec leurs félins et les résous avec une bonne compréhension de la psychologie de ceux-ci. Je l'ai écouté avec un Edgar ronronnant sur mes genoux. 

Théâtre et arts de la scène

Manikanetish de Naomi Fontaine: Adapté du roman du même nom, c'est une très bonne pièce. J'ai vu la version en tournée, donc, sans Naomi Fontaine elle-même, mais la créativité avec la scène et les accessoires sur celle-ci était de la partie. Magnifique hommage aux jeunes innus, aux défis auquel ils font face, mais aussi à leur résilience et à leur goût pour la vie.

Silence on tourne: Une pièce de type théâtre d'été, bien tournée, mais très prévisible. J'ai rit à plusieurs moments et levé les yeux au ciel à d'autres.

Projet Polytechnique de Jean-Marc Dalphond et Marie-Joanne Boucher: Deux comédiens qui ne se connaissent pas se rencontre via les médias sociaux et décident d'explorer les conséquences et les échos de la tuerie de Polythechnique de 1989. Tout y passe: culture des armes à feu, lois restrictives sur celles-ci, féminicides et culture Incel, la pièce ratisse large. Les effets théâtraux sont nombreux et servent bien les sujets abordés, que ce soit le lobby pro-arme ou les nombreuses fusillades dans les écoles au sud de la frontière. En deux heures et demie, on touche une foule de sujet, mais surtout, on finit par se poser la question suivante: et si on ne fait rien, vers quoi on s'en va? Parce que, la pièce le montre, le sujet est beaucoup plus vaste que la mort de 14 femmes il y a 35 ans.

La machine de Türing de Benoît Solès: À cheval entre la biographie et l'exploration d'une personnalité, cette pièce rend hommage à Alan Thüring, le brillant mathématicien qui a cassé le code d'Enigma durant la Seconde Guerre mondiale pour mourir moins de dix ans plus tard dans la honte à cause de son homosexualité. Je n'ai rien appris de nouveau avec cette pièce, ce qui est normal vu ma connaissance de cet homme, mais je n'ai pas non plus trouvé qu'il y avait un angle intéressant pour l'explorer. Par contre, superbe performance de l'acteur Benoît McGinnis dans le rôle titre.

Dehors novembre: Une mise en scène de la création du dernier album des Colocs, racontée par Vander, l'un des membres du groupe qui était dans le fameux chalet qui a vu naître cet album mythique. Les textes des chansons étaient lus sur scène et c'était parfois douloureux à entendre tellement l'acteur essayait de ne pas les chanter, mais la narration et les anecdotes de Vander valaient la peine.

Madame Pylinska et le secret de Chopin d'Éric-Emmanuel Schmidtt: Une histoire classique de passage à l'âge adulte, mais portée par la langue d'Érie-Emmanuel Schmidtt et la musique de Chopin. Comment résister à un tel duo? J'ai vu la pièce interprétée par l'acteur et auteur lui-même ce qui en rajoutait une couche. 

Cabaret chez Mado: J'y suis allée pour l'enterrement de vie de jeune fille de ma meilleure amie, mais sincèrement, j'y retournerai, c'est vraiment un show à voir!

(P.S. j'ai attrapé le bouquet au mariage! ;) )

Balados

J'ai la flemme de faire la liste, mais disons que mon application me dit que j'ai écouté l'équivalent de 24 jours complets de balados cette année... Je suis vraiment trop accro!

Expositions

Les olmèques (Pointe-à-Callières): Dans l'ensemble déçue de cette exposition, mais elle était vraiment trop grand public pour moi. Magnifiques sculptures par contre, ça donne envie d'en savoir plus sur cette civilisation.

Les gladiateurs (Musée de la civilisation à Québec): Autre déception, on était vraiment dans le très de base concernant les gladiateurs. Malgré tout, je ne regrette par de l'avoir vu.

Et maintenant, on se lance en 2025!

@+ Mariane

jeudi 28 novembre 2024

La reine oubliée: 3- L'homme de Césarée de Françoise Chandernagor

 La reine oubliée tome 3 L'homme de Césarée Françoise Chandernagor Albin Michel 427 pages


Résumé:
L'homme de Césarée, c'est cet homme que Sélénée, âgée de vingt ans à peine, épouse sans l'avoir même rencontré. Il s'appelle Juba et est roi de Maurétanie, un royaume indépendant, mais allié à Rome, situé sur les rivages de l'Afrique. Loin d'être un barbare, le nouvel époux de Sélénée est un homme érudit, féru d'histoire et lui-même auteur de plusieurs livres. Si leur nuit de noces est un échec, ils développeront lentement une relation solide, basée sur un profond respect mutuel, qui sans être une grande histoire d'amour leur apporte tous les deux ce qu'ils cherchent: lui, un héritier et elle, une façon de prolonger sa lignée, afin qu'un jour, quelqu'un puisse exercer la vengeance contre eux qui ont détruit sa famille. Le premier sur sa liste? Auguste.

Mon avis:
Ce livre a un rythme lent, comme si nous étions sur un bateau qui défile sur le Nil, contemplant le paysage qui change lentement. Et pourtant, l'histoire avance, petit à petit. On retrouve Sélénée à son arrivée à Césarée, qui lui rappelle tant Alexandrie en version réduite. On la suivra sur la décennie suivante, entre allers-retours à Rome et la naissance de ses enfants. Mais surtout, on la suivra dans sa psyché, celle qui reste marquée en elle comme au fer rouge: l'Égypte, royaume de son enfance et Auguste, qui a assassiné ses parents. Sélénée veut être vengée, mais elle sait qu'elle ne sera pas celle qui pourra l'accomplir, elle qui ne sait pas manier une épée ni diriger des hommes. C'est pourquoi elle souhaite tant que la suite passe par sa lignée, qu'elle souhaite par-dessus tout prolonger.

Cette idée de vengeance est celle qui sous-tend toute la vie, tous les actes de Sélénée. Ça la rend parfois aveugle à d'autres réalités, mais on ne peut pas dire qu'elle manque de continuité. Malgré tout, le sort ne lui sera pas toujours favorable. D'abord, ce long moment avant de concevoir son premier enfant. Puis, surtout, voir le triomphe d'Auguste, encore et encore. Car loin, d'être isolée, la reine Sélénée est très bien informée des intrigues de Rome, des décisions politiques, des coups de théâtres, des combats, là-bas en Germanie, mais aussi des assassinats dans le royaume de Judée ou de l'éternelle question du roi d'Arménie.

Car au-delà du seul personnage, dont l'exploration de la vie intérieure est fascinante, c'est le voyage dans la Rome antique, comme si on y était, qui fascine. L'autrice a l'art de nous faire voyager dans cette époque sans trop qu'on y prête attention, mais avec une vivacité remarquable. De légers détails lui permettent de faire des apartés qui, sans alourdir le moins du monde le texte, nous font découvrir tel aspect des bains, tel détail du commerce, tel douloureuse vérité du fameux cirque romain. Il en ressort un vérité qui parfois peut faire oublier que l'on est bel et bien dans un roman et que parfois, l'autrice prend de petites libertés avec l'histoire pour mieux nous faire revivre celle-ci.

Un magnifique voyage qui se terminera avec le tome 4 de cette série, mais quel voyage!


lundi 4 novembre 2024

Les petites mains qui paient

 Salut!

