lundi 18 novembre 2019

Et dix ans plus tard...

Salut!

Il y a dix ans, j'ai participé avec mon chapeau de libraire à une rencontre sur l'avenir du livre.  Je suis sortie de cette rencontre ébranlée, épuisée et confuse.  Tous ces gens étaient des professionnels des communications, du numérique, du 2.0.  Ils voyaient l'avenir grand.  Très grand!  Livres numériques, site de réseautage pour lecteur, liseuse électronique, et j'en passe.  Je me suis rendue compte après coup que j'étais une des rares dans la salle à être une professionnelle du livre, qui en vivait et travaillait dans le domaine.  Tous les autres étaient des professionnels d'autres domaines, qui s'intéressaient pour cette journée au livre.  Ils le connaissaient mal.

Pour eux, le livre papier et la librairie, c'était du passé.  C'était en train de mourir, fini, nada.  Ils étaient 100% pour le livre numérique, qui allait révolutionner le monde du livre, là, là!  En dix ans me disaient-ils, en substance et en groupe, mon métier allait faire parti du domaine des choses disparues, tout le monde allait acheter ses livres sur Internet, on allait faire nos choix en conséquences des opinions émis sur les sites de vente et de nos amis et le livre papier allait être relégué aux musées et bla et bla...

Pas d'accord que je leur répondais.  Vous ne connaissez pas le milieu du livre, vous ne connaissez pas tant que ça les lecteurs en général, vous connaissez uniquement ce que vous disent vos proches, vos amis, votre milieu de travail.  La révolution est loin d'être à nos portes.  Les gens sont plus attachés aux livres papiers que vous ne le pensez.  Le livre numérique va faire partie de l'offre, mais est-ce que ça va être un rouleau compresseur qui va tout chambouler?  Non.  C'est plus tard que j'ai compris à quel point ces personnes étaient dans une bulle numérique...  L'expression ne pouvait être mieux appropriée à leur cas.

On a rit de moi (surtout sur Twitter, je pensais que les gens sur place prenaient des notes avec leurs portables, que j'ai été naïve!), mais dix ans plus tard... qui a raison?  Les gens consomment des livres numériques et des livres papiers, les librairies, après une période sombre à la fin des années 2000 reprennent du service et il y a plein de nouveaux points de vente qui ouvrent.  L'expertise des libraires est, sinon reconnue, du moins appréciée et présente dans les médias de plusieurs façons.  Et le livre numérique, cet eldorado où tous les auteurs pourraient publier, enfin libéré des contraintes des affreux éditeurs?  Oh, il y a eu quelques histoires de succès (permettez ici que je pleure abondamment en pensant à Fifty Shades of Grey), mais pour des milliers d'appelés, noyés dans la masse, combien d'élus réussissent à faire mieux que les auteurs édités?

Je me méfiais à l'époque de ces augures qui prédisaient la fin des librairies et du livre papier.  Je les laisse encore braire.  Je ne crois pas à l'effondrement du secteur comme celui du disque ou du dvd, même si c'était le prochain à passer à la trappe si on était logique.  Des morceaux de l'industrie sont certes partis à la dérive, comme les encyclopédies, remplacées par les Cd-Rom, puis par Wikipédia.  Mais la littérature, dans sa forme romanesque, se consomme encore largement sous forme papier.  Les livres de recettes se vendent encore comme des petits cupcakes frais même si toutes les recettes se trouvent en un clic sur internet.  Et n'importe quel politicien/polémiste/penseur qui veut se prendre au sérieux ne se contentera pas de publier chroniques et billets dans les journaux, il passera à un moment ou à un autre par la case livre et pas livre électronique.  L'objet garde encore sa force sur ce point.

Certes, le numérique fascine encore et toujours (j'en aie une preuve personnelle sous la forme d'un billet que j'ai publié aux tous débuts de ce blogue qui reste l'un des plus lus chaque jour, même encore aujourd'hui!) et c'est une chose que je comprends parfaitement.  L'avenir et ses miroitements attirent toujours.  Être dans le vent, suivre le mouvement, ne pas rater le train font parti de la vie.  Les choses changent!  Il ne faut pas se scléroser!  Croire que sa vision du monde correspondra à demain?  C'est une toute autre chose.

Nul ne peut prédire l'avenir.  On le voit souvent à travers nos propres yeux, nos propres perceptions.  Néanmoins, je pense que mon petit doigt m'a dit la vérité en sortant ce jour-là: tu n'étais pas avec des gens du livre Mariane.  Ce n'était pas les meilleurs pour comprendre son avenir.  La majeure partie de ceux qui étaient sur place n'étaient pas tant des lecteurs que des trippeux de technologies dans leur bulle.  Et même eux, n'avaient pas vu l'arrivée de Netflix et de Spotify.  Comme de quoi, nul n'est prophète en son domaine!

