Tuer Vélasquez Philippe Girard Glénat Québec 191 pages
Résumé:
Radio-Canada, an 2000. Un graphiste de Radio-Canada apprend qu'un prêtre québécois a été arrêté en France pour agression sexuelle sur de jeunes garçons. En apprenant le nom de l'homme, le graphiste, Philippe Girard (l'auteur lui-même), se retire dans la salle de bain, en colère. S'ensuit un long regard à lui-même dans le miroir, tandis qu'il plonge dans ses souvenirs datant de 1983. Ses parents venaient de se séparer et sa mère, désireuse de l'aider à s'intégrer, l'inscrit à un groupe de jeunes garçons mené par un prêtre. Un prêtre manipulateur, aux comportements étranges et insidieux.
Mon avis:
Depuis Maus, je savais que la BD était capable d'explorer toutes les zones d'ombres de l'âme humaine. Avec Tuer Vélasquez, on ne fait qu'en rajouter une couche à cette opinion. Oublier les comics, cette oeuvre n'a rien à voir avec ça. De par le choix de la technique (beaucoup de noir et blanc et un encrage beaucoup plus foncé dans les cases où le prêtre est présent), des plans, quasiment cinématographique, des phylactères parfois blanc, parfois noirs (pour indiquer les moments où les dialogues sont sans rapport avec les cases que l'on voit), mais aussi dans la façon de raconter l'histoire, on touche à une profondeur et à une densité d'intrigue digne d'un roman touffu. Le personnage principal, Philippe, est un jeune déraciné dans une banlieue de Québec suite à la séparation de ses parents. Là, sa mère l'encourage à joindre un groupe de jeunes menés par un prêtre. Dès que l'inquiétant personnage fait son apparition, on commence à sentir le cercle vicieux dans lequel il enfonce ses victimes. Il les encourage à cacher les activités du groupe à leurs proches, il les sépare de leurs familles par un paquet de réflexions en apparence anodines, leur dit qu'ils sont trop prudes, pas ouvert d'esprit ou s'accrochent au passé quand ils voient des situations qui les mettent mal à l'aise. Lentement, il désensibilise les jeunes et les prépare psychologiquement aux agressions. Ce n'est pas lui qui est incorrect, ce sont les jeunes qui ne comprennent pas. Il utilise beaucoup pour approcher les jeunes physiquement la culture française et ses moeurs: c'est normal en France que deux hommes s'embrassent, alors il embrasse les jeunes. Une partie du plan du prêtre est lié au fait que si les jeunes font ce qu'il dit de faire, il y a un voyage en France à la clé et il laisse entendre que là-bas, les moeurs sont plus ouvertes et qu'ils doivent s'habituer... Habile, très habile de sa part, d'autant plus que les cases qui sont associées aux prêtres sont toujours plus noires, plus sombres que les autres et qu'on a souvent des plans rapprochés sur sa physionomie, ses sourcils entre autre, très parlants. C'est durant un week-end à la campagne que Philippe verra clair dans le jeu du prêtre et fera tout avec un autre jeune pour ne pas se faire avoir. Le prêtre durant ce temps-là, laisse tomber le masque: il cuisine littéralement nu devant les jeunes! La logique de l'agresseur pédophile, qui est d'isoler la victime et de la manipuler pour qu'elle considère comme normal ce qui ne l'est pas est habilement démontrée, mais jamais de façon didactique: cette expérience venant du vécu de l'auteur, on sent sa réalité et non l'exemple qu'il veut montrer. Un personnage que j'ai beaucoup aimé est l'abbé, comme un contrepoids au prêtre. Enseignant à l'école où étudie le jeune Philippe, il n'a rien d'un pédophile, tout en étant proche de ses élèves. Une façon de montrer que ce sont les individus qui sont un problème, pas nécessairement l'institution dont ils dépendent (malgré que l'institution ait trop souvent couvert les individus...). Une autre façon de montrer la différence entre le prêtre et l'abbé est la dichotomie entre Picasso et Vélasquez. Le prêtre dit à Philippe de tuer le Vélasquez en lui s'il veut devenir Picasso. Une façon de le couper de lui-même, de l'inciter à n'écouter que ce qu'il dit (le prêtre), de ne plus faire confiance à son instinct. Une scène que j'ai beaucoup apprécié dans le livre montre Philippe empruntant des livres sur les deux artistes pour se faire sa propre opinion. Plus tard, croisant l'abbé par hasard, celui-ci fera une réflexion sur Picasso et Vélasquez qui rendra à Philippe sa confiance en sa capacité de penser par-lui-même. Un autre point: Jack Bowmore, qui n'est autre que le célèbre Bob Morane en personne! Charme suranné que ce personnage aventurier qui trouve là une excellente utilisation: c'est en s'inspirant de ce personnage pourtant fictif que Philippe sera capable d'affronter le prêtre et de parler de ce qui s'est passé. On cite largement des extraits des livres, et pour montrer à quel point Philippe est impliqué dans sa lecture, Jack Bowmore prend littéralement place dans la BD! Le graphisme est légèrement différent pour bien montrer qu'il s'agit du livre et on laisse dans ces cases de la place aux gris également pour établir clairement la ligne entre le récit proprement dit et les lectures de l'ado. Le courage de Bowmore encouragera Philippe à avoir le courage pour agir dans la sienne. Pour pouvoir se regarder dans le miroir. Rappel de la scène d'ouverture... Une BD extrêmement bien construite, bien faite, un hommage au neuvième art dans ce qu'il a de meilleur. Bon, en résumé, malgré le sujet difficile, j'ai adoré!
Ma note: 5/5
P.S. Pour mieux connaître Philippe Girard, voir l'épisode et les vidéos associées qui lui ont été consacrées par l'équipe de BDQC.
4 commentaires:
Wow, ça a l'air techniquement et émotionnellement très fort comme BD! Je vais essayer de mettre la main dessus je crois.
Les deux le sont. En tout cas, moi, j'ai dévoré et adoré!
Réservation faite à la biblio...Je t'en donnerai des nouvelles!
Cool!
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