Les soleils des indépendances Ahmadou Kourouma Points 196 pages
Résumé:
Fama est un homme qui a tout perdu: son cousin lui a pris le trône héréditaire des Doumbouya, sa femme, la belle Salimata, ne lui a pas donné d'enfants et il est réduit à la pauvreté, lui qui devait être prince. Par-dessus tout, les indépendances ont sapé les structures traditionnelles qui devaient assurer son rôle dans sa société. Alors qu'il s'échine à faire perdurer les usages et les rites immémoriaux, une nouvelle inattendue lui parvient de l'intérieur des terres. Son cousin usurpateur est mort. Commence alors un retour vers le pays d'origine et avec lui l'espoir d'une vie nouvelle. Mais est-ce vraiment possible sous les soleils des indépendances, qui avaient promis des jours heureux et avaient fini par des dictatures?
Mon avis:
Ne pas lire ce livre si vous êtes déprimé... Parce que ce roman, c'est le revers des espoirs suscités par la vague des indépendances africaines. La pente vers la dictature, le désespoir causé par un avenir qui avait été bloqué par les colonisateurs et qui l'est toujours, cette fois par les siens. Fama est un homme moyen, ni particulièrement courageux, ni particulièrement intelligent, dont toute la vie avait été construite autour de l'idée qu'il allait un jour hériter du trône de ses ancêtres et qui se retrouve totalement démuni face à l'usurpation de son cousin. Fama ne sait pas comment s'adapter, comment changer. D'ailleurs, il le refuse. Il cherche à tout prix à garder vivantes les anciennes traditions, même si cela entraîne un violent décalage entre le monde tel qu'il existe et le monde tel qu'il voudrait qu'il soit.
Il ne survit que grâce à sa femme, la belle Salimata au ventre sec. Ce personnage, dont deux des chapitres sont écrits de son point de vue, est un personnage courage. C'est elle qui réussit à faire vivre le ménage par un dur labeur de vendeuse à la criée. Elle se veut bonne musulmane et généreuse, ce qui ne l'empêche par d'être exploitée par des hommes qui la manipulent pour prendre plus qu'elle ne peut donner. Ce qui est particulier, c'est de voir toute la violence que vit le personnage. Entre l'excision qu'elle a subie jeune adolescente (la scène est terriblement graphique et racontée par elle du point de vue de son propre corps), le viol qui a suivi (parce qu'elle est belle) et la violence conjugale avec son premier mari, on se dit qu'elle a déjà tout subi. Mais non, elle sera agressée au marché, volée et laissée sur place, pratiquement nue devant tout le monde. Son seul souhait, son seul espoir, est d'être mère un jour, un but qu'elle poursuit avec acharnement. Le problème est que le roman laisse clairement entendre que c'est son époux qui est stérile, mais, société patriarcale oblige, c'est elle qui porte le poids des regards plein de jugement.
Lorsque la nouvelle de la mort du cousin arrive et que le retour vers le pays natal commence, Fama pense qu'il va renaître, que sa vie va enfin reprendre le cours interrompu qu'elle aurait toujours dû avoir. Il se leurre bien sûr: son pays natal est plein de marécages, les gens y meurent de faim et le nouveau climat politique local, avec les membres du comité ultrapuissant lui mettent des bâtons dans les roues. C'est l'échec de sa vie qui se déroule devant lui. Alors qu'il attendait la gloire du retour, il se retrouve à régner sur les restes de son peuple. Mais quelle magnifique description de ce retour, des traditions, des usages et des coutumes, dans le détail et combien chaque élément est important pour l'ensemble.
Malgré le sujet oh combien difficile, la plume d'Ahmadou Kourouma est sublime. Elle reprend le rythme de l'oralité des grios et multiplie les images et les allusions à la nature sauvage africaine. C'est une vision du monde et une philosophie du quotidien que l'auteur explore, dans un monde où tout le monde est musulman, fait les cinq prières quotidiennes et va consulter le marabout en sortant de la mosquée sans y voir la moindre contradiction. Un océan de contrastes qui s'entrechoquent tout en restant cohérents, avec des personnages broyés par le poids de ce que leur vie aurait pu être et qu'elle n'a pas été. Un roman très dur, mais j'oserais dire nécessaire, car il gratte les plaies des indépendances, car sous leurs soleils, tout n'a pas été rose.
3 commentaires:
Ouf, pas sûre que j'ai les nerfs pour lire ça, mais ça semble toute une expérience de lecture! (Ça m'évoque par moment "un dimanche à la piscine à Kigali")
Ce n'est pas un livre facile du tout à lire et à ne pas lire dans un moment où on est déprimé, je confirme! Jamais lu Un dimanche à la piscine à Kigali et pas sûre que tu me donnes envie...
Comme dit Gen, Ouf! J'ai lu Un dimanche à la piscine à Kigali et je n'ai sincèrement pas le goût de relire ce genre de lire. Ça a beau être un roman, c'est un pan d'histoire que l'on ne connait pas mais maudit que c'est rough à lire. Merci pour la critique!
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