Dans le langage des maisons de haute couture, les petites mains sont les innombrables ouvrières qui réalisent les robes de rêve qui défilent sur les podiums. Tailleuse, brodeuse, plieuse, ourleuse, perleuse  et autre sont des femmes (le plus souvent) qui ont du métier et de l'expérience dans leur domaine. Leur immense talent est souvent précis, dans un domaine particulier, mais il est indispensable pour la réalisation du but final de l'entreprise: créer des vêtements destinés à attirer le regard et à briller de mille feux. 

Sans elles, pas de mannequins, pas de défilés, pas de photos léchées dans les magasines, pas de tapis rouge et même au global, d'industrie de la mode.

Toutefois, à part les gens qui travaillent au sein de l'industrie, personne ne peut nommer le nom d'aucune d'entre elles. Même si leur travail est indispensable. Tous n'en ont que pour le ou la designer. C'est l'esprit créatif derrière les vêtements, c'est à cette personne que vont tous les éloges et le mérite. Sans une bonne équipe toutefois, rien ne peut exister. 

C'est à toutes ces personnes de l'ombre derrière les grandes créations auquel j'ai pensé lorsque le scandale concernant le comportement de Neil Gaiman a surgi dans les médias. Parce que le prolifique auteur était surtout connu ces dernières années pour son travail d'adaptation de ses oeuvres au petit écran. The Good Omens pour n'en nommer qu'un seul, qui avait une troisième saison complète de prévue, n'aura finalement droit qu'à un final de 90 minutes. Bon, entendons-nous, David Tennant et Michael Sheen vont se retrouver du boulot, je ne suis pas inquiète pour eux. Mais les décorateurs, maquilleuses, coiffeuses, éclairagistes, preneurs de sons et toutes ces autres personnes indispensables à une production télévisée se retrouvent elles, au chômage. Ils sont indispensables au succès de cette série, mais ils aussi sont les premiers à souffrir de l'annulation prématurée de celle-ci. Ainsi en a-t-il été des employés de The Weinstein compagny: ils n'avaient rien à voir avec les agissements de leur patron, ils se sont quand même retrouvés au chômage. 

L'impact des agissements de certaines personnes, le plus souvent des hommes, dans la sphère de leur intimité, dépasse largement le cadre de celle-ci. Tant mieux pourrait-on se dire, tellement certains d'entre eux ont pu agir dans l'obscurité en parfaits salauds, voir en criminels et continuer leur carrière sans le moindre problème. Ceci dit, l'impact sur les autres personnes impliquées dans leurs projets est disproportionné: eux et elles n'ont rien à voir avec ces actes... Mais ils devront de nouveau se trouver un boulot pour mettre du pain sur la table dans un milieu où il y a toujours beaucoup d'appelés, mais peu d'élus.

Tout ça parce que les idées, la création, l'imagination sont encore entourées d'un aura de mystère qui fait que les créateurs ont un statut à part. Ils sont le sommet de la pyramide, mais on oublie si facilement qu'une pierre au sommet d'une pyramide n'est rien sans les centaines d'autres qui sont en dessous d'elle. On pourrait dire la même chose d'une maison d'édition: les auteurs sont sur le devant de la scène, mais les directeurices littéraires, les réviseuses, les responsables de la promotion, tout ce beau monde en prendra pour son rhume si l'une de leurs plumes est éclaboussée par un scandale.

Pas pour rien que l'on en vienne à mettre de la pression sur les créateurs pour garder leur vie intime en ordre: de là dépend beaucoup de choses. L'éléphant dans la pièce est que cela aurait toujours dû être ainsi. Le rééquilibrage des privilèges que l'on vit est dur, mais nécessaire. Il y aura encore beaucoup de chute du piédestal et de personnes dont on découvrira que l'image ne correspondait pas à la personne. Sauf que remettre les pendules à l'heure a un coût. Et c'est surtout cruel pour toutes les petites mains qui paient pour les actions des autres.

@+ Mariane

jeudi 3 octobre 2024

Les soleils des indépendances d'Ahmadou Kourouma

 Les soleils des indépendances Ahmadou Kourouma Points 196 pages


Résumé:

Fama est un homme qui a tout perdu: son cousin lui a pris le trône héréditaire des Doumbouya, sa femme, la belle Salimata, ne lui a pas donné d'enfants et il est réduit à la pauvreté, lui qui devait être prince. Par-dessus tout, les indépendances ont sapé les structures traditionnelles qui devaient assurer son rôle dans sa société. Alors qu'il s'échine à faire perdurer les usages et les rites immémoriaux, une nouvelle inattendue lui parvient de l'intérieur des terres. Son cousin usurpateur est mort. Commence alors un retour vers le pays d'origine et avec lui l'espoir d'une vie nouvelle. Mais est-ce vraiment possible sous les soleils des indépendances, qui avaient promis des jours heureux et avaient fini par des dictatures?

Mon avis:

Ne pas lire ce livre si vous êtes déprimé... Parce que ce roman, c'est le revers des espoirs suscités par la vague des indépendances africaines. La pente vers la dictature, le désespoir causé par un avenir qui avait été bloqué par les colonisateurs et qui l'est toujours, cette fois par les siens. Fama est un homme moyen, ni particulièrement courageux, ni particulièrement intelligent, dont toute la vie avait été construite autour de l'idée qu'il allait un jour hériter du trône de ses ancêtres et qui se retrouve totalement démuni face à l'usurpation de son cousin. Fama ne sait pas comment s'adapter, comment changer. D'ailleurs, il le refuse. Il cherche à tout prix à garder vivantes les anciennes traditions, même si cela entraîne un violent décalage entre le monde tel qu'il existe et le monde tel qu'il voudrait qu'il soit.

Il ne survit que grâce à sa femme, la belle Salimata au ventre sec. Ce personnage, dont deux des chapitres sont écrits de son point de vue, est un personnage courage. C'est elle qui réussit à faire vivre le ménage par un dur labeur de vendeuse à la criée. Elle se veut bonne musulmane et généreuse, ce qui ne l'empêche par d'être exploitée par des hommes qui la manipulent pour prendre plus qu'elle ne peut donner. Ce qui est particulier, c'est de voir toute la violence que vit le personnage. Entre l'excision qu'elle a subie jeune adolescente (la scène est terriblement graphique et racontée par elle du point de vue de son propre corps), le viol qui a suivi (parce qu'elle est belle) et la violence conjugale avec son premier mari, on se dit qu'elle a déjà tout subi. Mais non, elle sera agressée au marché, volée et laissée sur place, pratiquement nue devant tout le monde. Son seul souhait, son seul espoir, est d'être mère un jour, un but qu'elle poursuit avec acharnement. Le problème est que le roman laisse clairement entendre que c'est son époux qui est stérile, mais, société patriarcale oblige, c'est elle qui porte le poids des regards plein de jugement.

Lorsque la nouvelle de la mort du cousin arrive et que le retour vers le pays natal commence, Fama pense qu'il va renaître, que sa vie va enfin reprendre le cours interrompu qu'elle aurait toujours dû avoir. Il se leurre bien sûr: son pays natal est plein de marécages, les gens y meurent de faim et le nouveau climat politique local, avec les membres du comité ultrapuissant lui mettent des bâtons dans les roues. C'est l'échec de sa vie qui se déroule devant lui. Alors qu'il attendait la gloire du retour, il se retrouve à régner sur les restes de son peuple. Mais quelle magnifique description de ce retour, des traditions, des usages et des coutumes, dans le détail et combien chaque élément est important pour l'ensemble.

