Salut,
Récemment, l'idée est revenue dans l'actualité (merci l'aile jeunesse de la CAQ), de construire un corpus littéraire d'oeuvres obligatoires à lire au cours de nos études. Dire que l'idée n'est pas nouvelle est un euphémisme: c'est comme la mauvaise herbe, cette idée finit toujours par revenir! Elle a des pour et des contre, comme toutes les idées.
Dans la colonne des pour, c'est l'idée d'une culture commune qui rassemble le plus. Après tout, c'est plus facile d'avoir une discussion si on a les mêmes références. Le hic étant: quelles oeuvres devraient devenir ces références. Et c'est là que le bât blesse et fait très mal: lesquelles choisir? Parce que la littérature québécoise, si jeune soit-elle, regorge de livres qui valent la peine d'être lus et même d'être connus d'un plus vaste public. Si on sort la tête des romans du terroir (qui sont un instrument de torture pour adolescents et ne représentent vraiment plus les valeurs d'aujourd'hui), un paquet d'oeuvres valent la peine et limiter la liste à une poignée serait un exercice périlleux. Juste cette partie représente un exercice d'équilibriste. Sans compter que j'entends d'ici les glandes salivaires de quelques éditeurs face à l'opportunité de voir un de leurs livres à l'étude partout au Québec.
Parmi les contre, il y a le fait que ce ne sont pas toutes les oeuvres qui sont bonnes à lire pour tout le monde. Les profs sont des professionnels après tout et c'est à eux de faire les choix. Et que leur boulot est autant de donner le goût de la lecture que de faire découvrir la littérature. Sauf que bien des livres gagnent à être lus même si on n'est pas porté vers eux, même s'ils demandent un effort. Et que ça vaut parfois la peine d'être confronté ou mis au défi par une histoire. J'ai des amis qui sont profs de français et qui se sont résolus, par simplicité et parce qu'ils en avaient marre de se battre, à mettre à l'étude des oeuvres plus faciles et à éviter les classiques. Avoir un corpus obligatoire leur donnerait un bon coup de pied au derrière et leur donnerait un argument de poids face aux élèves: voyez, tout le monde y passe!
Je suis plutôt pour l'instauration d'un corpus, mais je le verrais plutôt comme une liste souple ayant un certain nombre d'oeuvres et dans lequel les profs pourraient piger. Ici, on lirait Anne Hébert, ici Gabrielle Roy et là Michel Tremblay, dépendant des profs et des écoles. On pourrait comprendre les gens de Sorel de préférer Le Survenant à Maria Chapdelaine par exemple. Faire une liste d'une trentaine de titres et dire: voilà, vous devez en lire une par année au secondaire. J'ai récemment vu passer le dernier corpus littéraire du programme français et ça m'a fait passer l'envie des corpus rigides: 12 livres sur 15 étaient écrits par des hommes blancs... Au XXIe siècle. Vraiment, c'était pas demandé un peu de diversité? D'autant plus que les plumes féminines françaises sont nombreuses et qu'un paquet de riches plumes issues de la diversité ont émergé depuis vingt ans. Je vais laisser aux Français le soin de faire leurs propres choix, mais il me semble qu'ils sont un peu répétitifs.
Mais bon, je crois que personnellement, je décollerais le nez du roman. C'est un genre majeur, je sais, mais il demande du temps pour s'y investir. Pourquoi pas ne pas privilégier les nouvelles quand il s'agit de corpus obligatoire? Pas mal tous les grands auteurs ont publié des nouvelles ou même des recueils de nouvelles. C'est un genre négligé et qui pourrait, par son format et son abondance, fournir largement une culture commune et ouvrir des portes. Lire une nouvelle d'une trentaine de pages, si c'est plate, ça peut être pas mal moins rébarbatif qu'un roman, mais ça peut fournir autant la conversation. Pour le reste, laisser aux profs leur autonomie.
De même, on pourrait varier les oeuvres d'une année à l'autre. Dire, voici les cinq nouvelles au programme au secondaire, une par niveau et on change à chaque année. Ça détruirait l'idée de culture commune? Pas nécessairement, l'idée d'une culture commune est que tout le monde ait des points de référence en commun, pas que tout le monde ait lu exactement la même chose. Si tous les élèves d'une cohorte ont lu Michel Tremblay et ceux de la suivante Anne Hébert, ce n'est pas si grave: tous les deux auront en commun d'avoir été lus par une grande quantité de personnes et en bien ou en mal, on parlera d'eux. C'est comme ça que se construisent les références communes: quand on en parle.
Bref, j'aime bien l'idée d'avoir un corpus en commun, de bâtir des références culturelles communes, mais je crois que les vieilles formules ont besoin d'un peu d'époussetage. On peut très bien atteindre certains objectifs sans imposer des lectures mur à mur.
@+ Mariane