lundi 30 mars 2020

Le livre des événements

Salut,

En 2015, après les attentats à Charlie Hebdo, un livre est monté au sommet des meilleures ventes, un livre qui en des circonstances ordinaires serait resté dans les quelques milliers et plus des palmarès.  C'était Le Traité sur la tolérance de Voltaire.  Pourquoi ce livre-là, pourquoi celui-là qui parle de tolérance et pas un des milliers d'autres sur le sujet?  Mystère des réseaux sociaux sans doute, mais quand même, on aurait dit que le besoin de comprendre, le besoin de faire quelque chose de concret a uni les gens et les a poussé vers ce livre.  Quelques mois plus tard après le Bataclan, ça a été Paris est une fête d'Hemingway qui a conquis les coeurs et les pvente.  Après les élections de 2016, une partie des habitants des États-Unis, stupéfiés, se sont massivement mis à lire 1984.

Et aujourd'hui, que lit-on?  La peste d'Albert Camus.  Roman très bien choisi.  Parce que ce roman parle d'une épidémie (peut-être pas d'une pandémie, mais c'est pas loin quand même!).  Parce qu'il parle de la peur qui s'installe lentement.  Que certaines personnes dans le déni commence à réagir quand il y a des morts.  Des médecins qui voient tout arriver.  Bref un roman parfait pour en ce moment.

Je ne sais pas d'où vient cette manie que tout le monde se jette sur un livre en particulier lors de circonstances tragiques ou sortant de l'ordinaire.  J'ai l'impression que les bulles numériques des médias sociaux jouent un énorme rôle, mais pas que.  Comme si, au milieu du chaos et de l'incertitude, la littérature était un refuge.  Parce que ce ne sont pas tant des romans actuels et contemporains qui prennent le haut du pavé, mais des oeuvres écrites il y a des décennies.  Et si les ventes numériques décollent, c'est aussi les ventes papiers qui le font.  Se rattacher à l'objet livre...  Se rattacher à quelque chose de plus grand, qui a vécu avant nous.   Toutes les expériences humaines sont dans les livres, les pires comme les meilleures.  Et je crois que d'aller lire quelqu'un qui l'a déjà vécu il y a longtemps, de savoir qu'ils ont trouvé des solutions, s'en sont sortis, est sûrement une source d'espoir.

Je ne me rappelle pas qu'il y ait eu un livre post-11 septembre 2001.  De un, à l'époque, les outils que nous utilisons aujourd'hui au quotidien, ces fameux réseaux sociaux, n'existaient pas encore pour propager les livres.  De deux, justement, ces réseaux n'existaient pas.  Or, de nos jours, ils nous maintiennent constamment dans un flux, nourri, pour le meilleur et pour le pire avec l'actualité qui peut être angoissante ou étouffante.  Prendre un livre, c'est aussi, quelque part, se retirer du monde, prendre du temps pour soit et simplement quitter le temps court pour s'inscrire dans le temps long.  Un exercice des plus salutaires pour la santé mentale, surtout dans les moments d'angoisse.  Lire n'a jamais cessé de prouver ses innombrables bienfaits, alors si un livre plus à la mode pousse les gens vers la littérature en temps de crise, et bien, tant mieux. 

Bonne lecture tout le monde, peu importe ce que vous lisez!

@+ Mariane

jeudi 26 mars 2020

Tyranaël: 1- Les Rêves de la mer d'Élisabeth Vonarburg

Tyranaël  tome 1  Les Rêves de la Mer  Élisabeth Vonarburg  Alire 363 pages


Résumé:
Eïlai est une Rêveuse.  Dans ses rêves, elle voit des étrangers arriver sur sa planète, Tyranaël.  Ils la colonisent, l'habitent et essaient de comprendre le plus étrange des phénomènes qui y arrive: la Mer, qui envahit tout et détruit toute vie sur les zones qu'elle recouvre lors de son passage.

Joris, Shandaar, Tige, David: ce sont les humains qui colonisent Tyranaël, qu'ils appellent Virginia.  Sans qu'ils le sachent, une Rêveuse venue d'un autre temps les accompagnent et les suit dans leur histoire.

Mon avis:
Soyons honnête, l'auteure ne nous facilite en rien la tâche avec ce livre: elle nous lance directement dans l'action, ne nous explique pas qui vient d'où et qui veut quoi ou fait quoi.  Il faut donc lire, comprendre au fil de la lecture et savoir à l'avance que bien des questions resteront sans réponse dans ce premier tome.  Malgré tout, il a un certain charme.