Malgré le sujet oh combien difficile, la plume d'Ahmadou Kourouma est sublime. Elle reprend le rythme de l'oralité des grios et multiplie les images et les allusions à la nature sauvage africaine. C'est une vision du monde et une philosophie du quotidien que l'auteur explore, dans un monde où tout le monde est musulman, fait les cinq prières quotidiennes et va consulter le marabout en sortant de la mosquée sans y voir la moindre contradiction. Un océan de contrastes qui s'entrechoquent tout en restant cohérents, avec des personnages broyés par le poids de ce que leur vie aurait pu être et qu'elle n'a pas été. Un roman très dur, mais j'oserais dire nécessaire, car il gratte les plaies des indépendances, car sous leurs soleils, tout n'a pas été rose.

mardi 20 août 2024

Le code secret des bibliothèques

 Salut!

Quand j'étais au primaire, la bibliothèque était installée dans un petit local. Petit dans le sens, trop petit pour une classe, mais trop grand pour un rangement. Les livres y courraient le long des murs sur les rangées métalliques beiges, bien séparés par des espaceurs. Pendant des années, j'ai consulté ses rayons avec passion: j'ai lu, j'ai fouiné dedans, j'ai payé des amendes parce que je les ramenais en retard (c'est la vie!) et surtout, j'ai expérimenté différent système pour y maintenir un semblant d'ordre. 

En première année, c'était un long carton plastifié, vert, avec des chiffres au bout. Moi, j'étais le numéro 6. On le laissait à la place du livre que l'on venait de prendre pour pouvoir le remettre en place quand on avait fini. Ça ne nous permettait que de sortir un livre des rayons à la fois, ce qui était profondément embêtant pour la mordue des livres que j'étais. Ensuite est venue une grande innovation: les responsables de la bibliothèque, pour la plupart des mamans bénévoles chargées de tamponner les dates de retour (on était au XXe siècle après tout...), avaient vidé les tablettes du bas de toutes les étagères pour les laisser libres. Désormais, si on prenait un livre, il fallait le déposer sur la tablette du bas. Qui était chargé de les replacer à leurs places? Des bénévoles de 5e et 6e années.

Ai-je besoin de vous dire que je me suis portée volontaire dans le quart de seconde qui a suivi la proposition?

Ce qui m'a introduit au merveilleux monde des codes de bibliothèques. J'étais loin de savoir quoi que ce soit sur Dewey et son système de classement, mais je comprenais la logique de base: on commençait par les premiers chiffres (ceux qui commençaient par 100 n'allaient pas au même endroit que les 800), ensuite, on décortiquait jusqu'à arriver jusqu'au dernier signe, chiffre ou lettre et on recasait le livre à l'endroit où il y avait un trou entre les livres, ou du moins, le plus possible proche de ce trou. 

Quelle joie durant les deux dernières années de mon primaire que de pouvoir entrer dès la sortie de l'autobus (notre privilège d'assistant-bibliothécaire était de pouvoir entrer avant tous les autres). Ensuite, on rangeait les livres et on allait en classe. Le paradis.

Depuis, j'ai un amour infini pour les systèmes de classement des bibliothèques. Certes, la plupart suivent à des degrés divers le classement de Dewey, mais il y a toujours des variations, des sections spéciales et des manies de bibliothécaire dans chaque bibliothèque. Par exemple, dans la bibliothèque de mon ancienne ville, les étagères se suivaient, mais faisaient un saut avec une section décalée par rapport aux autres. Dans la première bibliothèque municipale que j'ai fréquentée, il fallait toujours vérifier si le livre que l'on cherchait n'était pas derrière la rangée de livres parce que les rayons débordaient en permanence. Ma bibliothèque actuelle a classé la littérature par ordre alphabétique, en séparant seulement ceux destinés aux adolescents et aux adultes. Bref, ce n'est jamais parfaitement pareil.

D'ailleurs, c'est l'un de mes petits plaisirs de fréquenter les rayons des bibliothèques: trouver moi-même, avec l'aide d'une cote le livre que je cherche, comme si cette cote était une carte menant à un trésor. J'ai toujours un petit sourire quand je trouve mon livre toute seule. 

Les systèmes de classement sont comme les bonnes tuyauteries: quand elles fonctionnent à la perfection, on ne s'en rend pas compte. Mais ça les rend d'autant plus précieuses. Malheur à ceux qui vont replacer les livres à la mauvaise place! Et bonnes recherches dans les rayons pour ceux qui comprennent comment elles sont classées!

@+ Mariane

jeudi 18 juillet 2024

Kindred d'Octavia E. Butler

 Kindred Octavia E. Butler Beacon press 280 pages


Résumé:

Dana vient d'emménager dans sa première maison avec son mari, Kevin. Alors qu'ils sont en train de défaire des boîtes de livres, Dana se sent soudainement étourdie et perd conscience. Elle se réveille au bord d'une rivière où un enfant est en train de se noyer. Sans attendre, elle saute à l'eau et elle le sauve, mais quelques instants plus tard, perd de nouveau conscience et se retrouve aux côtés de son mari, couverte de boue. Celui-ci lui dit qu'elle a littéralement disparu pendant quelques instants. Troublée par les événements qu'elle peine à comprendre, elle perd une deuxième fois conscience et retrouve le même petit garçon, âgé de quelques années de plus, qu'elle sauve à nouveau d'une mort certaine. C'est en discutant avec cet enfant qu'elle prend conscience de deux faits importants: le premier, c'est qu'elle est revenue physiquement dans le temps, au début du XIXe siècle, dans une plantation esclavagiste de la côte est. L'autre, encore plus dérangeante, est que l'enfant qu'elle a déjà sauvé deux fois est son ancêtre. Or, il est blanc et elle est noire.

Mon avis:

C'est le genre de livre dont on ne peut pas sortir sans avoir été, à un niveau ou à un autre, transformé. L'histoire de Dana, bien que relativement conventionnelle dans le genre des voyages dans le temps, ne l'est absolument pas par son traitement : l'autrice s'est servie de cette trame pour interroger la réalité de l'esclavage et même nous la mettre en plein visage, mais avec une intelligence redoutable. Dana n'est pas une victime, c'est une femme moderne, qui est habituée à la liberté et qui d'un coup doit apprendre à courber la tête et à accepter la servilité nécessaire à sa propre survie, tant physique que psychologique. Le poids énorme de l'esclavage, sa réalité, sa continuité, même quand les maîtres ne sont pas là et que le fouet ne guette pas, est représentée avec une telle acuité que l'on a l'impression de la ressentir. Même si ce n'est qu'un livre.

Dana en tant que personnage est une femme ordinaire: ni spécialement intelligente, ni particulière forte, elle se révèle pourtant douée d'un incroyable instinct de survie dans l'épreuve. Lors de ses retours dans le présent (elle fera plusieurs aller-retour tout au long du livre), elle travaille à se préparer pour les retours dans le passé, essayant de comprendre ce qui lui arrive et le lien mystérieux qui la lie à Rufus, ce fils de propriétaire terrien esclavagiste, qu'elle sauve encore et encore de la mort.