@+ Mariane

12 commentaires:

Gen a dit…

Hihihi! Très drôle de faire cette rétrospective dix ans plus tard. Parce qu'en effet, mettons que le livre numérique n'a pas révolutionné tant de truc. Et même, pour connaître une couple de trippeux de technologie, eux aussi sont contents, une heure ou deux par jours, de délaisser leurs écrans pour lire sur papier. Est-ce que c'est le fun d'avoir une offre numérique (ou audio) complémentaire au papier désormais? Bien sûr! Est-ce que ça va en prendre la place? C'est pas parti pour! (Et c'est tant mieux)

Prospéryne a dit…

Je garde un très mauvais souvenir de cette journée, c'est pour ça que quand je me suis rendue compte que ça faisait dix ans, j'ai pas pu m'empêcher de faire un petit bilan. Moi non plus, je ne pense pas que le numérique va tant que ça remplacer les livres papiers, mais ce n'est pas tant une question de technologies que de rapport au médium. La lecture de ne consomme pas de la bonne façon et on a pas encore créé un produit qui puisse reproduire ce contact. Alors c'est complémentaire pour l'instant. Un jour, on verra sans doute autre chose, mais je pense que ce sera quelque chose que l'on a pas encore imaginé.

Alain a dit…

Il est intéressant de constater que pour beaucoup de lecteurs encore, le livre est le dernier objet qui peut être transféré sous format numérique. Nous sommes beaucoup plus attachés à nos livres papiers qu'à nos CDs et DVDs, clairement.

De là à tirer la conclusion que le livre est un objet très personnel, il n'y a qu'un pas. ;-)

Mais autant les livres électroniques ont leur utilité, autant il y a de sérieuses limites qui empêchent de remplacer entièrement le livre papier. En plus ce de que vous avez déjà mentionné, le modèle d'affaire des beaucoup de livres électroniques y est sans doute pour quelque chose: avoir sa librairie prisonnière d'une plate-forme propriétaire ne m'attire pas du tout.

Par contre, il existe heureusement d'excellentes revues de science-fiction électroniques!

Prospéryne a dit…

Et un fond extrêmement vaste de fichiers numériques libres de droit représentant des siècles de livres édités des lustres avant notre naissance. Ça aussi, pour moi ça compte. Ce qui ne serait absolument pas rentable au niveau des éditeurs l'est beaucoup plus facilement dans le monde numérique.

Gen a dit…

Oh et je sais pas pour vous, mais moi la pensée de perdre l'accès à mes livres en cas de panne d'électricité (liseuse déchargée ou cloud inaccessible), ça me refroidit puissance 1000 vis-à-vis le livre électronique! Hé, c'est la seule chose qui reste à faire quand on perd le courant!!!

Prospéryne a dit…

La survivante de 26 jours sans électricité lors du verglas de 1998 te confirme que sur ce point, c'est foutument pratique...

Alain a dit…

Es-tu en train de dire qu'un chat-robot aurait aussi un gros désavantage?

Prospéryne a dit…

C'est l'une des raisons pour lesquelles je préfère les chats-bio!

Martin Sirois a dit…

Est-ce que l'impression à la demande serait une option pour les éditeurs? ce serait une bonne idée pour à la fois garder des titres plus anciens disponibles à la vente, en plus d'éviter de trop imprimer les titres courants.

Prospéryne a dit…

C'est une solution, c'est sûr, et des machines à imprimer existent déjà pour le faire. Est-ce que c'est l'avenir? Peut-être, je ne sais pas, mais vu la quantité de livres qui part au pilon à chaque année, c'est sûr que ça aurait de gros avantages.

Martin Sirois a dit…

La plateforme Drive-Thru RPG (https://www.drivethrurpg.com/) est un bon exemple. Le jeu de rôle est un marché de niche, et les éditeurs peuvent offrir aux gens soit le fichier seul ou des _bundles_ fichier/livre imprimé. Ils font même l'impression de cartes à jouer.

Faudrait voir comment adapter ça pour des éditeurs "classiques."

Prospéryne a dit…

Il existe déjà des expresso-book pour faire l'impression à la demande (https://www.youtube.com/watch?v=Q946sfGLxm4). Je ne connais pas les raisons pour lesquelles ils ne sont pas plus répandu, sans doute des raisons économiques (ces petits bestioles sont très chères à l'achat). Mais c'est sûr que c'est une voie intéressante.

Quand aux éditeurs ''classiques'', en dehors du changement des habitudes, je me rappelle avoir lu quelque part qu'ils avaient d'autres raisons de ne pas l'adopter, mais je ne me souviens plus de lesquelles. Faudrait voir si les informations ont bougés récemment, j'ai perdu de vue le dossier.