Salut!
Fraîchement débarquée à l'université, j'ai eu droit à un cours d'introduction à l'histoire de l'Antiquité. Vous savez le genre de cours qui vous fait comprendre en moins de deux que vous êtes tombé dans la cours des grands. Le cours a lieu dans un auditorium de 200 places où le prof a l'air d'une mouche s'agitant à l'avant de la classe et où les fatigants de la classe partent systématiquement à la pause pour aller s'enfiler un pichet de bière (c'était un cours du soir soit dit en passant). La prof donnait son cours en avant, pestant sans cesse contre ses crayons marqueurs qui ne laissaient que de pâles traces sur le tableau blanc (entraînant une série de commentaires de la part des fatigants du fond de la classe) et sautant parfois du coq égyptien à l'âne mésopotamien. Et là, en plein milieu d'un cours, elle nous lance:
-Avez-vous lu la Bible?
Silence. Grincements de dents. Non, la plupart des étudiants présents dans l'auditorium (y compris les fatigants du fond de la classe) n'avaient pas lu la Bible. Quelques mains se lèvent dans l'assistance, mais c'est tout.
-Vous devriez!
Cette fois-ci, quelque part à l'intérieur de mon corps, je me suis mise à bouillir. Quoi, un prof d'HISTOIRE nous dit de lire la BIBLE alors que c'est connu que ce texte n'a que très peu de fondements historiques!!! Ouate de phoque?
C'est alors qu'un grand dadais boutonneux a lancé d'une voix qui ne faisait pas hommage à son intelligence:
-Poukoi?
-Mais c'est un super roman de capes et d'épées!
Hein? Retour à la température normale à l'intérieur de mon corps dans un premier temps et deuxième, j'ai pas retenu grand chose du reste du cours même si ma chère prof l'a continué comme si de rien était. J'ai mis un certain temps à comprendre ce qu'elle voulait dire. À retourner dans ma tête l'expression roman de capes et d'épées. Pour l'historienne qu'elle était et celle que je souhaitais quand même un peu devenir, la Bible était une sacrée ressource, mais pas comme texte historique. C'était une clé dans l'imaginaire d'un peuple.
Quoi de plus sacré en effet que l'imaginaire? C'est unique à chaque culture, à chaque peuple. Il n'y a pas deux imaginaires semblables, même si certains, on le devine, sont plus proches que d'autres. Tous les peuples ont leurs héros, leurs modèles, leurs horribles traîtres et leurs histoires que l'on se raconte au coin du feu à la nuit tombante. Et ainsi, de soir en soir, les histoires deviennent des légendes, embellies par l'imagination et la tradition orale, mais avec souvent un fond de vérité. Et leur importance pour les gens humbles pour comprendre le monde qui les entourent n'en était que décuplé. N'est-il pas logique, si ces histoires sont si importantes pour les gens, qu'ils les transcrivent par écrit? Ils lèguent ainsi à leurs descendants une part importante d'eux-même de manière à la conserver le plus longtemps possible. Les textes écrits ayant d'ailleurs un temps de conservation moyen beaucoup plus long que les traditions orales, c'était un moyen, à l'époque et encore aujourd'hui de s'assurer que les histoires et les concepts exprimés par écrit durerait plus longtemps.
Mais l'écrit? On y pense pas, mais le fait de savoir lire et écrire était réservé jusqu'à il n'y a pas si longtemps à une élite. La masse des gens ne savait absolument pas déchiffrer la moindre lettre. Alors de savoir que dans un ensemble de feuilles, on retrouvait une histoire et que seuls étaient habiletés certaines personnes aisées ou encore des religieux à y avoir accès et à pouvoir les lire devait donner à ces livres un aura magique. Du magique au sacré, il n'y a qu'un pas que certains ont dû franchir. Par opportunisme, par intérêt, par naïveté, ou même parfois sans même sans rendre compte. Et ainsi, ce qui n'était qu'au départ des histoires est devenu un texte sacré.
