Chronoreg Daniel Sernine Alire 387 pages Lu en numérique
Résumé:
Dans un Québec du futur, indépendant et en guerre contre le Canada pour la possession des ressources en hydro-électricité du Labrador, Denis Blackburn est un officier du Contrex, le contre-espionnage du nouveau pays. Il part au Mexique avant de tenter de sauver la vie (du moins, de ramener la dépouille) de celui qu'il a aimé sans retour, Sébastien. C'est là qu'il fait pour la première fois la découverte d'une nouvelle drogue, le Chronoreg. Ses effets? Remonter le temps, revivre un moment du passé. Sauf que le cerveau de Blackburn a déjà été soumis à bien des expériences chimiques. Sur lui, le Chronoreg aura un effet encore plus puissant, celui de réellement remonter le temps. Blackburn garde cette information pour lui, alors qu'entre les puissances, la tension monte et qu'une offensive destinée à mettre fin à la guerre se prépare. Une offensive sur lequel se jouera le sort d'une nouvelle guerre mondiale.
Mon avis:
J'aime ce genre de science-fiction qui nous amène dans un futur proche qui pourrait être le nôtre, où on peut reconnaître notre monde. Mais où, en même temps, on comprend que ce n'est pas notre monde, du moins, pas encore. Un avenir proche, suffisant pour qu'il soit différent, mais pas trop loin. Dans cette dystopie qui se comprend au fur et à mesure que l'on progresse dans le texte, l'auteur nous fait découvrir un Québec indépendant, en guerre avec les autorités de ce qu'il reste du Canada pour la propriété des ressources énergétiques du bassin de la Churchill au Labrador. Pour qui connaît le moindrement le dossier, c'est littéralement de la politique-fiction. Certes, le livre est truffé de technologies plus ou moins futuristes, mais surtout, c'est la manière dont elles sont présentés, sans effort de les faire découvrir, simplement intégrées dans le texte selon le déroulement de l'histoire, qui m'a particulièrement plu. Le fait aussi que ce récit de science-fiction se passe ici au Québec, dans notre univers m'a plu également, même si l'essentiel du récit se passe dans le Grand Nord québécois, lieu des combats. Le personnage principal, Blackburn, est présenté avec une remarquable sobriété. On le suit tout au long du récit, mais on aura jamais une description physique claire de lui, ce qui laisse une large place au lecteur pour se le représenter tel qu'il le souhaite. Par contre, étant donné que l'on est sans cesse dans sa tête, on comprend bien sa psychologie et ses réactions. On le suit littéralement dans le moindre de ses actes, la moindre de ses réactions, ce qui nous le rend très proche. Le fait que Blackburn soit homosexuel (ou bisexuel?) dans ce livre m'a aussi paru comme un point fort. J'ai rarement lu de livres présentant celle-ci comme étant naturelle, saine et belle comme dans celui-ci. La peur de l'amour de Blackburn se comprend quand on voit l'ampleur des amours brisés qu'il a connu. Amoureux de Sébastien, il n'en sera pas payé de retour. Amoureux de Jac Marin, il n'aimera qu'un égoïste qui ne lui offrira pas grand-chose en échange. Amoureux de Jodi, il craint de connaître à nouveau les mêmes déceptions. Néanmoins, la grande innovation de ce livre, c'est d'avoir su utilisé les drogues d'une façon intelligente, innovante. La première, celle qui laisse sa trace tout au long du livre, est bien évidemment le chronoreg, cette drogue permettant de remonter dans le temps et revivre un moment de sa vie. Le cerveau de Blackburn, surutilisé par ses fonctions au Contrex et l'usage de drogues permettant la télépathie, de marijuana et d'autres substances encore, réagira en lui permettant de remonter physiquement dans le temps, un don rare, dont il usera pour résoudre la sérieuse crise internationale qui pointe aux portes. Ce qui n'en fera pas pour autant un James Bond ou un super-héros, juste un homme intelligent qui, à force de refaire la même journée, apprendra de ses erreurs et pourra orienter sa ligne du temps dans une toute autre direction. Un roman intelligent, bien écrit, bien raconté, de la science-fiction dans ce qu'elle a de mieux à offrir. Et cerise sur le sundae, ça a été écrit par un auteur d'ici!
Ma note: 4.75/5
Je remercie les Éditions Alire et plus particulièrement Louise pour ce service de presse numérique.
10 commentaires:
Belle critique ma chère!
Si tu aimes la politique-fiction, je te suggère "Voir Québec et mourir", de Jean-Michel David qui, sans être parfait du point de vue littéraire, offre une époustouflante aventure elle aussi très "collée", dans le temps et l'espace, sur notre monde.
«comme étant naturelle, saine et belle» ?
À moins que ma mémoire ne fasse défaut, il me semble que le protagoniste a de multiples relations sexuelles avec des mineurs et des prostitués, non?
Un INCONTOURNABLE de la SF québécoise, selon moi !
