La chambre de Giovanni James Baldwin Rivages 238 pages
Paris, années 1950: David est dans une maison, dans le sud de la France. Hella, sa fiancée, vient de le quitter. Et Giovanni, il le sait, va mourir le lendemain. Pour ce jeune américain perdu à Paris, la rencontre avec ce bel italien a été plus qu'un coup de foudre, une révélation sur ce qu'il est, sur sa nature profonde, Mais à une époque où l'homosexualité vit aux marges de la société et est soumise à tant de préjugés, faire le choix d'accepter cette partie de soi-même n'est pas un choix que tous sont prêts à faire.
Mon avis:
Lire du James Baldwin est plongé dans un océan de nuances émotionnelles, subtiles, comme une palette de couleurs étalées devant soi qui nous apprendrait tout sur les personnages dont on partage les aventures. Ici, il s'attaque, en plein milieu des années 1950 (le livre a été publié à l'origine en 1956) à l'homosexualité masculine, mais aussi l'impact de ce que repousser, nier, vouloir tuer cette partie de soi a comme impact sur la vie, la santé mentale et même j'oserais dire l'âme de ceux (et celles!) qui ne peuvent accepter ce qu'ils sont.
Le personnage principal, David, sait ce qu'il est, mais il le refuse, essaie de vivre autrement, a une liaison avec une femme, mais est incapable de vraiment aimer, vraiment se donner. Malgré tout, cette partie refoulée de lui refait surface, un peu malgré lui. À Paris, alors qu'il débarque de son Amérique encore puritaine, un milieu gai qu'il fréquente sans vraiment s'y mêler a compris ce qu'il est. Il ne veut pas l'admettre, mais eux le sentent. C'est là, un soir, qu'il rencontre Giovanni. Ce coup de foudre sera aussi un dur coup dans sa vie, parce que dès lors, il ne peut plus nier ce qu'il s'efforce de refouler depuis si longtemps. Les conséquences de cet amour seront funestes, mais c'est surtout sur ce qu'elles révèlent à David qui seront atroces: sa haine de soi internalisée depuis tant d'années, ne disparaît pas en claquant des doigts.
La chambre de Giovanni, lieu de leurs amours, est à la fois un révélateur et une prison, car c'est pour la durée de son séjour dans cette chambre que David aimera Giovanni. Mais il ne veut pas d'un engagement, pas d'un séjour à long terme, déchiré entre ce que son coeur lui dicte et ce que son esprit a assimilé. Le narrateur est David et on sent à travers le récit les immenses conséquences que le déni face à son homosexualité ont sur sa vie, sur son mal de vivre. Mais aussi les pressions internalisées de la société, une certaine vision de la virilité qui le coupe de son être et le pousse à prendre des décisions qui ne peuvent que le faire souffrir. Quand Giovanni essaie d'agrandir la minuscule pièce en voulant réduire l'épaisseur des murs, on sent qu'il essaie de créer de l'espace pour que David s'y sente bien. Mais David voit cela comme une futilité. Il est incapable de s'imaginer vivre dans cette pièce à long terme, il ne la supporte presque pas et tout ce que son amant fait pour essayer de le convaincre de rester ne servira à rien. Histoire tragique, classique, d'un homme qui, incapable de s'aimer lui-même est aussi incapable d'aimer les autres.
La plongée dans le milieu gai de Paris est aussi intéressante. Certes, les hommes ne sont pas tous tendres les uns envers les autres. Beaucoup de jugements et pas mal de bavardages alimentent les nuits dans un bar clandestin où tous peuvent enfin être eux-mêmes. Mais la liberté d'être et d'exister qu'ils ont à cet endroit est magnifique. Attention à ceux qui voudront lire le livre aujourd'hui, de nombreux mots sont maintenant considérés comme inacceptables sont utilisées sans le moindre problème de la part de tous les personnages. Certains personnages sont très archétypaux, mais aucun n'est en carton: leurs psychés, les débats intérieurs qui les animent, les sacrifices, la souffrance, les jeux de pouvoir mêmes sont finement dessinés.
La mort de Giovanni clôt le livre. Ce n'est pas une surprise, c'est annoncé dès le début. Mais l'impact de cette mort sur David est sans doute la partie la plus douloureuse et la plus tragique, car elle aurait pu être évitée s'il avait accepté de s'aimer lui-même tel qu'il est.
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