lundi 17 décembre 2012

Grand écrivain ou grand écrivain québécois?

Salut!

Récemment, en refermant Un ange cornu avec des ailes de tôles, je me suis fait la réflexion que Michel Tremblay était un grand écrivain.  Un vrai.  Mon petit cerveau l'a vite rangé parmi les Grands avec un g majuscule, que j'admire pour leur prose, leur talent à faire sortir le merveilleux de l'ordinaire, à transformer le monde par leur plume et à nous faire voir la beauté là où n'étais avant que l'habituel et la routine.  Et puis, par réflexe, j'ai ajouté à Grands les mots écrivains québécois.  Et dans ma tête, ça a été la révolte.

Ok, deux petites voix se sont bataillées.  L'une d'entre elle, la plus forte, me disait: oui, mais tsé, Mariane, Michel Tremblay est un super bon auteur, tu en es maintenant convaincue toi-même.  Qu'il soit d'ici ou d'ailleurs, ça n'a aucune importance.  Il a su transcendé les frontières, dépasser ça, pour aller chercher dans la littérature ce qu'il y a de meilleurs: la prose, la beauté et l'art de manier les mots de façon extraordinaire.  C'est ça qui est important, peu important que le gars vienne de Chine, du Gabon, de l'Australie ou encore de Saint-Glinglin-des-meumeux.  Peu importe l'origine de la personne si elle a su transcender sa provenance pour l'offrir au monde!

Et il y a l'autre voix, celle sans doute que j'ai retenu à force de l'entendre partout à la radio et à la télé: Oui, mais Michel Tremblay est un écrivain québécois.  Il vient d'ici, de chez nous, il vient de ta ville préférée dans le monde, il parle d'ici, de trucs que tu connais, qui te relient à ton passé, à des choses qui viennent de chez toi, tu reconnais l'accent d'ici dans ses dialogues, tu revis une partie du passé de ton peuple, etc, etc.  Ouais.  Je sais.  Vous savez quoi?  M'en fou!

Je ne sais pas pourquoi, mais les discours nationalistes ne me font pratiquement rien.  Personnellement, si un écrivain est bon, il est bon, peu importe sa provenance.  J'encourage par réflexe les auteurs d'ici, mais jamais je ne vais pousser un livre d'ici si ce qu'il y a entre les deux couvertures est pourri, en prenant comme prétexte que ce sont des auteurs québécois qui ont écrit ça.  Bordel, on est parfaitement capable de produire d'excellents livres, pourquoi devrait-on privilégier notre littérature seulement et uniquement parce qu'elle vient d'ici?  Je connais personnellement une multitude d'auteurs dont les livres sont excellents et oui, ce sont des gens d'ici!  Ce que j'aime, ce sont les bons livres.  Je me fous un peu de la provenance de l'auteur.  À qualité égale par contre, je vais toujours, toujours, privilégié un auteur qui gagne sa croûte dans la même province que moi.  Pas parce que je considère que c'est mieux ainsi.  Tout simplement parce que je crois dans son livre et que je sais que ça va permettre à cet auteur d'aiguiser sa plume pour m'offrir encore d'excellents livres.  Le fait que cet auteur vienne d'ici est secondaire.  Ce qui est important, d'abord et avant tout, c'est que son livre soit bon.

Je ne suis pas très nationaliste.  Les discours, Encouragez les auteurs québécois!, seulement et uniquement parce qu'ils sont québécois me tuent.  Je déteste ça.  Je n'y crois pas.  J'ai encore trop en tête cet extrait de Deux solitudes de Hugh McLelland où l'un des personnages rencontre son frère, ardent nationaliste, qui mêle tout la politique, la science, la littérature, la nation, oubliant qu'en dehors du nationalisme, le salut existe...  Non, très peu pour moi ce genre de vision.