C'est d'ailleurs sur la relation entre les deux que repose l'intrigue. Rufus, qu'elle sauve d'abord enfant, qui grandira tout au long du livre, est un personnage ambigu capable de cruauté, mais qui cache au plus profond de lui un besoin sans fond d'être aimé. Par l'attention qu'elle lui porte, Dana devient son point de repère, mais aussi une personne qu'il aime. Et quand il aime, il fait tout ce qui est en son pouvoir pour attacher les gens à lui, de crainte de les perdre, se faisant haïr d'eux, car il ne prête aucune attention à leurs désirs et à leurs sentiments. Égoïste, mais égoïste parce que fragile au plus profond de lui-même. Leur relation, tendue, tordue même, pleine de contradictions et de jeux de pouvoir, qui s'inverse alors que Rufus grandit et qu'il devient plus fort, forme le coeur du récit. Malgré les apparences, il ne contrôle pas tout : même avec son statut d'esclave, Dana parvient à tirer des ficelles.

La moitié du récit se passe à l'époque esclavagiste précédant la Guerre de Sécession, une période que l'autrice rend avec une vivacité incroyable. Tous ces petits détails que l'on oublie, comme le fait que Dana connaît la médecine moderne et la contamination bactérienne: doit-elle manger ce bout de jambon qui traîne sans doute sur la table en plein été depuis plusieurs heures? Les médicaments simples comme l'aspirine, qu'elle finit par ramener dans ses voyages, ont des effets démesurés parce qu'inconnus de ses contemporains. Si elle n'est pas médecin, sa connaissance des infections lui permettra de sauver des vies, dans ce monde où personne n'est conscient qu'une plaie mal nettoyée peut conduire à la mort.

L'esclavage est représenté avec précision, mais avec beaucoup de nuances. Les esclavages ne sont pas de pauvres victimes des méchants blancs, ils sont des personnes entières, capables et qui ont toutes leur propre agentivité. Les réflexions de Dana sur ce que les livres d'histoire qu'elle a lus et ce qu'elle constate sur le terrain sont particulièrement intéressantes. Non, l'horreur n'est pas là au quotidien, non, on ne fouette pas quelqu'un chaque jour, mais le poids de la peur et le fait que ça peut arriver n'importe quand, flotte partout et force ceux qui sont sous le joug de l'esclavage à s'adapter, à plier pour ne pas se briser et à développer un formidable instinct de survie.

Pas étonnant que ce roman ait fait date dans l'histoire des littératures de l'imaginaire et qu'il soit encore au programme de nombreuses écoles secondaires aux États-Unis. Parce le portrait qu'il propose, par la puissance de son récit et par la réflexion poussée des rapports entre les humains que crée l'esclavage, c'est un livre à lire. Pour moi, c'est un grand coup de coeur.

lundi 27 mai 2024

Le grand cru et l'ado

 Salut!

Neveu a maintenant 15 ans. Il est à l'âge où son visage peut être confondu avec un champ de coquelicot. L'âge où la réponse à la plupart de nos questions est un ouin qui a des ressemblances avec un coassement de grenouille. L'âge où son cellulaire et ses amis deviennent le centre du monde et où j'ai l'impression de passer du statut de tante cool à madame fatiguante. Bref, l'âge où le lien que j'ai avec lui change, même s'il reste là. 

Parfois, je m'imagine lui offrir un verre de vin. Un grand cru là, d'une bonne bouteille, vieillie, pleine de saveurs subtiles et d'arômes délicats. Neveu n'a jamais été tenté par l'alcool. Alors une gorgée d'un très bon vin, comme ça, d'un coup, sans préparation aucune? Je suis sûre qu'il va la recracher et courir se rincer la bouche pour faire disparaître les tanins. Il ne comprendra pas la riche saveur à laquelle il vient d'être confronté, tout simplement parce que son goût n'est pas formé, pas déployé, qu'il n'est pas capable de comprendre, de prendre le temps de savourer. Il est encore à l'étape de l'apprentissage. Et c'est normal, c'est de son âge. Neveu est un ado, tout simplement et comme des milliers d'autres, il est en train de découvrir le monde et de l'apprendre. Donc, quelque chose d'un peu plus complexe peut le rebuter facilement.

Si l'on ne parle d'un coup plus de vin, mais de livres. De grands crus de la littérature, souvent des classiques. Des livres à l'écriture travaillée, peaufinée. De personnages denses et ambigus, d'intrigues amples, d'émotions complexes et brûlantes. Je m'imagine la tête de Neveu pour ça aussi. Et sa grimace.

Nos goûts en lecture sont comme des papilles gustatives: plus ils ont goûté de plumes, de styles et d'intrigues différents, plus elles seront à même de savourer les subtilités de goûts qui ne sont pas à première vue évidents à savourer, à apprécier des détails qui ne sont pas faciles d'approche. Ce qui peut susciter un rictus de dégoût à un moment peut finir par faire sourire de bonheur à un autre. Mais ça prend du temps. Ça ne se fait pas en un jour et c'est toujours une aventure à chaque fois.

Quand on n'a pas en banque autant d'expérience, se retrouver devant un classique à lire, surtout au secondaire, peut devenir une épreuve qui décourage et dégoûte les jeunes. Parce que leur goût n'est pas formé. Moi-même, qui était pourtant un rat de bibliothèque à cet âge, j'ai grimacé devant certains livres plus ennuyeux. Non, je n'ai pas aimé Maria Chapdelaine à cette époque. C'est avec le temps, à force de lire des livres, que j'ai développé mon goût. J'ai d'ailleurs eu une passe, début trentaine où j'ai lu 5-6 romans du terroir que j'ai bien aimé. Mais le temps avait fait son oeuvre. Je pouvais mieux savourer les plumes et les histoires, parce qu'ayant un peu plus de recul et d'expérience, j'étais capable de voir au-delà de ce que je ne connaissais pas pour comprendre le texte et mieux l'apprécier. Mais ça a pris du temps.

Alors, je comprends que lire Agaguk, Maria Chapdelaine ou Bonheur d'occasion puisse faire du sens pour un pédagogue soucieux de mettre la jeunesse en contact avec le meilleur du canon littéraire. Sauf qu'il faut de foutus bons profs pour vulgariser ceci et éviter que les élèves ne recrachent leurs lectures avec une grimace dégoûtée. Dans la situation actuelle, c'est déjà bon d'avoir un prof dans la classe, alors, on repassera pour donner le goût de la littérature aux jeunes.

@+ Mariane

jeudi 2 mai 2024

The motivation myth de Jeff Haden

 The motivation myth de Jeff Haden Portfolio 260 pages


Résumé:

La motivation. On envie ceux qui en ont, on en voudrait plus, on pense que l'on pourra faire les choses quand on en aura assez, bref, personne ne se plaint d'en avoir trop! Mais au-delà des idées reçues, qu'est-ce que la motivation? Comment peut-on la susciter, comment la développer? Dans ce livre très motivant à lire, l'auteur nous parle de ses recettes et du résultat de ses recherches.

Mon avis:

Soyons honnêtes, ce livre est plus dans le registre de la psychopop, mais il a quand même quelques bonnes idées. Entres autres parce que son auteur provient du domaine des affaires et des communications, il aborde la question de la motivation non sous l'angle psychologique, mais sous l'angle de l'accomplissement personnel. C'est peut-être un peu prêchi-prêcha, mais ça a le mérite d'être clair, avec des concepts et des solutions réalistes et à la portée de tous.