'aurais envie de répondre à Pat : ''ouain pis?'', mais c'est pas mal plus compliqué que cela.
Le personnage principal a des relations sexuelles avec des mineurs, certes, mais ils sont dans l'adolescence avancée, et sont consentants. Je ne dis pas que c'est bien ou mal, c'est pas à moi de juger, mais que ce n'est pas en contradiction du tout avec le «comme étant naturelle, saine et belle», écrit par Prospéryne.
Une des forces de la SF, comme chez Vonarburg ou Francine Pelletier, c'est de décloisonner la sexualité, de la rendre belle, justement, quand le réflexe occidental contemporain n'en fait pas autant.
Parlez-en aux éfans!
@Sébastien
Je seconde! Le roman m'avait carrément soufflé, à la première lecture.
@Philippe
Avec des adolescents consentants dans un bordel? Il a beau ressentir des sentiments pour Jodi, ça reste de l'exploitation de mineurs ;)
Non, je relis des passages, et je ne trouve rien de beau, sain et naturel. L'attachement de Balckburn pour Sébastien peut revêtir ces qualités, mais pas la description de la sexualité dans ce roman. Elle baigne dans la drogue et dans la fuite. C'est un vide que Blackburn remplit avec son sentiment de manque, de culpabilité. C'est une sexualité qui fait mal, qui lutte entre l'envie et le risque de s'attacher de nouveau.
C'est un élément central pour comprendre le personnage de Denis Blackburn, mais je ne crois vraiment pas que le but était de rendre cette sexualité «belle et saine».
Elle sert à mettre en lumière les ravages qui gruge Blackburn.
J'avoue que ce ne sont pas les mots que j'aurais utilisé, mais j'essayais simplement de comprendre le point de vue de Prospéryne qui, à mon avis, a fait une lecture très juste et sensible du roman de Sernine.
@Pat, commentaire pertinent. Certes, Blackburn a une vie sexuelle qui échappe aux normes, certes, il est complètement emmêlé dans ses émotions et sentiments et certes, sa fréquentation des prostitués, surtout Jodi qui est mineur, peut être condamnable. Cependant, tout ça, c'est uniquement si on le juge en utilisant les critères de notre vie quotidienne, très très loin de la réalité qu'affronte les personnages. Ils sont dans une région en guerre et où le taux de chômage est extrêmement élevé. Je ne dis pas que j'approuve la conduite de Blackburn, mais qu'il faut être conscient de ces détails pour replacer cet élément de l'intrigue dans son contexte général.
Néanmoins, ce que je voulais dire par une sexualité «comme étant naturelle, saine et belle», c'est que j'ai souvent senti une pointe d'inconfort dans la plupart des livres que j'ai lu parlant d'homosexualité. Comme si malgré les progrès énormes de notre société sur le sujet, il restait sur le sujet un petit quelque chose qui se manifeste par des brèves allusions à la non-conformité, au fait que l'homosexualité est «différente», bref, qui laisse croire que c'est quelque chose en-dehors des normes et qui le traite comme tel. Rien de ça dans le roman de Daniel Sernine. Au contraire, on sent son attirance envers Jodi, aussi mêlée de culpabilité et de tristesse soit-elle, est réelle et que le fait que cette histoire se passe entre deux hommes ne soulève aucune controverse. Certes, Blackburn est attiré par les hommes jeunes, ce qui peut soulever des questions liés à la pédophilie, mais soulèverait-on les mêmes questions si il s'était s'agit d'une histoire entre une prostituée de 16 ans et un client du même âge? C'est plus naturel, mieux accepté dans notre société, une relation entre un homme d'âge mûr et une femme beaucoup plus jeune, mais la différence est-elle si grande dans le cadre d'une relation homosexuelle?
Ce que j'ai voulu dire par mon commentaire est que pour Blackburn, son homosexualité n'est même pas une question sur lequel il s'interroge. Ses attirances sont là, tout simplement et c'est aussi normal que l'hétérosexualité. Ses émotions sont extrêmement complexes et c'est ce qui cause tous les problèmes qui y sont liés, quand il cherche à noyer sa peine auprès de prostitués par exemple. Mais ça ce sont des problèmes affectifs et tu as raison, il donne une belle épaisseur au personnage, ils le rendent complexe, humain. Mais ce n'est pas lié à la question de sa sexualité par contre, c'est un problème affectif dont il est parfaitement conscient et qui le poussera à commettre les actes qui ont semblé tant te déranger. Le problème, ce n'est pas son homosexualité, ce sont ses innombrables blessures affectives qui le sont.
«les actes qui ont semblé tant te déranger» Hein?
Euh, quand est-ce que j'ai dit ça? :S
Je ne cesse d'encenser le bouquin depuis que je l'ai lu.
@Pat, C'est ce passage qui m'a fait penser que ça t'avais choqué:
«Non, je relis des passages, et je ne trouve rien de beau, sain et naturel. »
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