Cela tient beaucoup à la très grand maîtrise de l'écriture de l'auteure, qui fait de son livre  une fresque pleine de poésie.  On suit à tour de rôles une foule de personnages différents et à chaque fois, on plonge en eux, dans leurs émotions et dans leurs choix.  Dans leurs visions du monde aussi, aussi différentes qu'ils le sont tous.  La totalité du récit est racontée à hauteur de personnage, ce qui en fait une mosaïque éclatée ou bien évidement, il y a des trous, des zones d'ombres où on ne comprend pas, où on manque d'explication.  C'est un peu normal: aucun individu ne peut comprendre le monde dans son entièreté.  

Chaque personnage est bien dessiné, même si à part Eïlai, on ne les survole que peu de temps et qu'on ne les revoit souvent pas ensuite.  Les personnages humains servent à dresser une toile de fond dans les Rêves d'Eïlai.  On suit l'histoire ainsi de l'un, puis de l'autre, dans une ligne qui semble chronologique, mais qui pourrait bien ne pas l'être.  C'est sans doute volontairement flou de la part de l'auteure.  Le Rêve est le thème majeur du livre et il teinte aussi la façon de raconter: tout y est empreint d'onirisme dans le ton et le style.

Le grand mystère du livre reste cependant la Mer.  Puissante, grandiose, elle envahit toute la planète aux quatre ans, empêchant l'usage de l'électricité sur une bonne partie de celle-ci, détruisant toute trace de vie sur les basses-terres.  C'est sur ce mystère qu'est basé la série dont ce livre n'est que le premier tome et même si je suis sûre que des indices ont été donné, il faut avouer que cette Mer garde son mystère profond.  À suivre donc.

Je ne peux pas dire que j'ai été follement emballée puisque le rythme de cette histoire est très lent.  Par contre, ça se laisse très bien lire et on sait au bout d'une poignée de page qu'on est entré dans un univers qui se dévoilera par petite dose et qu'il faut être patient pour en découvrir toute la saveur.

Ma note: 4/5

lundi 23 mars 2020

Vous vous imaginez les histoires qu'on va avoir à se raconter?

Salut!

Je vous aie déjà raconté l'histoire de la première cuite de mon frère?  Non?  Bon, vous la demanderez la prochaine fois qu'on sera assis autour d'une bière.  Parce que  je finis toujours par raconter que mon grand frère a pris sa première cuite... le 4 janvier 1998, à la veille du verglas.  Mon père n'y a pas pensé et a mis son manteau, ses bottes, bref, tout son linge sur la rampe d'escalier, dehors.  Il y avait un pouce de glace dessus le lendemain.  Il a retrouvé son stock au printemps...

J'ai plein d'autres histoires du verglas à raconter comme ça.  Les circonstances sortaient terriblement de l'ordinaire il faut dire, alors ça donnait l'occasion de générer un paquet d'histoires qui n'auraient jamais eu lieu autrement.  Enfin, quand autrement que là mon frère aurait vu ses vêtements disparaître sous trois pouces de glace?  Sérieusement, quand?  (Il a fallu expliquer la présence de cette étrange bosse à la parenté qui est venue à la rescousse... sans mettre Frérot dans l'embarras! Une autre histoire croustillante à raconter!)

Il y a des écrivains qui excellent à prendre un événement anodin de la vie quotidienne pour en faire une histoire, mais ils sont infiniment minoritaire.  Même Michel Tremblay, qui pourtant est un maître dans le genre, tisse sa toile autour d'un minuscule événement qui bouleverse le quotidien.  La grosse femme d'à côté est enceinte raconte une journée somme toute ordinaire d'une famille ordinaire d'un quartier ordinaire de Montréal, mais...  Mais il a le don de trouver dans tout cet ordinaire les minuscules moments d'extraordinaire et de mettre une loupe dessus, transformant ces moments en petits bijoux de littérature.  Mais Michel Tremblay est une exception.

La plupart du temps, les histoires prennent place dans un moment où la vie ordinaire est bouleversé.  Un deuil, une séparation, un nouveau travail, une rencontre, un déménagement, la liste est vraiment très très longue.  C'est souvent cet événement qui est le moteur de l'histoire, qui est le coeur de ce qui provoque la cascade des événements de l'intrigue.  Il y a quelque chose qui se passe et ça bouleverse le cours normal du quotidien.  Et on a une histoire.  Tsé, la plupart des romans de SFF commencent quand on débute l'impossible quête pour sauver le royaume/ la planète/ l'univers.  Entre autre!  Mais ça ne va pas sans douleur.  Les personnages doivent d'abord s'adapter à cette nouvelle réalité.  Ils doivent en prendre conscience, quitter leurs pantoufles et agir.  Et ça crée des histoires.