Son idée de base? La motivation n'est pas quelque chose qui existe et qui un jour nous envahit comme par miracle et nous fait bouger des montagnes. C'est plutôt un construit, basé sur un élément très simple: la réussite. Pas la grande réussite, mais la petite, celle qui nous fait dire ce petit yé! quand on y arrive. Par exemple, il ne faut pas viser de monter sur le podium, mais se fixer des objectifs et les atteindre et ainsi entraîner un cercle vertueux qui mènera au podium. Le livre tourne autour de cette idée: faire vivre des réussites. Et son idée est loin d'être mauvaise, parce que souvent, la motivation doit tenir au quotidien, alors il faut y aller au quotidien la chercher.

Toujours dans le registre du quotidien, il parle de quelque chose de tout simple: aimer ce que l'on fait. Le gagnant de la médaille d'or aime s'entraîner bien plus que l'idée de la médaille. On ne sera jamais motivé à faire quelque chose que l'on déteste. C'est de la base, mais ça fait du bien de le rappeler.

L'auteur passe évidemment plusieurs chapitres à nous détailler des techniques et des astuces, mais comme tel, c'est pertinent. Et parmi ceux-ci, tout le monde trouvera chaussure à son pied, peu importe sa situation. Il y a des redondances et certains trucs sont vraiment destinés à un public qui cherche l'ultra motivation, mais ça reste intéressant. Cependant, il ne nous épargne pas la liste de personnes ayant brillamment réussi de ses connaissances et leurs exemples de vies édifiants. Le genre le veut, que voulez-vous!

Même si ce n'est sans doute pas LE livre qui vous donnera la solution à tous vos problèmes, il se lit facilement, contient une bonne d'idées intéressantes et nous emmène aussi à penser autrement à la motivation. Juste ça, c'est déjà très bien.


lundi 15 avril 2024

Lire du bout des doigts

 Salut!

Ma tante V est morte le 26 mars 2024. Elle avait 89 ans et comme bien des gens de cet âge, elle en perdait des bouts. C'était la soeur aînée de mon père, la plus vieille de la famille et aussi celle que j'ai le mieux connu de tous mes oncles et mes tantes. Elle était religieuse et voyageait presque tout le temps avec nous lors des rencontres de familles quand j'étais jeune. J'ai aussi, au début de la vingtaine, eu l'occasion de mieux la connaître en étant en chambre dans la communauté le temps d'une session. Merci à elles d'avoir donné un coup de pouce à l'étudiante que j'étais!

Il faut savoir un point important: V était atteinte d'une maladie de la cornée qui l'obligeait à porter des fonds de bouteille comme lunettes. Ses verres étaient épais comme un doigt, littéralement. Chose rare pour l'époque (elle est née en 1934), mes grands-parents ont tout fait pour qu'elle soit éduquée le mieux possible. À l'âge de huit ans seulement, elle a quitté le foyer familial pour aller étudier à l'Institut Nazareth à Montréal, l'une des rares, sinon la seule, école pour aveugles et personnes atteintes de déficits visuels à l'époque. 

Nous n'avions dans les faits que très peu de points en commun. Nous étions nées à presque un demi-siècle d'écart, vivions dans des milieux très différents et avions des idées opposées sur bien des sujets, ce qui ne nous a jamais empêchées de bien nous entendre. Toutefois, nous avions un point en commun: toutes les deux, nous étions de grandes lectrices.

Pour V, lire était un défi plus grand que pour moi, bien sûr. Elle était capable de lire le journal, en ayant le nez collé dessus:  parfois, elle en  avait le nez taché d'encre, ce qui nous faisait rire parce qu'elle-même ne le voyait pas. Mais avant tout V lisait le braille.  Je me rappelle que lors des longs trajets en voiture, elle prenait un livre sur ses genoux, fermait les yeux et se mettait à lire. La voir passer le bout de ses doigts sur les lignes les unes après les autres était fascinant. Mon père faisait alors exprès de rouler dans des nids-de-poule et nous avions droit à une magnifique scène de chicane frère/soeur parce qu'il lui avait fait perdre sa ligne des doigts!  Quand on arrivait à destination, le plus souvent chez mon grand-père, elle parlait de ses lectures comme j'aurais parlé des miennes, avec autant d'étoiles dans ses yeux derrière ses lunettes. Nous n'avions pas les mêmes goûts littéraires, certes, mais la littérature était pour nous la même source de joie.

Quand j'ai séjourné dans la communauté durant quelques mois, j'ai pu en apprendre un peu plus sur sa vie. Elle avait travaillé pendant des années à la bibliothèque de l'Institut Nazareth et bien que retraité, elle continuait à être bénévole pour un autre organisme afin de faire l'adaptation en braille de romans. Elle choisissait des romans qui l'intéressaient, cela lui permettait de lire des livres qu'elle aimait. Mais c'était un vrai travail qu'elle faisait consciencieusement. Parce qu'une adaptation en braille ne veut pas dire bêtement recopier un texte. Il faut adapter la pagination, la mise en page, les caractères spéciaux ou en italiques et bon, je ne nomme que que ce que j'ai retenu! Elle faisait ça à temps perdu, elle qui menait une vie active. Je l'avais observé une fois faire une page complète. Elle avait glissé le livre sous un appareil adapté destiné à agrandir les lettres à dix fois leur taille originale et elle retapait le tout. Ensuite, elle repassait ligne par ligne avec un petit appareil installé sur son clavier, qui reproduisait les points du braille et elle se relisait en murmurant les mots lus par ses doigts. C'était fascinant de la voir travailler.

Même avec tous ses problèmes de vision, l'écrit a été au centre de sa vie. Elle a même été pendant un temps la chroniqueuse de sa communauté, pour vous dire! Elle m'a transmis un héritage précieux au travers de sa ténacité et de son travail: les mots sont parfois perçus de manière différente, mais leur impact sur une vie est le même. 

C'est facile d'oublier à quel point nos yeux, sens tellement important, n'est pas essentiel pour lire. Parce que sur les ailes de la littérature, le bout des doigts peut aussi bien faire voyager que les yeux. 

@+ Mariane

lundi 25 mars 2024

Triturer une bibliothèque

 Salut!

Comment classer une bibliothèque est comment dirais-je, très personnel. Autant quand on parle d'une organisation physique (dans quelle pièce elle est, comment sont faites les tablettes, etc), que d'une organisation je dirais plus intellectuelle (je regroupe les livres par auteur, par sujet, par genre, par ordre de lectures?) Il y a donc le contenant, soit le meuble où l'on range les livres et le contenu, les livres eux-mêmes et l'ordre dans lequel ils sont classés.

Pour ce qui est du contenant... Faites une petite recherche sur internet, les possibilités sont quasi infinies. Certes, il y a l'indémodable Billy du géant suédois (permettez que je ne lui fasse pas de pub, il n'en a pas besoin), mais les modèles sont nombreux. De l'oeuvre d'art au modèle mini créé pour rentrer dans un espace réduit en passant par le recyclage et la débrouille. Personnellement, j'ai une bibliothèque faite sur mesure par un expert en ébénisterie (c'est-à-dire mon Papa! :D) qui est conçue pour avoir deux tablettes de haut, mais assez longues pour que je puisse glisser mon divan en dessous et m'y installer sans risque de me cogner la tête. Au-delà de l'aspect pratique, une bibliothèque doit être solide et durable. Croyez-moi, mes orteils se souviennent de la fois où dans ma vie de libraire, une tablette a renversé son contenu sur mes pieds... Le contenant est souvent aussi quelque chose que l'on finit par adopter à long terme. On fait quelques essais et erreurs et finalement, on finit par adopter un style et à moins d'un déménagement ou d'une personnalité qui aime beaucoup le changement, le contenant reste. Le contenu par contre...

