jeudi 15 septembre 2011

Nelly Arcan et Tout le monde en parle

Salut!

Il n'est pas dans mes habitudes de réagir à des sujets d'actualités, mais là j'ai le goût d'écrire sur Nelly Arcan et Tout le monde en parle.  Parce que ça vient me chercher tout simplement.  Ok, soyons honnêtes, je n'ai jamais lu aucun livre de Nelly Arcan.  Aucun.  Par contre, j'ai beaucoup suivi le phénomène Nelly et ça de plutôt près.  Pour une écrivaine, elle a eu droit à une très belle visibilité médiatique.  C'est sûr que les sujets sur lequel elle écrivait était percutants et questionnaient notre société actuelle, mais au-delà de ça, il y a aussi un réel talent avec les mots qu'ont souligné tous les critiques littéraires de la planète.  Putain, Folle, À ciel ouvert, autant de livres, autant de façon de repenser le corps de la femme, son esprit, son rapport au sexe, à l'amour, à la folie.  Il y avait du génie dans ce qu'elle écrivait.  Même si on ne lisait pas ses livres, on était frappé par la présence dans les médias de son propos et de la force de celui-ci.  Le burqua de chair n'était pas qu'une simple métaphore, en utilisant le symbole ultime de l'aliénation des femmes pour l'occident et en l'assimilant au corps, Nelly Arcan avait réussi le tour de force de décrire en trois mots tout le paradoxe des occidentales envers leurs corps qu'elles disent posséder librement mais auquel on leur impose des diktats sans fin.  Et ces diktats toujours très durs parce que le message est en filigrane, jamais crié, toujours dit tout doucement, mais qui pointent juste là où ça fait mal.

D'ailleurs Nelly Arcan, consciemment ou non, prêtait flan à la critique.  Vous savez, les photos?  Prenez n'importe quel autre écrivain féminin, de Marie Ndiaye, pourtant gagnante d'un Goncourt, à Mary Higgins Clark, ou peu importe quelle écrivaine, et essayez de trouver des photos d'elle aussi artistique et aussi axée sur la beauté que celles dont on couvre les pages des journaux avec Nelly Arcan.  Ces photos sont artistiques, mais on pourrait parler d'un mannequin, pas d'un écrivain, ou du moins pas à première vue!  Vous connaissez Dominique Demers?  Ok, elle écrit du jeunesse, mais on change la photo derrière ses livres aux cinq ans environ et honnêtement, c'est plus un portrait qu'une photo de mode.  Certes de nombreux artistes ont droit à leurs photos de mode dans les journaux et les magazines, mais leur instrument de travail est bien plus souvent leur corps que leur plume.  En cela, Nelly Arcan prêtait flan à la critique.  Il était facile de taper sur ce clou.  Très facile.  Trop sans doute.