Quand ces bouleversements arrivent dans la vie réelle, ils provoquent le même phénomène: comme on est déboussolé, hors de nos bottines, on est par essence plus attentif, plus apte à retenir.  Et alors, les petites histoires toutes simples deviennent des anecdotes dont on se souvient longtemps.  Elles deviennent partie prenante du fil des événements et longtemps après, on aime se les rappeler comme on se rappelle le bon vieux temps.  Comme les militaires qui se racontent leurs histoires de batailles.  Comme les survivants de catastrophes se rappellent un repas, une rencontre. Comme la cuite de mon frère.  Comme on se rappellera mille et une petite chose qui sont arrivées durant cette pandémie où même si tout le monde est chacun chez soi en train de regarder en rafale des séries télés.  Il en sortira mille et une petites histoires que l'on se racontera un jour en riant sans doute, parce qu'on aura plus les pieds dedans.  En gang, autour d'une bonne bière idéalement.

En attendant, lavez-vous bien les mains pendant vingt secondes!

@+ Mariane

lundi 16 mars 2020

Ceci n'est pas un billet sur le coronavirus

Je suis couchée dans mon lit, dans le noir total.  Il y a, juste à côté le fracas épouvantable des catastrophes.  Ça commence chaque fois comme un chuitement, un crissement qui se prolonge, fait un vacarme épouvantable et finit dans une floppée de petits sons de minuscules pierres qui roulent.  Ce ne sont pas des bombes qui tombent à côté de chez moi, mais le bruit est presque identique.  C'est le bruit des arbres au pied duquel j'ai passé toute mon enfance qui s'écrasent les uns après les autres sous le poids de la glace.  J'ai quinze ans, nous sommes en 1998 et c'est le mercredi soir de la pire crise de verglas du vingtième siècle.  Et je suis au coeur de la tempête.  Nous n'avons déjà plus d'électricité, nous ne savons pas quand nous en aurons de nouveau.  Nous ne savons pas de quoi sera fait demain.

Je suis dans mon cours au cégep, j'en sors, je vais voir une de mes professeurs.  Jusqu'à ce moment-là, c'est un mardi normal d'une journée normale.  Ma professeur est une personne très calme, du genre à ne pas s'en faire pour grand chose.  Or, en mettant les pieds dans son bureau, je constate qu'elle est stressée, je le sais en un regard.  C'est elle qui m'annonce qu'à New York, deux avions ont frappés les tours jumelles que j'avais vu moins de deux ans plus tôt se dresser à la pointe sud de l'île de Manhattan.  Je suis sortie de son bureau pour plonger dans les médias, radio, télé, j'ai tout regardé pendant deux jours.  J'ai eu l'impression que le monde avait changé.  Il avait changé.  Nous ne savions pas de quoi serait fait les lendemains.

Ce sont deux moments dont je me rappelle clairement, deux moments où il me semble, tout autour de moi a basculé.  Le monde a changé brutalement.  Et vous savez quoi?  Quelques jours et tout, lentement est rentré dans l'ordre.  J'ai appris à me laver à l'ancienne dans un bain à moitié plein d'eau chaude et non une douche.  J'ai appris à ne pas avoir peur de prendre les transports en commun, même si les menaces d'attentats étaient nombreuses.  Le quotidien a repris le dessus.  C'est puissant le quotidien.  C'est puissant l'habitude.  Quand tout bascule, c'est ce qui nous garde les deux pieds au sol.

C'est ce qui nous pousse à nous lever le matin, à penser si nos factures sont payées, à s'assurer que le quotidien tourne.  C'est une force qui après le choc nous pousse à retrouver une routine, une suite logique d'événement qui nous permet de tenir le coup à long terme.  C'est ce qui va finir par tous nous habituer.  Ce qui était anormal il y a un mois sera devenu normal.  Et on se découvrira de nouvelles routines quotidiennes qui nous aiderons à passer au travers.  Le quotidien viendra reprendre son service.

Là, je suis isolée chez moi, et pour une rare fois, j'haïs passionnément mon célibat.  Il y a plus d'une semaine que je n'ai pas touché un autre être humain.  Même au travail, tout le monde fait attention.  Normalement, j'irais m'entraîner, mais mon école de jiu est fermée.  J'irais voir des amis, mais là, encore, tout le monde fait attention.  Foutue pandémie...

Je me rassure en me disant que j'ai plein de livres à la maison à lire et plus de séries télés que je ne pourrais en regarder dans une vie à voir.  Bref, je ne risque pas de m'ennuyer!

Bonne isolation tout le monde!  La seule chose qui est vraiment en danger si vous suivez toutes les précautions, c'est votre PAL...

@+ Mariane

jeudi 12 mars 2020

Pour l'amour de ma mère et pour remercier les mamans de Boucar Diouf

Pour l'amour de ma mère et pour remercier les mamans  Boucar Diouf  Les éditions La Presse  200 pages


Résumé:
Son grand-père, Boucar en a beaucoup parlé.  De son père aussi.  Mais la personne qui a le plus marqué son parcours de vie, c'est sa mère, Déo Diouf.  Ce livre est un hommage à celle qui fût là pour veiller sur ses racines, mais aussi pour le laisser partir vers la vie qu'il mène maintenant.  Et c'est par extension, un hommage à toutes les mamans.