N'empêche, ces mêmes textes nous donnent une foule de renseignement sur une époque, un mode de pensée, une façon de vivre. C'est là que réside leur grand intérêt en dehors de leur fonction religieuse. Ça et aussi parce que des milliers d'années après, on peut encore s'émouvoir de textes et d'histoires qui viennent d'une autre époque. Ces textes n'ont pas perdu de leur force d'évocation. Ça se lit... comme un roman de capes et d'épées!
@+ Mariane
3 commentaires:
Attention, il ne faut pas confondre le texte sacré et le livre sacré.
Certaines histoires mythologiques (je pense à Gilgamesh) étaient sacrées avant d'être mises à l'écrit. C'est la même chose pour certains passages de l'Ancien Testament. Forcément, le livre qui les contenait est devenu sacré lui aussi, mais c'était parce qu'il était dépositaire d'un savoir précieux et non pas parce que le savoir qu'il contenait était peu accessible et mystérieux.
(Un moment donné, faut faire attention à l'interprétation marxiste de l'histoire : les prêtres n'ont pas inventé la religion pour tenir les masses sous leur joug. Les peuples ont inventé la religion bien avant de se doter de prêtres).
Et l'intérêt des textes mythologiques (sacrés ou non) n'est pas seulement d'être une porte sur l'imaginaire des peuples anciens, mais également une porte sur leur psychologie, une façon de voir comment ils ont interprété leur propre histoire et leur environnement.
Bref, la Bible est à lire, en effet (en sautant les bouttes plates). Mais également l'Illiade, l'Odyssée, l'Épopée de Gilgamesh, etc, etc... :)
@Gen l'historienne devant lequel je m'incline et qui va toujours plus loin que la portée de mes humbles billets! :P Ce billet était surtout la volonté de voir au-delà du texte que l'on a sacralisé (ou qui l'était au départ quand il a été écrit) et de voir sa portée littéraire et donc, son utilité pour mieux comprendre l'imaginaire d'un peuple. Un gros merci pour les précisions par contre, moi, je me suis arrêtée au cours d'Intro à l'Antiquité....
Ah oui et je suis comme toi, pas convaincue que ce sont les prêtres qui ont inventé la religion, beaucoup trop compliqué à faire pour quelques personnes et tu imagines la campagne de marketing que ça aurait pris? :P
Effectivement, c’est un aspect important qui motive l’intérêt pour la Bible et autres textes sacrés : comprendre l’idéologie d’une époque ! Comparer le Coran et la Bible donne une dimension toute nouvelle aux batailles des Croisades, par exemple. On comprend aussi beaucoup mieux l’horreur spirituelle de l’holocauste juif en lisant une traduction de la Torah et du Talmud (comme si l’horreur physique ne suffisait pas). On découvre l’origine de certains phénomènes sociaux, comme l’horrible persécution qu’on subit les homosexuels à travers l’histoire et ce, malgré la tolérance des peuples de l’Antiquité.
Utilisée non pas comme guide de croyance mais comme outil pour profiler une époque, la Bible a son utilité.
Et côté textes sacrés comme romans d’aventure : les meilleurs, sans aucun doute, sont les textes védiques du Ramayana et du Mahabharata – ils sont suivit de près par l’épopée japonaise de Izangi et Izanami ; l’Ancien Testament n’est pas mauvais, surtout le livre des Rois; la Talmud de Babylone a quelque chose d’assez dark par moment, le Livre d’Enoch aussi. Le livre des morts égyptien donne froid dans le dos; les textes mythologiques grecs sont absolument fantastiques, de même que les contes sacrés de l’Afrique du Sud. Ah oui : l’épopée de Gilgamesh est carrément sublime.
J’aime à accompagner le tout de textes non-sacrés mais si fortement « culturel » qu’ils y sont liés : les contes de milles et unes nuits (traduction de Marcuse, pas celle de Galland), la saga arthurienne, l’Illiade et l’Odyssée sont d’excellents choix.
Des découvertes à faire : Ptah Hotep, par Charles Duits. Un texte sacré fictif, écrit dans un style volontairement archaïque à la Homère. Dans le même ordre d’idée : Les dieux de Pegana par Lord Dusany.
Signé : un agnostique !
Enregistrer un commentaire