Salut!
Neveu a maintenant 15 ans. Il est à l'âge où son visage peut être confondu avec un champ de coquelicot. L'âge où la réponse à la plupart de nos questions est un ouin qui a des ressemblances avec un coassement de grenouille. L'âge où son cellulaire et ses amis deviennent le centre du monde et où j'ai l'impression de passer du statut de tante cool à madame fatiguante. Bref, l'âge où le lien que j'ai avec lui change, même s'il reste là.
Parfois, je m'imagine lui offrir un verre de vin. Un grand cru là, d'une bonne bouteille, vieillie, pleine de saveurs subtiles et d'arômes délicats. Neveu n'a jamais été tenté par l'alcool. Alors une gorgée d'un très bon vin, comme ça, d'un coup, sans préparation aucune? Je suis sûre qu'il va la recracher et courir se rincer la bouche pour faire disparaître les tanins. Il ne comprendra pas la riche saveur à laquelle il vient d'être confronté, tout simplement parce que son goût n'est pas formé, pas déployé, qu'il n'est pas capable de comprendre, de prendre le temps de savourer. Il est encore à l'étape de l'apprentissage. Et c'est normal, c'est de son âge. Neveu est un ado, tout simplement et comme des milliers d'autres, il est en train de découvrir le monde et de l'apprendre. Donc, quelque chose d'un peu plus complexe peut le rebuter facilement.
Si l'on ne parle d'un coup plus de vin, mais de livres. De grands crus de la littérature, souvent des classiques. Des livres à l'écriture travaillée, peaufinée. De personnages denses et ambigus, d'intrigues amples, d'émotions complexes et brûlantes. Je m'imagine la tête de Neveu pour ça aussi. Et sa grimace.
Nos goûts en lecture sont comme des papilles gustatives: plus ils ont goûté de plumes, de styles et d'intrigues différents, plus elles seront à même de savourer les subtilités de goûts qui ne sont pas à première vue évidents à savourer, à apprécier des détails qui ne sont pas faciles d'approche. Ce qui peut susciter un rictus de dégoût à un moment peut finir par faire sourire de bonheur à un autre. Mais ça prend du temps. Ça ne se fait pas en un jour et c'est toujours une aventure à chaque fois.
Quand on n'a pas en banque autant d'expérience, se retrouver devant un classique à lire, surtout au secondaire, peut devenir une épreuve qui décourage et dégoûte les jeunes. Parce que leur goût n'est pas formé. Moi-même, qui était pourtant un rat de bibliothèque à cet âge, j'ai grimacé devant certains livres plus ennuyeux. Non, je n'ai pas aimé Maria Chapdelaine à cette époque. C'est avec le temps, à force de lire des livres, que j'ai développé mon goût. J'ai d'ailleurs eu une passe, début trentaine où j'ai lu 5-6 romans du terroir que j'ai bien aimé. Mais le temps avait fait son oeuvre. Je pouvais mieux savourer les plumes et les histoires, parce qu'ayant un peu plus de recul et d'expérience, j'étais capable de voir au-delà de ce que je ne connaissais pas pour comprendre le texte et mieux l'apprécier. Mais ça a pris du temps.
Alors, je comprends que lire Agaguk, Maria Chapdelaine ou Bonheur d'occasion puisse faire du sens pour un pédagogue soucieux de mettre la jeunesse en contact avec le meilleur du canon littéraire. Sauf qu'il faut de foutus bons profs pour vulgariser ceci et éviter que les élèves ne recrachent leurs lectures avec une grimace dégoûtée. Dans la situation actuelle, c'est déjà bon d'avoir un prof dans la classe, alors, on repassera pour donner le goût de la littérature aux jeunes.
@+ Mariane
3 commentaires:
Excellente analogie, mais j'irais même plus loin : on n'aurait pas idée de demander à l'école d'éduquer le palais d'un jeune de 10-12 ans pour le préparer à boire du vin. Alors les Grands Classiques Littéraires, ptêt que c'est à réserver aux majeurs ça aussi. (Surtout que si certains ont, oui, un style travaillé, un univers dense, etc, d'autres ont surtout un intérêt historique et on va les lire davantage pour la culture que pour la détente.)
Bon, éduquer le palais pour le vin, ça s'est déjà fait en France, mais ce n'est plus le cas aujourd'hui! :P Je pense que donner l'envie de lire est plus important que de faire connaître les grands classiques. Par contre, connaître les grands auteurs et autrices d'ici, ça devrait faire partie du programme, mais pourquoi pas par le biais de leurs nouvelles? C'est de plus en plus ce que je pense en tout cas.
J'suis tout à fait d'accord pour les nouvelles! (Et je parlais d'éduquer le palais "à l'école". C'est pas la place et ça ne l'a jamais été.)
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