Tout le monde en parle maintenant.  Je ne le cache pas, j'aime beaucoup le ton et le style de Guy A. Lepage.  Il a le don de faire ressortir les travers des gens, de les mettre en porte-à-faux, de les mettre face à leurs contradictions.  En ce sens, le plateau de Tout le monde en parle est un plateau purement casse-gueule et il faut être saprément bien armé mentalement et physiquement pour faire face à la musique de ce genre d'émission.  Si Nelly Arcan aurait été un homme, aurait-elle été traitée différemment sur ce plateau?  C'est absolument indéniable!  Mais il ne s'agit pas ici de sexisme: un homme qui aurait été aussi loin dans la dénonciation du traitement accordé au corps féminin aurait sûrement été accueilli pour son propos comme elle, mais on aurait fait aucun commentaire sur son habillement et son physique à moins qu'il n'aie été habillé comme l'homme-objet de Jean-Paul Gaultier.  Sa robe prêtait flan à la critique, mais uniquement parce qu'elle endossait avec elle ce qu'elle dénonçait dans ses livres.  Aurait-elle porté un col roulé que ça aurait changé les choses?  Peut-être que oui, peut-être que non, mais justement, Nelly Arcan semblait prisonnière de ce qu'elle dénonçait elle-même.  C'était là une contradiction et tellement facile à dénoncer et à lui renvoyer en plein visage que le fou du roi et Guy A. ne se sont pas gêné pour le faire.  Et à voir sa face à certains moments de l'entrevue, on a pu voir à quel point ça l'a touchée.  Blessée même.  Je ne dis pas que ce qu'ont fait les animateurs a été pire ou meilleur qu'avec d'autres personnes, j'ai déjà trouvé que certaines entrevues et avec certaines personnes, ils étaient carrément dans le champ et même à la limite de la ridiculisation.  Dans le cas présent, et très honnêtement, oui, un peu.  Mais rien de carrément déplacé.  Et malgré ce que certains en ont dit, oui, le propos de Nelly Arcan a passé, mais ce qui a le plus nuit à celui-ci, bien plus que les pitreries du Fou du roi ou encore les questions de Guy A., c'est son apparence.  On ne voyait qu'elle sur le plateau, elle était tellement belle et éclatante que l'on ne pouvait s'empêcher de la regarder en oubliant de l'écouter.  Sans doute dans ce cas valait-il mieux la lire que la regarder.  On avait pas le filtre de sa beauté (car oui, c'était une très belle femme) pour nous éloigner de son propos et de sa redoutable intelligence.

Nelly Arcan, si lumineuse cette soirée-là, éclatante de jeunesse, de beauté et de charisme a mis fin à ses jours deux ans plus tard.  Un lien de cause à effet?  Trop facile à faire.  Peut-être pas, mais on peut se doute que cela n'ait pas beaucoup aidé.  On ne saura jamais vraiment là vérité là-dessus, car la personne qui choisit de quitter le monde avant son heure le fait pour des raisons qui lui sont propres et jamais pour autre chose.  Nelly nous a laissé ses mots derrière elle et aucune explication pour la comprendre au complet tellement elle était un être de paradoxe et de dualité.

Et voilà que deux ans après sa mort, elle réapparaît dans le paysage médiatique en soulevant une controverse posthume assez impressionnante merci.  Sa nouvelle La honte a soulevé bien des questions, remué bien des souvenirs enfouis et sûrement réveillé quelques blessures.  Du fait de sa mort tragique, du fait du personnage public qu'elle avait créé, du fait du sujet de la nouvelle et du fait que près d'un million de personnes se souviennent de cette entrevue pour l'avoir vue du vivant de Nelly Arcan, on a eu droit à un retentissement dans les médias digne de la sortie d'un nouveau Dan Brown.  Je ne sais pas si je l'ai dit, mais c'est un pur exploit pour une écrivaine, surtout pour une personne qui n'écrivait rien de vraiment pop, non, pour une écrivaine dont les mots servaient un propos, dont la vie étaient au service de son écriture, elle a réussi le remarquable exploit de laisser une marque durable dans le paysage littéraire et médiatique comme bien des écrivains d'ici et d'ailleurs sont incapables même en des décennies de carrière.  Peut-être l'a-t'elle fait au détriment de sa santé mentale tellement elle a poussé les choses à l'extrême.  La seule chose sûre dans cette histoire, c'est que son génie n'a pas été endormi par son décès, parce qu'au travers de tout le reste, c'est son écriture qui reste ainsi que les idées qu'elle défendait, et le sont encore au travers de ses mots.  C'est sans doute ça le plus bel héritage de Nelly Arcan, d'avoir su aussi bien mettre les mots sur notre époque.  Et en ce sens, son ultime opus ne pouvait être mieux nommé que par la formule qu'elle avait elle-même créée: Burqua de chair.  La chair qui cache la personne qui cache le génie.  Quel gâchis. 

@+ Prospéryne

P.S. J'ai trouvé sur Cyberpresse un excellent billet de Nathalie Petrowski sur Nelly Arcan.  À lire pour avoir un autre point de vue, qui aborde cette fois Nelly Arcan comme une authentique auteure, ce que je ne peux faire parce que je n'ai pas lu ses oeuvres.  Pour l'instant.

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