Mon avis:
Lire du Boucar Diouf, c'est toujours un cadeau.  C'est se commencer à se faire raconter un bout d'une histoire, la prolonger dans la savane africaine et revenir la finir sur les bords du St-Laurent.  C'est aussi une façon d'aborder l'écriture qui lui est propre.  Je soupçonne que c'est lié à l'oralité de sa langue maternelle, mais ce qui est certain, c'est que ça lui donne une touche personnelle que j'aime beaucoup.

L'auteur nous emmène ici dans ses souvenirs d'enfance et de de jeunesse, auprès de la personne qui en a été le rayon de soleil: sa mère.  Ce livre est au complet un hommage à cette mère analphabète qui a tant fait pour les siens.  En ce sens, le livre est sans doute le plus personnel de l'auteur.  Le plus personnel et celui où les silences comptent également le plus.  Parce que s'il met en lumière tant de facettes de la personnalité de sa mère, il garde dans l'ombre de larges pans.  Par pudeur sans doute ou pour protéger son intimité.  Je respecte sa volonté de ne pas vouloir tout dire, mais la porte étant ouverte, on voit très bien les zones où il n'est pas allé.  Ceci dit, l'extraordinaire personnalité de cette femme, toute cette philosophie de vie qui l'a portée toute son existence, toute cette force intérieure et toutes ces actions qu'elles ont engendré est largement raconté et expliqué.  Et je crois que c'était le coeur du message de l'auteur.  En ce sens, mission accomplie.

Comme toujours, l'auteur mêle la science et les sciences humaines.  Il explore beaucoup les liens étroits qui se tissent entre une mère et son foetus et ensuite son nouveau-né, en insistant sur l'impact biologique et bactériologique qu'implique la grossesse et l'allaitement, mais il les met en relation avec le contexte social, en particulier, celle de sa culture sérère.  À travers tout ce processus chimique et biologique, il explique en profondeur les tenants et aboutissants de la maternité au-delà du simple fait social qui est de donner naissance à des enfants.  Et c'est en faisant cela qu'il rend le plus belle hommage aux mères, à travers la science, donc, mais aussi, à travers tout ce que nos mères nous transmettent, que ce soit des bactéries ou des valeurs.

C'est le livre le plus personnel que j'ai lu de l'auteur.  Peut-être pas son meilleur, mais le plus profond.

Ma note: 4.25/5

lundi 9 mars 2020

De la géographie: Qu'est-ce qu'un territoire?

Salut!

Foutue notion que celle de territoire.  Elle ne peut pas être découpée dans l'espace ni être saisie dans une carte.  Elle est en constant mouvement, changeant selon des paramètres infinis, qui vont de la météo à la politique.  Et c'est sans doute la notion la plus humaine de la géographie.  Parce qu'elle n'est pas tant en lien avec les lieux physiques qu'avec la psychée humaine.  Pire, un lieu physique peut être l'objet de multiples territoires, à la fois pour un individu, pour une communauté et pour une société.  Bref, c'est sans doute le truc en géographie humain qui est le plus complexe à saisir, mais par le fait même, c'est aussi le plus fascinant.  Je vais essayer d'être claire, mais il va me falloir beaucoup d'exemples pour vous le faire comprendre.  Un peu comme l'emboîtement des échelles, on va fonctionner du plus petit au plus grand.

Un territoire, c'est un lieu physique que s'est approprié un individu/une communauté/une société.  Attention, je ne parle pas ici de propriété.  Un concierge ne possède pas son local, mais c'est son territoire.  De la même façon, aucun adolescent ne possède de titre de propriété sur sa chambre (ou le sous-sol), mais malheur au parent qui veut y entrer sans y avoir été invité!  Il y a donc ici une définition à la fois personnelle et collective.  Le fauteuil de votre père est son territoire, à la fois parce que lui le déclare et parce que les autres membres de la famille le reconnaisse.  Pas besoin de passer chez le notaire pour que cela soit: l'habitude, les relations de pouvoir ou d'affection, de respect et la localisation ou même simplement l'habitude, suffisent à en faire un concept que tout les occupants du logis vont comprendre.  (N'est-ce pas Papa?)