Ça, c'est quelque chose que j'avoue, me fascine moi-même. J'ai beau me dire qu'il y a de grandes tendances dans ma vie qui n'ont pas changé, la façon dont je classe ma bibliothèque elle, a fortement évolué. Je suis passé de l'obsession que mes livres sont classés par hauteur au millimètre près (au point de grincer des dents quand les deux tomes d'une édition poche faisait une légère différence sur la tablette) à des tablettes où les hauteurs ressemblent à un électrocardiogramme. J'ai toujours séparé la fiction de la non-fiction par contre et depuis un peu plus d'une décennie, je sépare également les non-lus des lus. Je n'ai autrement jamais eu d'ordre de classement réel. Pas de classement par maison d'édition, par collection, par auteur ou par genre. Pas non plus de classement par genre ou par couleur (oui, oui, j'ai déjà vu ça chez quelqu'un!). Bref, mes bibliothèques sont de jolis bordels si je cherche un livre et oui, ça m'arrive souvent de chercher!

Je sais aussi que je ne suis pas la seule à avoir eu ce genre d'évolution. J'ai des amis qui sont passés du mode ultra-organisé à mon bordel et d'autres qui ont fait le chemin inverse. J'ai vu des gens passer de bibliothèques très j'ai-attrapé-la-première-que-j'ai-vu-au-magasin ou elle-était-en-liquidation (je suis dans cette catégorie) à un souci de rendre l'écrin de nos livres aussi attrayant que pratique. Loin d'être un simple rangement, une bibliothèque en dit très long sur nous, sur notre relation avec nos livres, sur nos centres d'intérêt, sur nos priorités de lecture si on en a. C'est en quelque sorte un reflet de ce que nous sommes et de notre relation à la lecture. Disons que si la poussière s'accumule sur une tablette plus que sur une autre c'est un signe. Autant que la classer pour avoir toujours certains livres sous la main alors que d'autres vont finir sur la première ou la dernière tablette, loin de nos yeux.

Reclasser une bibliothèque peut aussi être un signe de changement. Quand j'ai emménagé dans mon chez-moi actuel, j'étais un peu à l'étroit et j'ai commencé à mettre des livres de face par rapport aux autres, comme dans les librairies. Même si maintenant, il y a de la place, j'ai gardé cette habitude. Et je les change régulièrement. Soit j'en ai lu, soit j'en sors certain et j'en range d'autres, soit celui-ci vient de rentrer et je veux le garder à l'oeil, soit celui-ci serait utile pour mes chroniques à la radio et j'en passe. Juste de simplement physiquement les déplacer me donne envie de les lire. Une manière que j'ai trouvé de garder ma bibliothèque vivante et non figée. Parce qu'une constatation importante de ma vie est celle-ci: pour moi les bibliothèques qui bougent sont les plus attirantes. C'est personnel, mais c'est comme ça pour moi.

Une bibliothèque personnelle, c'est vivant, ça évolue avec nous, avec nos envies de lecteur et de lectrice, avec nos projets, nos ambitions, nos envies, nos lubies, contenant et contenu inclus. Il n'y en a pas deux pareilles. Sans doute pour ça que j'aime autant zieuter celle des autres quand je vais chez quelqu'un. Leur bibliothèque est souvent un reflet de leur relation avec les livres.

@+ Mariane

jeudi 21 mars 2024

Le pacte de minuit de C.L. Polk

 Le pacte de minuit de C.L. Polk VLB imaginaire 442 pages


Résumé:

Béatrice Clayborn a 18 ans et veut devenir une grande magicienne, être de celle qui noue un pacte avec un esprit majorae, les plus puissants d'entre tous. Toutefois, dans son pays natal, les femmes mariées ne peuvent plus pratiquer la magie à partir du jour de leurs noces: enfermées dans un collier de protection qui les coupent de leurs pouvoirs, elles ne peuvent plus pratiquer leur art, tout ça afin de protéger leurs futurs enfants d'une possession. C'est pourquoi Béatrice souhaite avant tout devenir une vieille fille et faire profiter sa famille de ses talents. Mais son père, criblé de dettes, a d'autres idées en tête pour elle: il veut qu'elle fasse un bon mariage et pour cela, a misé pratiquement tout ce qu'il possède sur la saison des pactes, période où les jeunes gens se réunissent pour conclure des alliances avantageuses. Déchirée entre ce qu'elle veut pour elle-même et pour ce qui est nécessaire de faire pour assurer l'avenir de sa famille, Béatrice voit la situation se compliquer encore plus lorsqu'elle croise le regard d'Ianthe Lavant, homme qui ne la laisse pas indifférente et qui représente une opportunité unique de mariage... Entre ses propres désirs, ceux de sa famille et ce à quoi la pousse son coeur, que fera Béatrice?


Mon avis:

Bridgerton au pays de la fantasy est l'image qui m'est venue en tête dès les premières pages du livre. Autant par le fait que c'est une excellente romance (Et côté romance, on est bien servi!) que par la critique sociale faites au travers. Ici, c'est la condition des femmes qui est critiquée, mais au travers d'un angle particulièrement intéressant: comment le monde construit autour de l'intrigue fait tout pour retirer aux femmes leur plus grand atout: leur pouvoir magique.

Évidemment, comme c'est une romance, les événements sont centrés sur Ianthe et Béatrice, mais aussi sur Ysbeta, la soeur de Ianthe, tout aussi déterminée que Béatrice à échapper au mariage, mais pour des raisons qui lui sont propres. L'histoire ne commence pas par un coup de foudre et la relation amoureuse ne se construit pas non plus sur deux personnes qui se détestent, mais bien sur deux personnes qui apprennent à se découvrir et à se respecter avant de s'aimer. Béatrice, auquel on recommande le classique, soit belle et tais-toi pour se trouver un mari va commencer à parler de ses idées à Ianthe et celui-ci, bien que déstabilisé au départ, va finir par en admirer autant le courage et l'intelligence de la jeune femme, bien plus que sa beauté, bien que comme il se doit, il la remarque. C'est le respect de ce qu'elle est comme être humain qui va pousser Béatrice vers Ianthe, même si tout en elle se révulse contre le mariage. Pas contre le fait d'aimer quelqu'un, non: c'est le collier de protection, la prison, l'absence de magie dans sa vie qui la fait fuir. Ainsi se croise et s'entrecroise plusieurs trames narratives dans ce récit: la quête de Béatrice pour son avenir, le désir de ne pas causer la faillite de sa famille, son amour pour Ianthe qui bien que réel, la mènerait à renoncer à ce qu'elle souhaite pour elle-même et son soutien à Ysbeta, doublé d'une pointe de rivalité. Les deux femmes feront alliance pour développer leur magie, malgré tous les tabous de la société dans laquelle elles vivent.