Je suis fière, profondément fière de notre littérature, pas nécessairement celle qui trône au sommet des palmarès de vente, non, celle qui s'écrit avec les trippes, celle qui parle d'ici, certes, mais aussi d'ailleurs à travers nos mots, notre langue, notre inventivité.  Celle qui sait nous faire vibrer, dépasser ce que nous sommes pour aller toucher à l'universel, à ce qui fait l'être humain, quelque soit son origine, sa religion, son sexe, son âge ou sa culture.  Parce que pour moi le reste est secondaire, tant que la littérature me parle de l'humain.

Comme le fait si bien Michel Tremblay.

@+ Mariane

10 commentaires:

Guillaume Voisine a dit…

Moi c'est plutôt Hubert Aquin qui me fait cet effet. Un grand écrivain, GRAND, qui était, à mon sens, nobélisable.

C'est aussi un écrivain québécois, et ça participe à la puissance de sa prose, parce qu'il y canalise une énergie culturelle qui nous est propre. En ce sens, pour moi, accoler "québécois" à "grand écrivain", c'est une valeur ajoutée, pour le lecteur québécois. Ou pour n'importe quel lecteur qui s'intéresse au fait québécois. Et ça n'enlève rien aux autres types de lecteurs.

Sébastien Chartrand a dit…

Tremblay est un grand écrivain, point.

Mais Tremblay sans Montréal ne serait pas Tremblay. Il serait un grand écrivain mais il ne serait pas l'écrivain que l'on connaît.

Tout humain est le produit de son milieu, par absorption ou par rejet dudit milieu. C'est spécialement vrai pour les artistes et les écrivains.

Tremblay est Tremblay parce qu'il est québécois. Comme Hugo était Hugo parce qu'il était français.

Et cela n'enlève rien à leur valeur. Bien au contraire.

Intérioriser sa culture pour produire des oeuvres magistrales est la preuve d'un talent incommensurable.

Tremblay est un grand écrivain. Tremblay est québécois. Les deux éléments ne s'opposent pas. Ils se complètent. Et plein d'autres éléments peuvent s'ajouter. Son homosexualité. Son succès jeune avec Les Belles Soeurs. Tout cela, et milles choses encore, constitue ce qui a construit l'homme.

Bien qu'un arbre ait des qualités qui lui sont propres, on ne peut nier l'apport du sol où la graine fut plantée.

Gen a dit…

Techniquement, une grande partie des écrivains "nobellisables" sont exactement comme Tremblay : de purs produits de leur culture et de leur milieu, qui la transcendent de façon magnifique, afin de la faire connaître au monde entier.

Dans ce sens, je crois qu'il n'y a rien d'incompatible entre le fait d'être "un grand écrivain" et "un grand écrivain québécois".

Venise a dit…

Un grand écrivain n'est pas plus grand parce qu'il est Québécois et un t-shirt de qualité n'est pas plus de qualité parce qu'il est fabriqué ici. Mais j'achète le t-shirt fait au Québec - autant que faire se peut.

Certaines entreprises font la promotion des produits de notre terroir, c'est une option, un choix. Ils s'empiffrent tout de même de nourriture d'ailleurs. Les denrées du terroir ne sont pas nécessairement meilleures.

Le Passe-Mot a décidé de promouvoir la littérature québécoise et bien évidemment que je prêche pour cette paroisse, souvent, et longtemps. Mais je voyage. Je ne reste pas les pieds accrochés au perron de ma paroisse. Et ne dénigre en rien le ailleurs. C'est une option.

Venise a dit…

En fait, pour répondre au titre, un grand citoyen du monde entier ou un grand citoyen québécois ?

Un grand citoyen québécois s'il habite le Québec. C'est plus précis. Mais un grand citoyen du monde avant un grand citoyen du Québec. Le grand englobe le plus petit. Personnellement, je m'identifie beaucoup à mon "plus petit".

Prospéryne a dit…

@Guillaume, je n'ai jamais lu Hubert Aquin :( Enfin, pas encore! Valeur ajoutée, j'aime bien, mais mon billet est avant tout une réaction contre nombre de commentaires que j'ai entendu au fil des années qui plaçait le fait québécois avant la qualité littéraire. Et ça honnêtement, ça me tue!