Les territoires ont des fonctions, qui sont définis de la même façon.  La cuisine est le territoire où l'on prépare la nourriture et a donc été organisé en tant que tel.  Il ne vous viendrait pas à l'idée de préparer des tartes sur votre lit ou de cuire vos muffins dans votre salon parce que ces territoires ne sont pas prévus (et équipés) pour cette fonction.  Ce sont des espaces qui sont consacrés dans le premier cas, au repos, dans le deuxième, à la détente ou encore à l'accueil des invités.  Si donc, pour une raison ou pour une autre, vous vous retrouvez à devoir préparer vos repas dans votre chambre, vous risquez de trouver ça bizarre au premier abord: c'est normal, ce n'est pas la fonction de ce territoire.

Les territoires ne sont pas fixes dans le temps.  En été, votre balcon est un espace de détente et de repos.  Si vous êtes comme moi, vous aller vous y installer pour lire, prendre le soleil, profiter de la température clémente.  La situation sera totalement inverse en hiver.  Ce même territoire, associé en été avec la farniente devient un fardeau en hiver parce que de un, on ne peut pas en profiter (je connais très peu de personne qui aiment lire dehors à -20°C) et de deux, il peut devenir un territoire associé au déplaisir de devoir le déneiger à la moindre tempête.  Un territoire est donc variable dans le temps.

Un territoire peut aussi être influencé par des facteurs extérieurs: c'est un règlement municipal qui dit que les piétons doivent marcher sur le trottoir.  Si un automobiliste se stationne sur un trottoir, il empiète sur ce territoire.  Il risque donc de se mériter une contravention, sauf si la règle pour une raison ou pour une autre a été suspendue: un livreur de pizza sera mieux toléré qu'une personne qui s'installe là pour la nuit.  De la même façon, un policier ou un ambulancier qui ferait de même ne rencontrerait pas cet obstacle.  Le territoire qu'est le trottoir peut être envahi par ces personnes parce qu'elles y sont pour remplir une fonction précise.

Tout territoire a des frontières.  Elles peuvent être physique (une rivière, un mur, une barricade), mais elles peuvent aussi être plus subtile.  Des lignes tracées au sol dans un gymnase ne constituent pas une frontière infranchissable, mais tous les sportifs du monde se contorsionneront plutôt que de franchir cette limite si cela les désavantages dans leur partie.  Des bandes jaunes autour d'une scène de crime indique très clairement un territoire, même s'il serait aisé de les franchir.  C'est parce que les gens leur accorde de l'importance que ces bandes jaunes deviennent des frontières.  La frontière ultime pour tous les êtres humains, c'est sa bulle et plus encore, son corps.  Le corps de chaque être humain est son territoire le plus intime, c'est la raison pour laquelle les contacts physiques sont repoussés avec force quand ils sont non-désirés et au contraire, désirés quand on aime quelqu'un, façon de faire entrer cette personne dans notre territoire.

J'ai jusqu'ici donné des exemples individuels, mais la notion s'étire aux communautés, qui sont des personnes liés par le sang, l'affection, le travail, la proximité de résidence ou n'importe quel autre lien qui leur est signifiant.  Pour une équipe de basket, durant le temps de leur pratique, le gymnase est leur territoire.  Personne n'a le droit d'y entrer pour faire autre chose.  Par contre, on tolérera que des personnes marche en-dehors des limites du terrain de jeu sans problème, mais l'équipe au complet réagira si on pose une orteil à l'intérieur des lignes en marquant la frontière.  Mais à la seconde où ils ont fini, ils sortent du terrain et ce n'est plus leur territoire.  D'ailleurs, ce terrain de basket, l'école le considère comme son territoire, les profs d'éducs le considèrent comme leur territoire, les élèves de l'école le considère comme leur territoire, la commission scolaire le considère comme leur territoire... tout dépend du moment, de l'activité qui y est pratiqué et des ententes entre les différents partis sur l'usage du territoire.  Il y a quelqu'un quelque chose qui a un titre de propriété, mais si l'équipe de basket est évincée de son lieu de pratique, elle va réagir comme si les lieux lui appartenaient.  Pourquoi?  Précisément parce que le territoire et la propriété sont deux choses complètement distinctes.