Autre personnage important du récit, Harriet, la petite soeur de Béatrice, celle qui rêve de sa saison des pactes alors que Béatrice subit la sienne à son corps défendant. Les disputes entre les deux soeurs sont épiques, mais on sent l'amour entre elles. Si Béatrice ne veut pas d'un mariage, elle ne veut en aucun cas gâcher l'avenir que sa soeur souhaite pour elle-même. Mais pour cela, il faudrait que Béatrice accepte de faire un bon mariage afin de ne pas briser la réputation de la famille. Et cela, bien sûr, il n'en est pas question pour elle!

Le père des deux soeurs a un rôle ambivalent dans l'intrigue. Il est évident que Béatrice l'aime, même cherche son approbation et son amour et qu'il l'aime aussi, mais il ne voit pas le potentiel et les désirs de sa fille à cause de son genre. Il se détourne systématiquement des possibilités que pourraient lui apporter le talent de sa fille, la pousse sans cesse vers une voie qui la terrifie au plus profond d'elle-même, allant à certains moments jusqu'à user de violence, surtout psychologique. Certains éléments de l'intrigue laissent penser qu'il est lui-même en train d'essayer de prouver au monde qu'il est capable de réussite, sans voir que sa fille mène la même quête. La mère de son côté est une figure très en retrait, presque absente du récit. Quand elle apparaît c'est surtout l'aura de sa présence qui ressort: le collier de protection autour de son cou met sa fille mal à l'aise. Les relations mère-fille sont donc peu développées, mais on sent leur importance sous le vernis du malaise.

La trame est assez classique pour une romance: deux personnes se rencontrent et tombent amoureuses l'une de l'autre avec au travers toute une série d'obstacles qui se met au travers de leurs sentiments. Sauf qu'ici, les obstacles sont à la fois traditionnels, comme le fait que Ianthe et Béatrice n'appartiennent pas à la même classe sociale et très moderne, par la volonté d'émancipation de Béatrice. Les deux s'emmêlent et influencent l'histoire d'amour. À cela s'ajoute une intrigue magique qui s'avère intéressante par elle-même. Car le collier de protection s'avère une métaphore efficace du fait que l'on retire aux femmes leur pouvoir et qu'on les enferme dans une sorte de servitude. Même si elles le font par amour, ça n'en reste pas moins une servitude. Sauf que Béatrice, résolument féministe sans connaître ce mot, se bat de toutes ses forces contre cette servitude. Au fil de l'intrigue, les allusions au fait que bien des hommes sont confortables dans cette situation ou au contraire, travaillent à la renforcer sont nombreuses. Une métaphore efficace, je disais.

Un mot sur les esprits. Béatrice est liée pendant presque tout le livre à un esprit minorae, Nadi. Celui-ci, facétieux, enfantin par certains aspects, guidé par ses pulsions et ses envies, est représenté par le pronom ael tout au long du livre, une innovation du traducteur pour représenter le it anglais. Une excellente idée, parce qu'il représente ce qu'est cet esprit: une créature sans corps, non genrée, mais oh combien désireuse de se lier à un corps! La relation entre Nadi qui veut tout, tout de suite et qui est tenté de piqué des crises et Béatrice, qui s'attache à ael malgré tout, évolue grandement durant le livre, au fil des convocations et du temps passé à partager le même corps. Ce qui était pour elle au départ un moyen d'obtenir ce qu'elle veut finir par devenir bien plus que ça.

Dernier point: j'ai adoré ce livre et pourtant, je repousse la publication de cette critique depuis un grand bout de temps. Même si j'essaie, il me semble que je n'arrive pas à rendre l'immensité des thématiques abordées et l'intelligence avec lesquelles elles l'ont été. C'est un livre qui m'a fait réfléchir et rêver bien après que je l'ai terminé. Comme tous mes grands coups de coeur.

lundi 29 janvier 2024

Quand l'auteurice se masturbe avec son univers...

 Salut!

Je sais que le titre de ce billet est un brin provocateur, mais ce billet n'a aucune connotation sexuelle ;)

Il y a quelques années, je lisais un livre de science-fiction et je me suis rendu compte que tout à coup, l'un des personnages se mettait à réfléchir tout haut à des concepts importants reliés à l'intrigue. Et de se demander, presque en passant, si le fait qu'un personnage soit chose x était l'équivalent d'être chose Y dans leur univers ou être chose était très important. J'ai dû me faire une entorse aux yeux tellement je les ai roulés à ce moment-là. Pas que ça n'avait aucun rapport avec l'histoire ni parce que c'était exagéré. Non, c'est juste que l'auteurice était ici plus en train de se parler à elle-même qu'autre chose. Ce point de chose X ou chose Y n'avait strictement aucun rapport avec l'intrigue à ce moment-là. J'avais l'image mentale de cette auteurice en train de se poser cette question à ce moment de son processus d'écriture et de se demander si tel élément de son univers fonctionnait avec tel autre élément et quels seraient les possibilités, si...

J'ai toute de suite eu l'impression que l'auteurice était en train de se masturber avec son univers.

Pas au sens sexuel du terme bien sûr, mais au sens que l'auteurice se faisait plaisir avec cet exercice où, par le biais d'un personnage, elle s'interrogeait sur les concepts qu'elle avait mis en place dans son univers. Bref, j'avais plutôt l'impression d'être en train de prendre sur le vif un intense moment de plaisir intellectuel par une écrivaine qui réfléchissait à l'univers qu'elle avait mis en place plutôt qu'un moment particulièrement bien écrit au bénéfice de la lectrice que j'étais. 

Ça m'a donné l'impression gênante de surprendre un moment qui ne m'était pas du tout destiné...

Soyons clair: pour quelqu'un qui passe des centaines, sinon des milliers d'heures à construire un univers de science-fiction complexe, vif, à imaginer des peuples, des rites, des technologies et qui ensuite met des personnages en action dans celui-ci, qui souvent vont eux-mêmes s'interroger sur leur univers et le remettre en question ou encore en repousser les limites... la tentation doit finir par s'installer à un moment ou à un autre de mettre un peu de ses réflexions personnelles, un peu de son jus de cerveau dans ses écrits. Le hic c'est: est-ce que j'ai besoin de ça comme lectrice?

Et je parle bien de concepts ici. Frodon ne perd pas de temps à se demander pourquoi il est au Troisième Âge de son univers, simplement parce que c'est un concept acquis et compris par lui. Et il ne passe pas plus de temps à s'interroger à savoir ce qui marquerait le début du Quatrième Âge, parce que pardi, si nous sommes au Troisième Âge, c'est qu'il y en a eu un Premier et un Second et donc, qu'un jour, il y en aura forcément un Quatrième et au fond, est-ce que de détruire l'Anneau sera l'événement qui nous fera entrer dans le Quatrième Âge? J'imagine la tête de Sam, penchée sur un chaudron en train de préparer leur souper, une pipe à la bouche, si Frodon tenait un tel discours... Ce n'est pas pertinent à leur histoire, à ce qu'ils vivent. Le pouvoir de l'anneau l'est et donc, si Frodon s'interroge sur celui-ci, c'est tout à fait correct, car le concept du pouvoir qui corrompt forme la trame de l'intrigue et ça, c'est légitime de s'y intéresser.

Bref, faire jouer mentalement avec les concepts de son univers peut être une bonne chose si ça sert à l'intrigue. Ça a sa place dans ce cas! Autrement, auteurice, allez faire ça dans votre chambre, tout seul... Je ne veux pas le savoir...

@+ Mariane

lundi 15 janvier 2024

Je n'ai plus autant de temps pour lire

 Salut!

