Salut!
Ma grand-mère paternelle a mis au monde neuf enfants. Avec toute cette petite bande à nourrir, laver, envoyer à l'école et la montagne de reprisage et de couture que cela représentait, il évident qu'elle n'a pas eu le temps de tout faire. Alors, aussi bizarre que cela puisse paraître, personne n'a appris à mon père les couleurs. Ok, rouge, bleu, vert, jaune, il connaît et il comprend. Mais si vous lui dite pêche, ocre, safran, framboise ou turquoise, oubliez-ça, il est perdu. C'est en grand partie pour ça que ma mère a toujours eu le poste de décoratrice en chef de la maison. Elle donnait les échantillons à mon père avec un x sur la bonne couleur, il allait chercher la peinture et il se chargeait du reste. S'il ne connaît pas ses couleurs, mon père est un artiste pour les étaler sur les murs.
J'ai repensé à ça quand j'ai écouté une récente entrevue de Francine Ruel. Elle a écrit un roman qui parle de la chute de son fils dans l'itinérance. Une situation d'une tristesse infinie, qu'elle a transformé en un livre. Un lecteur lui a dit qu'il avait vécu la même chose, mais qu'elle avait les mots pour le dire. Parce qu'elle les avait elle, ces mots-là, elle lui a permis, à lui, de savoir nommer, parler de ce qu'il vivait. Et c'est vrai que ça compte. Avoir les mots, pouvoir dire, exprimer, mettre le doigt sur quelque chose, une émotion, une réalité, une sensation, c'est à la fois exquis et libérateur. Essentiel aussi, parfois. Ne pas pouvoir le faire, c'est comme avoir une prison.
Quand on s'exprime dans une langue seconde, surtout au début, on l'expérimente de façon assez brutale. On a l'image en tête, on a la volonté, mais le mot, le bon mot? Il fuit, nous oblige à prendre une pause en plein milieu d'une phrase, tandis que notre interlocuteur, patient ou non, nous regarde patiner mentalement dans toutes les directions pour trouver le Saint-Graal nous permettant de compléter notre phrase de façon juste. Parce qu'apprendre une nouvelle langue, c'est apprendre aussi une quantité importante de nouveaux mots, même après plusieurs années, on peut encore tomber sur une situation ou un mot nous manque.
Quand j'écris, il m'arrive de m'arrêter en plein milieu d'une phrase pour chercher le mot juste. Souvent, celui-ci me fuit, ou j'ai un mot en anglais dans la tête à la place. Et je regarde mon écran d'ordi d'un air vague ou dans le dictionnaire des synonymes en rejetant les mots les uns après les autres qui sont à la fois si près, si près, mais en même temps, non, ce n'est pas exactement, je n'ai pas le mot. C'est frustrant, c'est enrageant...
C'est toutes ces petits réflexions qui me font comprendre l'importance de maîtriser une langue, de savoir s'en servir et de pouvoir l'utiliser pour s'exprimer. Ce n'est pas qu'un outil, c'est une base de vie. Le comprendre me rend plus empathique avec les gens dont c'est la langue seconde, ou qui n'ont pas eu la chance d'apprendre assez de mots pour savoir s'exprimer. Les parois de certaines prisons ne sont pas faites de métal, mais bien de l'absence de mots pour être capable de nous faire comprendre, mais ça reste quand même des prisons.
@+ Mariane
2 commentaires:
Je peux juste applaudir!
(salue bien bas avec son grand chapeau)
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