Une société a aussi un territoire.  Je pense ici à société comme étant un ensemble d'individus liés par une nationalité, une citoyenneté, ou un autre lien signifiant.  Par contre, à l'échelle d'une société, contrairement à une communauté, les différents membres ne se connaissent pas toujours et n'auront pas nécessairement un lien signifiant entre eux, mais s'ils se rencontrent par hasard, ils sauront se reconnaître.  C'est comme les Québécois à Paris, qu'ils viennent du Saguenay ou de l'Outaouais, s'ils se croisent en bas de la Tour Eiffel, ils sauront qu'ils ont un autre Québécois en face d'eux.  Et tiens, restons avec cet exemple de société.  La plus grand majorité des habitants du Québec n'ont jamais mis les pieds au Nunavik et à la Baie-James, mais n'essayez pas de leur faire accroire que ce n'est pas chez eux pour autant!  Le Nord-du-Québec, c'est leur territoire, même si la seule chose qu'ils en connaissent, c'est un espace coloré sur une carte et quelques noms de lieux, contrairement aux Premières Nations qui y vivent depuis des millénaires et qui en connaissent bien souvent le moindre racoin.  On a donc pas besoin nécessairement de connaître le territoire pour se l'approprier.  Les Français réagissant à l'invasion de leur pays par l'Allemagne en 1914 ont pris les armes, pour défendre leur pays (leur territoire national), même s'ils habitaient à des centaines de kilomètres.  Et pour beaucoup d'entre eux, il y avait la volonté de reprendre l'Alsace et la Lorraine, deux provinces françaises qui avaient été cédées à l'Allemagne... presque 40 ans plus tôt.  Les sociétés ont donc des territoires, territoire qui sont en constants mouvements, mais pas nécessairement de façon physique.  La création de l'Union européenne a changé la façon dont les habitants de l'Union voit leur continent le faisant passer de simple territoire national à territoire continental.  L'éclatement des frontières a certes été physique (fin des postes frontières), mais avant tout et surtout mental.  Le territoire appartenant à chacun des Européens membres s'est élargi de façon spectaculaire.

D'ailleurs, les territoires s'empilent les uns sur les autres mêlant les individus, les sociétés et les communautés.  Reprenons l'école.  Chaque classe est occupé par une communauté formée d'un groupe d'élève et chaque pupitre est occupé par un individu.  Les couloirs appartiennent à la société de l'école et les casiers, aux individus, mais pourtant, le directeur et les professeurs ont autorité partout (du moins, on l'espère!).  Si on y vient le soir, le bâtiment est bien plus le territoire du concierge que des élèves...  Les garçons n'ont pas accès aux toilettes des filles et vice-versa.  Le gymnase est autant un territoire dédié au sport qu'aux activités festives concernant toute la communauté et la cafétéria peut être empruntée par une société externe au moment des élections.  La salle des profs est interdites aux élèves parce que c'est leur territoire exclusif.  Et il y a beau ne pas y avoir la moindre règle à ce sujet, la cafétéria est soumise à des règles territoriales strictes que connaissent bien les élèves.  Pour un membre de cette société, tous ces territoires sont compris, acquis, assimilés.  Un inconnu qui entre dans cette école n'en aura pas la moindre idée, sauf si ses référents territoriaux sont communs à une société plus large (un garçon n'ira pas dans la toilette des filles, mais ne saura pas où s'asseoir à la cafétéria).  Aie-j'ai besoin d'en ajouter plus?

Au niveau le plus éloigné, on pourrait parler du territoire de l'humanité.  C'est l'espace qu'occupe notre espèce, bien évidemment hautement concentré sur notre planète, mais qu'on élargit, tous, collectivement, depuis des millénaires.  L'être humain a, par son intelligence, ses technologies et son travail collectif, conquis pratiquement chaque centimètre de notre belle planète.  Les humains ont visité les plus hautes montagnes et les plus profondes fosses océaniques, ont vécu et survécu sous tous les types de climats, ont creusé sous terre et exploré l'atmosphère, pour finalement s'étendre, petit à petit jusqu'à notre Lune, puis aux autres planètes et satellites de notre système solaire.  Il y a même deux vaillantes petites sondes qui élargissent le territoire de l'humanité en le faisant sortir du système solaire depuis les années 70...  Vous croyez que notre système solaire n'est pas notre territoire?  Pensez à votre réaction si des extra-terrestres venaient installer une colonie autour de Jupiter avant de parler...

Et encore, tout ce que je viens de vous raconter provient d'une perspective très occidentale.  De nombreuses autres conceptions du territoire peuvent exister.  Les nomades, comme les peuples des Premières Nations en avait une autre, très différente de celle que je viens de décrire, mais non moins profonde.  Parce que peu importe la forme que prend la relation au territoire, elle a une définition significative pour le groupe qui s'y identifie.

Bon et les territoires en fiction maintenant?  Ils sont littéralement partout.  Défendre son territoire, entrer en territoire ennemi, sortir du territoire connu, céder du territoire sont toutes des expressions consacrées qui s'appliquent à une large variété de situation, qu'elles concernent un individu, une communauté ou une société.  Un individu qui entre dans le territoire d'un autre (ça s'applique aussi aux communautés et aux sociétés) sera vu comme une menace s'il n'y a pas été invité au préalable.  Quelqu'un qui le fait viole une règle pas toujours écrite.  Combien d'histoire commence par une intrusion, une arrivée dans un territoire inconnu?  Combien de récit de conflits pour des territoires?  Autant à petite (le parent de l'ado qui entre dans sa chambre pour ramasser le linge sale) qu'à grande (deux pays qui s'affrontent sur le champs de bataille) échelle.  Et il en va de même pour les communautés et les sociétés.  Penser à toutes les occasions où les territoires sont en jeu dans la fiction et ils vont vous sauter aux yeux, des drames shakespeariens aux romances.