J'ai reçu des amis récemment pour un petit souper. L'un de mes invités, qui en était à sa première visite chez nous, a minutieusement fait le tour de mes bibliothèques. On a ça en commun: lui aussi adore la littérature. Il regardait les livres les uns après les autres et me lançait des «Ah, oui, ça, c'est super bon!» ou des «As-tu aimé celui-ci? J'hésite à lire cet auteur» à chaque demi-tablette. Plus tard, en mangeant, alors que la discussion tournait autour de la littérature encore une fois, il a secoué la tête pour m'avouer que même s'il aime toujours autant ça, il n'a pas terminé beaucoup de livres récemment et qu'il n'a plus beaucoup de temps pour lire.

Il faut dire, il est papa d'une petite fille débordante d'énergie et lui et sa conjointe ont des vies riches en activités. Mais il y a autre chose aussi, autre chose que j'ai constaté moi-même et que j'ai vu chez plusieurs personnes: ce n'est pas que l'on aime plus lire, c'est plutôt que la lecture ne prend plus la même place dans nos vies et finit par être délaissée. Pas par manque d'amour, mais simplement parce que d'autres activités, d'autres intérêts prennent de la place et bon, on est tous obligé de payer les factures et pour cela, d'avoir un boulot. Ceci fait lentement dériver la lecture comme loisir et comme centre d'intérêt du haut de la page qu'il occupait durant notre jeunesse à une place beaucoup plus basse dans nos priorités.

Quand j'étais jeune,  je pouvais passer des après-midi complets à lire. J'étais complètement dans mon livre, dans l'histoire. J'oubliais l'heure, j'oubliais de faire ce que ma mère m'avait demandé de faire (à son grand désespoir). Il n'y avait que deux choses pour me faire lâcher mon livre: l'obligation de vider ma vessie et de remplir mon estomac! Ma vie d'adulte est très différente. Mes obligations sont plus nombreuses et les fois où je peux passer des après-midi complets à lire sont un luxe . Personne ne fera le souper pour moi maintenant, ni le lavage! Dire que j'aime moins lire, surtout un livre dans lequel je plonge à fond, est faux. Cependant, le temps de qualité pour s'y consacrer n'est plus là et donc, j'ai plus tendance à repousser pour avoir du temps. Ce qui réduit encore mon temps de lecture...

J'ai moi-même constaté le phénomène. Moi qui ai déjà dévoré une bonne centaine de livres par année, je n'ai lu qu'une dizaine de livres en 2022 et à peine le double en 2023, alors que je me promettais pourtant de prendre plus de temps pour lire. C'est là que j'ai commencé à réfléchir à cette notion de temps de qualité pour lire. Parce que je veux me plonger dans mes livres, pas en lire quelques pages à la sauvette. Je veux faire de mon temps de lecture un moment important. Le hic, c'est que d'attendre que ce temps de qualité arrive finit par m'éloigner de la lecture parce que moins de moments de qualité = moins de temps pour se plonger dans un livre et moins de temps pour se plonger dans un livre = l'envie de lire diminue parce que justement, on a moins notre petite dose du plaisir que donne la lecture

Lire doit redevenir pour moi une habitude, quelque chose d'ancré dans un quotidien et non plus quelque chose qui arrive quand j'ai le temps. J'ai donc décidé en 2024 de me fixer un objectif (pas une résolution hein, c'est connu, on ne tient jamais ses résolutions du Nouvel An! :P ): lire au moins 5 pages par jour. 5 pages est assez pour dire que l'on a avancé un petit peu une intrigue, suivi une péripétie et si la journée a été trop chargée, ce n'est pas non plus trop long à lire. Juste pour me dire que je réintègre la lecture dans mon quotidien. Jusqu'à maintenant, ça fonctionne et je commence même à simplement avoir le goût de m'asseoir et de lire.

Et vous, comment sont vos habitudes de lecture en 2024?

@+ Mariane

jeudi 11 janvier 2024

Fifi Brindacier d'Astrid Lindgren

 Fifi Brindacier  Astrid Lindgren  Folio junior 139 pages


Résumé:

Un beau matin, une petite fille débarque dans une petite ville suédoise tranquille. Elle a les cheveux roux qui tiennent en deux tresses de chaque côté de sa tête, des souliers beaucoup trop grands, un petit singe appelé M. Nilsson et est dotée d'une force extraordinaire. Ses jeunes voisins, Tommy et Annika, deux enfants tout ce qu'il y a de plus normaux, se lient d'amitié avec cette étrange Fifi Brindacier, qui vit seule dans sa villa, marche sur les mains et se couche à l'heure qu'elle veut. Car pour Fifi, chaque jour est une nouvelle aventure. Certes, elle ne comprend rien au monde des adultes et n'en fait qu'à sa tête, mais avec elle, qu'est-ce qu'on s'amuse!

Mon avis:

Pas pour rien que cette petite fille autoproclamée la petite fille la plus forte du monde a conquis les coeurs de milliers d'enfants à travers le monde. Impertinente, naïve, courageuse, rebelle au grand coeur, elle n'en fait qu'à sa tête et suit sa propre logique, qui malheureusement, se met souvent en travers de celle des adultes qui croisent son chemin.

Ses aventures, hilarantes au passage, la mettent souvent en contradiction avec les gens de la petite ville de Suède où elle s'installe. Ses deux voisins, Tommy et Annika, autant des faire-valoir que des contrepoints à son imagination débordante, mettent en relief sa différence avec les gens du coin. Car différente, Fifi l'est, mais ça ne la gêne absolument pas. Elle fait ce qu'elle veut, quand elle veut. Que ce soit apprendre la polka passer minuit (et entraîner deux voleurs dans une danse qu'ils regrettent aussitôt!), dormir la tête sous les couvertures et les orteils sur l'oreiller, laver les planchers en transformant les éponges en patin à roulettes, Fifi est libre des contraintes habituelles des enfants de son époque. Le choc qu'elle éprouve parfois en les découvrant est partagé par le lecteur qui fronce des sourcils en se disant: ah oui, mais pourquoi les enfants doivent faire ça au juste? 

D'ailleurs, si elle est rebelle face aux adultes, Fifi n'est jamais méchante face aux enfants. Elle défend ceux qui sont victimes d'intimidation, s'amuse avec les autres et ne s'en prend jamais, au grand jamais à eux. Elle ne les pousse pas non plus à entrer dans sa rébellion, elle les laisse libres de leurs choix, incluant d'obéir à leurs parents, d'aller à l'école et de faire attention de ne pas salir leurs vêtements.

Le livre se lit en une douzaine de chapitres indépendants qui sont autant d'aventures de Fifi et ses amis. Les chapitres peuvent se lire un par soir pour qui voudrait faire la lecture à ses enfants avant l'heure du coucher. Si certaines situations ont mal vieilli (le livre a été publié en 1945 quand même), d'autres sont toujours aussi délicieusement au goût du jour. 

Le livre est aussi intéressant pour l'adulte que pour l'enfant. Dans certaines réactions de la petite fille, on peut lire les réflexions d'une autrice qui a toujours eu un parti pris pour les enfants. Au travers du personnage de Fifi, c'est la société suédoise au complet qui est remise en question et particulièrement le sort réservé aux enfants.  Même si le contexte a beaucoup changé, son regard reste très pertinent.

À mettre entre les mains des enfants et des parents, même mieux, à lire ensemble!