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lundi 1 avril 2019

L'analyste: Faut pas que ça soit trop facile

Allongée sur mon confortable divan, je regarde attentivement le plafond.

-Donc, ce n'est pas la première fois que vous le remarquez?

-Non, soupirais-je, c'est loin d'être la première fois.

-C'était quand la première fois?

-J'ai lu ça dans un livre, il y a plusieurs années.  Ça me tapait sur les nerfs, mais je n'avais pas compris vraiment pourquoi.

-Et maintenant, vous le savez.

-J'ai une idée pas mal plus claire oui.

Le traditionnel grattement de son stylo sur le papier remplit l'air pendant quelques instants.  Un cliquetis me fit comprendre qu'il vient d'enlever ses lunettes.

-Alors, expliquez-moi, ce livre, que vous avez lu il y a longtemps, qu'est-ce qui vous avait tapé sur les nerfs?

-Et bien l'auteur s'amusait à mettre en place des giga-épreuves vous voyez?  Dans le genre, il nous faut affronter cette horrible créature qui se régénère en permanence et qui en plus émet un nuage toxique capable de tuer n'importe quel être humain en un clin d'oeil.  Et bien sûr, pour utiliser la seule arme capable de le tuer, il faut s'approcher tout prêt!

-Je vois le genre, un méchant, méchant dur à tuer.

-Exact!

-Et ils ont eu du mal à tuer cette créature, perdant au passage la moitié de leur équipe.

-Justement, le problème, c'est que non.

-Non?!?

Grincement de sa chaise: il s'est relevé.

-Mais comment ont-ils pu faire?

-Ils ont trouvé une solution en genre trente secondes après avoir décrit le monstre pendant trois pages.  Ils ont essayé et bien sûr, ça a marché du premier coup.

-Ben voyons, euh...

Il se racle la gorge, suivit d'un autre grincement: il s'est rassit.

-Ça ne me semble pas tout à fait logique.

-Ce ne l'est pas du tout vous voulez dire!

-Non, là, c'est vous qui le dite...

-Bordel, c'est juste n'importe quoi!  Ça ne se peut pas, affronter un tel monstre et réussir du premier coup!  C'est sensé être un défi, une épreuve, c'est sensé apporter quelque chose à l'histoire.  Si ça se résous en un tournemain, ben, ça marche juste pas!

-Ça ne marche pas, répète-t-il pendant qu'un bruissement de papier montre qu'il a tourné une page.

-Non, ça ne marche pas!  Vraiment, si on met une épreuve et que le personnage la surmonte sans problème, on perd du même coup tout ce qu'il pourrait apprendre de surmonter cette épreuve.  ça coupe l'évolution du personnage et aussi l'évolution de la situation dans bien des cas, parce que si tout se règle en un clin d'oeil, que reste-t-il à raconter?

-Vous vous enflammez!

-Ça m'énerve profondément!

Pendant que le grattement du stylo se fait entendre de nouveau, je pousse un interminable soupir.

-En fait, ça m'énerve parce que je comprends maintenant en quoi ça peut nuire à la fluidité d'un roman.  Les épreuves doivent être difficiles et être demandante aux personnages pour être surmontées, car c'est là que l'on trouve toute la saveur du récit.  C'est là que le personnage apprend le plus sur lui-même ou sur les autres qui l'entourent, c'est là que les intrigues se nouent ou se dénouent.  C'est un point central et focal.  Si c'est trop facile...  Ben, les épreuves n'ont plus de sens!  Et ça, je le comprends d'autant plus depuis que j'écris moi-même.  Ce qui fait qu'en tant que lectrice, je trouve ça encore plus dérangeant.

Je me tortille un peu sur mon divan avant de continuer.

-Je suis normale docteur?

-Laissez-moi prendre mon agenda, il est temps de fixer votre prochain rendez-vous!

@+ Mariane

lundi 4 février 2019

L'analyste: Show don't tell

Les yeux fixé au plafond, bien allongé sur le divan, j'écoute le grattement du stylo de mon psychanalyste sur son cahier.

-Ça a commencé quand?

-Oh, écoutez, surtout, avec un livre que j'ai lu cet automne.

-Et qu'est-ce qu'il avait de particulier?

-Sincèrement, c'est le premier avec qui ça m'est sauté dans la face.

-Quoi donc?

-Le show, don't tell

Le grattement s'interrompt.  Je peux presque voir sa tronche ahurie dans son silence.

-Et euh, qu'est-ce que c'est?

Je pousse un interminable soupir.

-C'est l'une des premières choses qu'on nous dit quand on commence à écrire.  Il faut éviter de raconter les choses, il faut plutôt les montrer.  Tenez, je vais vous donner deux exemples, vous allez comprendre, disons, le premier, c'est A:

-Elle rêvait de faire de la compétition, a répondu Corrine Valois, la travailleuse sociale.  J'ai eu affaire à Noor l'année dernière.  Pas parce qu'elle était difficile, mais plutôt parce que sa meilleure amie Léa nous donnait beaucoup de soucis.  J'avais remarqué que Noor pouvait avoir une influence positive sur elle.  Je suis d'accord avec Fatima, elle était douée et plutôt raisonnable.  Ce qui n'est pas toujours le cas à l'adolescence, lorsque les hormones voilent le jugement.

-Et maintenant, B:

-Elle rêvait de faire de la compétition, ajouta la quatrième femme qui n'avait pas encore parlé.

-Excusez-moi, votre nom?

-Corrine Valois, je suis la travailleuse sociale de l'école.

-Vous avez eu affaire à Noor?

-Oui, l'an dernier, mais pas pour elle, pour son amie Léa.  Elle nous donnait beaucoup de soucis et j'avais remarqué que Noor pouvait avoir une une influence positive sur elle.  Je suis d'accord avec Fatima, elle était douée et plutôt raisonnable.  

-Ce qui n'est pas toujours le cas à l'adolescence, fit remarquer l'inspecteur.

-Non, les hormones voilent souvent le jugement.*

-Vous voyez la différence?

L'absence de grattement, le silence: il réfléchit.

-Hum, le deuxième exemple me semble plus fluide, plus naturel, l'autre est plus figé.

-C'est exactement ça!

-Et où est le problème?

-Le problème, c'est qu'avant, si je le remarquais et ça m'agaçait, mais qu'en même temps, je n'avais pas les mots pour le dire.  Là, maintenant que je comprends c'est quoi, c'est encore pire.

-Hum, vous le voyez plus facilement?

-Tellement plus facilement!

-Oh, je comprends...

-Quoi, vous comprenez quoi???

-Rien, rien continuez...

-En fait, j'ai l'impression de complètement changer la façon dont je lis un livre.  Je ne les aborde plus de la même façon depuis que je me suis moi-même sérieusement mise à l'écriture.  Je suis normale ou non?

Le grincement du stylo s'arrête.

-Hum, on en discutera lors de notre prochain rendez-vous?

@+ Mariane

*A est un extrait d'un livre, B est une réécriture que je me suis amusée à faire.