samedi 5 mars 2011

Les grandes surfaces et les librairies

Salut!

Il m'est arrivé trois fois en une semaine de servir des clients et de me faire dire des compliments parce que je connaissais et le livre recherché et l'histoire racontée dedans.  À chaque fois, j'ai répondu, hé, c'est mon métier!  Et oui, être libraire, c'est un métier.  On apprend malheureusement pas mal tous sur le tas, mais bon, c'est ainsi.  Ce qui ne veut pas dire que ceux qui durent dans le métier ne sont pas compétent pour autant.  Être un bon libraire, ce n'est pas juste connaître les best-sellers, c'est aussi connaître les recueils de poésie, de nouvelles, les livres pour apprendre à aller sur le pot, les albums pour les enfants du divorce ou de famille reconstitués, pour soigner ses hormones féminines ou faire en sorte de faire durer son couple, d'atteindre le bonheur, ou de le trouver dans la simplicité, les listes ou en bourse, de connaître les beaux-livres sur les préraphaélites et les surréalistes, l'obscur roman de l'auteur de la ville ou celui qui fait des vagues... aux États-Unis mais-qui-va-en-faire-ici-bientôt!, la dernière BD issue d'un blogue ou le manga qui vient de sortir et est archi-attendu, le classique de la litttérature post-moderne suédoise et l'autre française et archi-connue, mais est-ce sa seule oeuvre marquante madame?, le documentaire sur les phoques du Groenland et sur les moustiques en plus d'un autre sur les Indiens d'Amazonie dont le nom de la tribu est imprononçable comme celui du volcan islandais de l'an dernier, un guide de voyage pour le Tadjikistan, comment vous n'en avez pas en magasin?  Est-ce que j'en oublie?  Oui, les neuf dixième!

Les gens semblent parfois surpris que j'en connaisse autant et que je réussisse à me souvenir d'autant de titres, d'auteurs, de série et autre.  Ils semblent oublier que je passe mes journées là-dedans.  Ça les épate.  Et ensuite, quand vient le temps d'acheter un autre livre, ils font un petit détour par chez Costco, Zellers ou Wall-Mart.  Silence.  Ils y vont souvent parce que le livre est moins cher là, des fois parce qu'en magasinant, ils voient un titre qui les intéresse et le mettent dans le panier.  Ils passent à la caisse et rentrent lire.  La plupart du temps, ces livres-là sont de gros vendeurs, c'est la grande raison pour laquelle les livres sont là.  Les grandes surfaces ne sont pas intéressés à tenir un livre dont ils vont vendre une copie par mois ou encore du documentaire jeunesse à moins de les solder à très petits prix.  N'essayer pas de chercher un livre précis ou encore de l'aide dans ces endroits-là: vous ne payez pas cher, mais pas de service par contre.  Et oublier de pouvoir commander un livre absent des tablettes ou un livre publié il y a deux ans: il n'y est pas, alors aller vous faire voir! 

Je ne suis pas une puriste, qu'il y ait des livres chez Zellers ne me dérange pas trop.  Qu'il y soit soldé me dérange beaucoup, mais qu'y puis-je.  Non, ce qui me dérange c'est de voir les livres étalés pêle-mêle sur une table comme des barres de savon.  Et de savoir que bien des enfants ont cette vision des livres: celle d'un simple objet de consommation.  Entendons-nous encore une fois, je ne suis pas une puriste et je ne vois pas les livres comme des objets miraculeux, mais la plupart des révolutions et des grands changements de société sont venus de gens qui ont pris la peine de réfléchir et de mettre leur pensée par écrit, ce qui a permis de faire bouger des choses.  La plupart des livres qui se retrouvent sur les tablettes des librairies ne sont pas de cette veine, mais il y en a qui le sont et ces livres-là ne se retrouvent pas chez Wall-Mart.  On vend les autres, on vend du prêt-à-lire et on évite surtout d'avoir le prêt-à-réfléchir.  Les essais, la poésie et la philosophie, les classiques ne sont pas sur les tables pêle-mêle.  Ils n'y sont tout simplement pas.  Alors, on habitue, les enfants, les gens, à ce que les livres soient des objets de consommation comme les autres, qui ne valent pas la peine d'être acheté s'ils ne sont pas en spécial, sans la longue histoire du livre qui a toujours été de voir dans cet objet un outil de transmission de connaissance et de réflexion, même et bien souvent grâce à la fiction.  Un bon roman peut faire réfléchir autant qu'un essai pointu s'il est bien écrit.  Mais encore faut-il être capable de le voir comme tel.  De le voir comme quelque chose de plus qu'un objet prêt-à-jeter-après-lecture.  De le voir comme quelque chose qui peut mener à plus loin.

Le boulot d'un libraire, c'est en partie ça.  D'aller voir plus loin que les best-sellers et de voir les autres livres et de leur donner une chance, si petite soit-elle, de percer.  Les médias laissent la portion congrue au livre, alors d'avoir un endroit dédié au livre comme les librairies est précieux, à la fois pour la pensée et pour la littérature.  Et surtout d'avoir des gens dédié à la promotion du livre, de tous les livres sans distinction les uns des autres.

@+ Prospéryne

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