@Sébas, je te cite «Intérioriser sa culture pour produire des oeuvres magistrales est la preuve d'un talent incommensurable. » Ça résume bien ce que je pense, mais une fois qu'on a atteint ce niveau, bon importe l'origine de la personne, elles se retrouvent quelque part dans une sphère qui les relient bien au-delà de leurs origines.

@Gen, je sais! Mais comme je l'ai dit à Guillaume, ce qui me tue c'est quand le québécois prend le pas sur Grand écrivain et quelque part, j'ai l'impression que pour bien des gens, c'est ça qui est le plus important. Et c'est ÇA qui me tue.

@Venise, primo, j'admire ce que tu fais avec le Passe-mot, on devrait en avoir plus des blogueuses comme toi! J'essaie de faire ma part, mais en me respectant là-dedans, parce qu'à certains moments, ouf, je trouve ça difficile quand le mot québécois résonne trop avant la qualité des textes. Et je crois bien que personnellement, je m'identifie bien plus au plus grand qu'au plus petit. Il faut de tout pour faire un monde! ;)

Suzanne a dit…

Je lis et j'aime la plume québécoise. Par contre, tout comme dame Venise, j'aime «porter mes pas» vers d'autres plumes et ce peu importe leur nationalité. Bien sûr j'aime aussi promouvoir les auteur(e)s d'ici et c'est normal. Cependant si l'écrit est de qualité moindre à mes yeux, je n'hésite aucunement à le dire sans crainte, comme j'encense lorsqu'il se doit également.
Qu'un certain lectorat «pousse» un peu en ajoutant plus souvent le mot québécois à leurs lectures (et j'en suis sans honte), est aussi un signe de fierté au delà de toutes politiques.

Prospéryne a dit…

@Suzanne, ce n'est pas le lectorat poussant la plume d'ici qui est le problème à mes yeux, bien au contraire. C'est plus le marketing qui sert à faire vendre des livres en d'ici que ce sont des auteurs d'ici, donc il faut les encourager et qui nous fait presque sentir coupable si on achète ou lit des choses d'ailleurs.

Suzanne a dit…

Oui, oui je comprends et petite confidence; personnellement, bien que j'aime lire la plume québécoise, je ne lis pas si on m'impose ou oblige. C'est la raison pour laquelle je refuse toutes propositions de partenariat ou «service de presse» autant pour mon blogue que pour mon forum. J'y vais par envie dans mes lectures qu'elles soient d'auteurs québécois ou d'ailleurs.
Bonne journée à toi.

Liceal a dit…

Je suis tout à fait d'accord et je comprends ton malaise. La lecture est un acte libre.
Notre littérature est très riche, elle est passionnante mais on ne peut pas entrer dans le jeu: il faut en parler parce que c'est québécois.
Devrait-on lire uniquement par esprit nationaliste? Et l'esprit critique alors? Un libraire devrait-il juste mettre en avant, lire du québécois, parce que c'est québécois?
Un libraire donne ses coups de coeur et ses coups de gueule en fonction de ses affinités, de ses éblouissements, pas pour une raison identitaire. C'est quasiment lui refuser son esprit critique, sa liberté de lecteur et le considérer comme une plateforme publicitaire uniquement.
Je comprends lorsque tu dis "qui nous fait presque sentir coupable si on achète ou lit des choses d'ailleurs".
Cela m'agace et m'effraie un peu: critiquer en fonction de la nationalité de l'auteur?? Cela me dépasse. On critique une voix, une écriture pas selon une nationalité
Ce qui m'intéresse dans les livres ce sont les voix des auteurs, leurs univers et peu m'importe leur nationalité: russe, américain, québécois, allemand, etc
Oui, les médias accordent peu de place aux livres québécois et je dirai même aux livres tout court!!
Ce n'est pas sur les lecteurs, les bloggueurs, les libraires indépendants qu'il faut tirer. Nos libraires sont des passeurs de culture, de savoir. La culture, le savoir n'a pas de limite.
Alice