jeudi 6 juin 2019

La grosse femme d'à côté est enceinte de Michel Tremblay

La grosse femme d'à côté est enceinte  Michel Tremblay  Nomades  284 pages


Résumé:
Le 2 mai 1942, rue Fabre sur le Plateau Mont-Royal.  Autour d'une famille vivant tous dans le même appartement, se tissent des histoires, grandes et petites, unissant tous ceux qui vivent dans cette petite rue.

Mon avis:
Il n'y a pas vraiment d'histoire dans ce livre.  Surprenant non?  Mais c'est le cas.  Et pourtant, le magique dans tout ça, c'est qu'on accroche quand même.  Parce que les personnages sont magnifiques avant tout, mais surtout parce que la langue qui les sert touche à un niveau rarement atteint.

Commençons par les personnages.  Chacun d'entre eux (et ils sont nombreux) a droit à son moment privilégié avec le lecteur, un moment où, à tour de rôle, chaque personnage, va voir sa vérité profonde révélée.  Pas par de grandes circonstances grandiloquentes, non, pas du tout.  On est dans le concret et le simple du quotidien.  Tous les personnages vont simplement vivre un moment où par des mots, pas des gestes, ils exprimeront quelque chose de puissant, de vrai, révélant les failles profondes de leur être.  Et tout au long de la journée, on va donc sauter d'un personnage à un autre, chacun avec leur histoire, chacun avec les dizaines de petites décisions différentes dans une journée qui finissent par définir le cours d'une vie.  Personne n'est parfait dans ce livre, mais les failles et les entêtements de chacun finissent par les rendre proche de nous.  On se reconnaît dans la colère d'Albertine, dans la faiblesse de Gabriel, dans la langue de vipère de Violette, dans les premiers frémissements de sensualité de Richard.  Les personnages de femmes en particulier, toutes autant qu'elles sont, touchent au sublime.

J'ai eu un peu de mal à démêler au départ qui était fils de qui et qui était marié avec qui dans cet appartement surpeuplé où règne un chaos de champ de bataille.  Pourtant, c'est la vie quotidienne qu'on y décrit, les disputes pour qui va en premier à la toilette, les tâches ménagères à faire, les balades au parc, le magasinage...  Rien d'extraordinaire au fond.  Mais sous la plume de Michel Tremblay, tout se transforme en toile de Vermeer.  Il a le don de mettre de la couleur par touches et de de pointer la lumière sous un angle tel qu'un geste du quotidien atteint le rang d'art.  Tout
ça, en utilisant une langue qui n'a pourtant rien de si artistique à part la manière de la manier.  Les tirades de Violette valent celles de Cyrano, mais elles sont livrées dans une langue tout à fait autre: c'est celle du peuple, du parlé populaire, avec ses expressions, ses inflexions, son accent et surtout, sa manière propre de déformer et de reformer les mots.  La graphie des mots dans le livre reprend la forme parlée, ce qui sort de l'ordinaire, mais donne en même temps sa texture au texte.

Je comprends pourquoi ce livre est un classique de notre littérature...  Même si au cours de cette journée de 1942, il ne s'est, au fond, rien passé d'extraordinaire.

Ma note: 4.75/5

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