Bref, si vous vous êtes rendu jusqu'ici, bravo et bienvenu dans les nouveaux territoires que vous venez d'explorez!

@+ Mariane

N.B. Les définitions des communautés et des société sont de moi et ne réfèrent pas aux termes académiques utilisés.  De un, depuis le temps, je les aies oubliés et de deux, j'aimais mieux les définitions que j'ai forgé dans le cadre de ce billet.

jeudi 5 mars 2020

Frankeinstein de Mary Wollstonecraft Shelley

Frankeinstein ou le Prométhée moderne  Mary Shelley  Le livre de poche 325 pages


Résumé:
Porté vers les sciences et la philosophie naturelle, doté d'un esprit déterminé et d'une grande dévotion à ses projets, Victor Frankeinstein, à force d'études, trouve un moyen d'insuffler la vie à la matière.  Son projet achevé et réussit, il est pris d'une aversion totale pour la créature auquel il a donné vie. Il l'abandonne, mais celle-ci, ayant découvert qui est son créateur, revient pour lui demander d'en créer une autre, afin que rejeté de tous dans ce monde, il ait au moins une compagne.

Mon avis:
Ok, Hollywood a complètement scrapé ce livre...  Non, mais vraiment!  J'ai vu je ne sais combien de scènes de film montrant la créature prenant vie avec des éclairs, tout un bataclan et tout et tout, alors que dans le livre, ça arrive en moins de deux phrases et on ne sait rien de la façon dont Frankeinstein s'y prend.  Rien du tout.  Lui-même ne veut pas le révéler pour éviter à d'autres êtres humains l'enfer qu'il a vécu.  A-t-il vraiment utilisé des morceaux de cadavres?  Sans doute, mais il ne l'affirme pas clairement, juste qu'il a eu l'idée géniale à force de faire des dissections...  Bref, on est très loin du mythe!

L'histoire est une mise en abîme d'une mise en abîme que l'on lit en cercle concentriques.  D'abord l'histoire de Robert Walton qui tente une expédition polaire et qui trouve Victor Frankeinstein en route.  Ensuite, l'histoire de Frankeinstein et au milieu, le récit de la créature sur sa propre vie.  Et en sens inverse, retour au récit de Frankeinstein, et on termine avec Walton.  Déjà, la structure du livre est intéressante car elle défait les cadres du récit classique.

La créature n'est pas un monstre bête qui se contente de grogner: elle est intelligente, pensante, raisonnante.  Elle fait de la vie de Frankeistein un enfer, tuant son frère, son meilleur ami et même sa femme, le jour même de leur mariage.  Cependant, l'auteure ne nous montre pas que Frankeinstein est une pure victime: c'est lui qui a conçu la créature et lui a donné la vie.  C'est aussi lui qui, à peine avait-il réussi, a rejeté ce qu'il venait de créer.  Parce que la créature est immonde à regarder.  Sa seule présence provoque le rejet et la peur chez ceux qui le voit, même pour Frankeinstein lui-même.  Il est donc à la fois le bourreau de la créature, en la privant de tout ce qui est nécessaire à l'épanouissement d'un individu, en premier lieu sa simple présence puisqu'il l'abandonne dès le départ, mais aussi l'éducation de base.  La créature devient son bourreau, en s'attaquant à ses proches, en faisant de lui un être aussi isolé qu'elle ne l'est elle-même, mais ce uniquement après que Frankeinstein eu refusé de lui fabriquer une compagne.  Créature et créateur se reproche au fond la même chose: leur isolement.

Si l'histoire trace de très beaux portraits psychologiques de ses personnages principaux, soit la créature et Frankeinstein lui-même, le récit reste écrit par une jeune fille de dix-huit ans.  Côté émotion, elle beurre très épais.  L'époque et le genre le voulait certes, mais il y a aussi le manque d'expérience qui entre en jeux.  Le récit reste assez classique pour les normes de l'époque et le style est à l'avenant tout en ayant une touche personnelle qui je crois, vient du fait que l'auteure était une femme, très jeune en plus.  La grand inventivité de ce texte réside dans les thèmes explorés et dans la manière dont ils le sont.  L'expérience personnelle de l'auteure, qui a perdu un enfant en bas âge quelque temps auparavant, a dû nourrir ce texte: on y parle de donner la vie et du deuil aussi, beaucoup.  L'importance de l'instruction, à travers le récit que fait la créature de sa propre éducation est aussi soulignée.

