lundi 25 janvier 2021

Il faut lire de mauvais livres

Salut!

Je sais, je sais, personne ne va aimer le titre de ce billet, mais tout de même, il recouvre une réalité essentielle.

On ne peut pas lire que des bons livres.

De un, parce qu'il n'y a pas que des bons livres.

De deux, parce que les mauvais livres peuvent être très utiles.

Lire de mauvais livres apprend à voir les erreurs de façon flagrante

Il peut arriver à tous les lecteurs de terminer un livre et de se dire: mouais, il y a quelque chose qui me chicote.  Un bon livre n'est jamais parfait.  Il peut être excellent et avoir quand même des défauts.  Sauf que s'il a d'énormes qualités, comprendre et voir ses défauts peut être difficile.  Alors qu'on mauvais livre, ça nous saute dessus: c'est trop gros pour passer à côté.  Ça développe nos réflexes de lecteur et nous permet d'aiguiser notre sens critique.  Parce qu'on l'a déjà vu, bien identifié et bien appris à la voir, la maladresse, voir l'erreur, ne passera pas aussi facilement.

Lire de mauvais livres nous pousse à comprendre pourquoi on les déteste autant

Ok, je ne trippe pas sur le policier, en me prenant comme unique exemple.  J'ai lu des policiers qui ont passé la rampe de mes maigres attentes, mais c'est loin d'être le cas de tous les livres.  J'ai compris en lisant de mauvais policiers pourquoi je les détestais autant: parce que la trame narrative est atrocement répétitive.  Dans un bon policier, dans le sens de bien écrit et avec une bonne intrigue, c'est suffisant pour que je remarque pas  le schéma.  Dans un mauvais policier, qui reprend les mêmes codes et les mêmes postures, ça saute aux yeux.  Bref, lire de mauvais livres peut aider à clarifier ses goûts.

Lire de mauvais livres permet de voir vraiment la différence entre les oeuvres réussies et les oeuvres juste un peu moins réussie

La majorité des lecteurs lisent un grand nombre de livres d'une qualité à peu près égale.  Arrivée à un certain point, quand on lit surtout du même genre, la loi de la moyenne fait que la plupart des romans se ressemblent et que peu de choses les distinguent au point de vue de la qualité littéraire.  Oh, oui, il y a en a des différences, mais elles sont moins importantes.  Lire de mauvais livres entraîne un changement des perspectives.  Ça nous oblige à repenser nos barèmes en élargissant le registre (et sans doute au désavantage des mauvais livres) les nuances paraîtront plus si on étire le spectre entre lequel on compare les livres.  Si vous ne lisez que de la qualité égale et que vous lisez soudainement un très mauvais livre, vos barèmes de comparaisons changent.  Remarquez que sur ce point, lire un excellent livre peut avoir le même effet (et vous dégoûter de certains livres à tous jamais!)

Bref, lisez de mauvais livres!  Mais juste une fois de temps en temps, pas souvent quand même...

@+ Mariane

lundi 18 janvier 2021

Prospéryne

 -Mais d'où est-ce qu'il sort ce nom-là?

La vétérinaire venait d'ouvrir la porte de la salle de consultation.  J'étais assise dans la salle d'attente, une cage contenant mon chaton gris tout neuf sur les genoux.  D'où il venait ce nom-là?  C'est simple, j'avais fait la rencontre de cet adorable chaton une semaine plus tôt.  En la voyant, j'avais tout de suite su: celle-là, elle est pour moi.  Je voulais avoir un chat gris.  Pour la simple raison que j'avais déjà gardé des enfants qui avaient des chatons et que les gris étaient les plus affectueux.  Dès que je l'ai vu, ça a été un coup de foudre, pour sa fourrure, mais pas uniquement.  Je l'avais prise sous les pattes avant et l'avais levée dans les airs.  N'importe quel autre chat aurait rentré ses griffes dans mon bras, incertain de mon geste.  Pas elle.  Elle n'a jamais eu une once de malice en elle et a dû donner moins de dix coups de patte dans toute sa vie.  Dans ma tête, en la tenant dans les airs, ça a fait: Prospéryne.  Et c'est ainsi que je l'ai appelé.  Quelques années plus tard, au moment d'ouvrir mon blogue, j'avais d'abord essayé de le nommer du nom de mon autre chatte, Patchoulie, mais le nom était déjà pris.  J'avais alors levé les yeux de mon ordi et croisé son beau regard vert.  Et voilà pourquoi mon blogue porte son nom.

Et il continuera, même si elle, elle est partie.

La vie de mon petit trésor gris à quatre pattes a pris fin jeudi soir, le 14 janvier 2021, après 13 années passées dans ma vie.  

Prospéryne, mai 2007-14 janvier 2021


Dire que j'ai pleuré toutes les larmes de mon corps est une assez bonne image.  Elle allait bien durant le temps des Fêtes.  Et puis, après le jour de l'An, j'ai remarqué son manque d'appétit.  Ça lui arrivait de temps en temps, quand elle avait l'estomac plein de poils.  Et après, j'ai remarqué une bosse sur son ventre en la caressant.  J'ai pris rendez-vous pour la faire examiner, mais mon instinct me disait que ça sentait mauvais: j'ai eu des chats plus jeune et croyez-moi, je sais à quel point ça peut partir vite ces petites bêtes-là.  J'avais un espoir, très mince, mais mon mauvais pressentiment a augmenté au fil des jours.  