Ce livre n'a pas volé le titre de chef d'oeuvre, parce qu'il en est un.  C'est une oeuvre révolutionnaire, qui a bouleversé les colonnes du temples et a ouvert la voie à beaucoup de genre littéraires à venir.  Reste que le récit a plus ou moins bien vieilli à mon avis: il sent très fort l'empreinte de ce début de XIXe siècle où il a été écrit.  Et je le répète, Hollywood l'a complètement scrappé.  Genre, vraiment!

Ma note: 4/5

lundi 2 mars 2020

Parler la langue de...

Salut,

Je me rappelle comme hier de ce critère d'évaluation à mon premier stage d'enseignement:

-La stagiaire maîtrise le vocabulaire lié à son domaine d'enseignement.

Dans mon cas, il s'agissait de la géographie.  Mon enseignant-associé, qui avait 37 ans de métier et avait eu genre 26 stagiaires dans sa carrière, m'avait d'ailleurs félicité à ce sujet.  Je me rappelle des chatouilles de plaisir que cela avait eu sur mon orgueil.

J'avais eu une bonne note sur ce point parce que je savais utiliser les mots justes pour tout ce qui relevait de mon domaine d'enseignement, même si ça me valait parfois des regards perdus de la part de mes élèves qui ne comprenait pas toujours ce que je voulais dire, surtout au début.  Je maîtrisais donc le langage de ma spécialisation, mais il fallait maintenant l'enseigner aux petits cerveaux qui se trouvaient devant moi.

J'ai depuis changé d'emploi et de domaine et je me suis retrouvée à travailler avec des techniciens.  Et c'est à mon tour d'avoir des regards perdus.  Parce que les techniciens ont leur propre langue que j'ai gentiment surnommé le technicien, mélange d'abréviations, de chiffres, d'anglicisme et de codes qui sont totalement hermétique à toute personne non-initié à ce langage.  Je le sais, ça fait cinq ans que j'essaie de comprendre leur jargon sans y parvenir...  Je sais reconnaître certains mots, mais je ne comprends pas le sens général.  Quand je leur demande une traduction en français, ils éclatent habituellement de rire!

Suffit pas de connaître les mots pour comprendre le sens de ce que l'on dit.  La langue française (comme toutes les autres d'ailleurs) permet plusieurs sens aux mots, dépendant du contexte.  Et en plus, chaque mot a un sens littéral et un sens symbolique (un crâne signifie un os du corps ou la mort).  Et que selon les groupes sociaux auquel nous appartenons ou que nous fréquentons, des sous-cultures naissent, se développent et créent leur propre sens aux mots, voir carrément leurs propres mots.  Mettons que c'est pas pour rien que les ados ont un langage incompréhensible aux oreilles de leurs adultes de parents, même s'ils parlent techniquement la même langue!

La langue est une question de vocabulaire, de mots, mais aussi de sens donné aux mots.  Quand je parlais de volcan à mes élèves, ils ne pensaient pas comme moi aux structures géologiques, à la tectonique des plaques et aux nuées ardentes.  Ils pensaient surtout aux montagnes d'où coulent des quantités gigantesques de lave rougeâtre, aux explosions, bref aux images vues au cinéma.  Mon travail en tant qu'enseignante a été à ce moment-là de faire des liens entre le sens qu'ils donnaient au mot volcan et le sens que la géographie lui donnait.  J'ai vu la lumière briller dans leurs yeux quand je prononçais le mot une nouvelle fois, j'ai vu la compréhension s'étaler sur leurs mines épanouies et une nouvelle réalité leur apparaître grâce au nouveau sens d'un mot qu'ils connaissaient pourtant déjà.  À partir de ce mot, je leur avais fait faire un pas vers un nouveau langage, celui de la géographie.  Parce que de parler de lave et de cratère ne suffit pas à apprendre, il faut trouver le sens de tous ces mots et parfois, faire des liens vers d'autres réalités qu'ils connaissent déjà.

Quand on parle la langue de quelqu'un d'autre, bien au-delà des mots, c'est le sens commun qu'on leur donne qui permet la conversation et l'échange.  Si ce n'est pas le cas, ça ne passe pas, c'est l'échec, même si on utilise les mêmes mots.  Il n'y a qu'à penser à cette fois, que tout le monde a vécu, où l'on parle, on essaie d'échanger, mais où on ne se comprend pas, où le sens des mots que l'on échange n'est pas le même pour les deux personnes qui essaient de communiquer.  C'est triste, c'est source de beaucoup de malentendus, de discordes et de conflits, mais cela part d'un simple fait:

Il ne suffit pas de parler une langue pour communiquer.  Il faut bien comprendre le sens des mots que chacun utilise pour pouvoir communiquer avec les autres.

@+ Mariane