J'ai pleuré quand le vétérinaire m'a annoncé qu'elle avait l'abdomen plein de liquide et que même si on investiguait pour trouver ce qu'elle avait, le pronostic n'était pas bon.  C'était soit un cancer, soit des problèmes cardiaques et au moment même où on se parlait, il m'a dit qu'elle avait probablement du mal à respirer.  Je crois que je vais être hantée jusqu'à la fin de ma vie par les images des radiographies, montrant son petit ventre distendu jusqu'à la limite de ce qu'il pouvait supporter.

J'ai regardé ses beaux yeux verts.  Elle était calme.  Même les techniciens en santé animale qui l'ont examinée l'ont trouvé remarquablement facile.  Elle ne se plaignait pas, n'a pas craché, n'a pas fait signe de vouloir les mordre.  Elle se laissait faire.  Elle était probablement épuisée et à bout.  Le dernier soir, quand je suis rentrée du travail, juste avant de l'emmener chez le vétérinaire, elle ne s'était même pas levée pour me dire bonjour, ce qu'elle avait pourtant fait chaque soir depuis que je l'avais adoptée.  J'ai eu peur qu'elle soit partie sans moi.  Mais non.  Elle m'a attendu.  Je savais qu'elle souffrait, même si elle ne se plaignait pas.  J'ai préféré ne pas la laisser souffrir plus longtemps.

Main dans la patte, jusqu'à la fin


Je l'ai tenu dans mes bras, tout du long.  Le personnel de la clinique m'a laissé seule avec elle, le temps que je lui fasse mes adieux.  Je l'ai cajolé jusqu'à la toute fin.  Son dernier souffle a été un ronronnement, à l'image de cette petite bête douce et gentille.  Fort heureusement, le personnel de l'hôpital a été compréhensif, surtout face à la cliente larmoyante que j'étais.  Avec les mesures actuelles et ils ont gardé son corps durant la nuit pour que je puisse aller la chercher le lendemain et aller l'enterrer.  Je ne supportais pas l'idée qu'elle finisse dans les poubelles.  

Et là, il y a l'absence, le trou dans ma vie, comme une griffure en continu.  Un chat, c'est un petit être vivant qui emmène une incroyable vie dans un foyer.  Ma Prospéryne était pantouflarde et dormait une bonne partie de la journée, elle était goinfre et vidait ses bols de nourriture en un éclair et elle était peureuse comme quatre mais elle était aussi beaucoup plus que ça.  Elle avait tout un tas de petits rituels avec moi qui la rendait unique.  Elle venait dormir contre mon ventre la nuit et elle attendait que je sois couchée, les bras sous les couvertures pour venir s'installer, même si c'était complètement stupide parce que je ressortais mon bras dans les secondes suivantes pour la caresser.  Tant que mes bras étaient visibles, elle ne sautait pas.  Elle a toujours miaulé d'un miaulement de chaton, presque étouffé, même si elle avait le coffre d'une cantatrice d'opéra.  Attention par contre, si elle était dans une situation qu'elle détestait, comme un tour en voiture où un passage sous la douche, le volume pouvait atteindre des proportions épiques!  C'est elle qui venait s'installer contre moi quand je lisais ou regardais la télévision.  Elle pouvait rester là pendant très longtemps, à se faire gratter le bedon.  C'est aussi elle que je collais contre mon coeur au pire du confinement, quand le manque de contacts physiques frisait la douleur.

Depuis jeudi, je désapprends tous les petits gestes quotidiens qui liaient ma vie à la sienne.  J'ai pleuré en enlevant son bol de nourriture, quand j'ai mécaniquement remis la cuillère dans la canne de bouffe pour servir une deuxième portion, quand je me suis assise devant la télé et que j'ai fait son petit nid où elle venait s'installer dans la couverture...  Des dizaines de petits trucs comme ça, que l'on fait avec les êtres qui partagent notre vie au quotidien.  

En fin de semaine, j'ai passé l'aspirateur et vidé la litière, faisant disparaître les dernières traces de son passage chez moi.  Il me reste une touffe de poils et ses empreintes de pattes.  C'est tout.  Juste ça après treize années de vie commune.  

J'ai toujours ma Patchoulie et elle va bien.  Fort heureusement.  Sans ça, je ne suis pas sûre que j'aurais supporté le vide.  Elle a toujours été moins affectueuse que Prospéryne, mais elle est là, à sa façon à elle.  Ceci est un dernier hommage à une petite personne qui a vécu toute sa vie avec moi et qui me manque terriblement, même si elle restera toujours avec moi, mon identité numérique étant fortement liée à elle.  Et ça ne changera pas.  Je sais que ce n'est pas tout le monde qui a la même relation avec ses animaux de compagnie, mais moi, j'ai toujours considéré ces petits êtres comme des membres de ma famille.  Attention, je sais bien que ce ne sont pas des êtres humains, j'ai bien conscience que c'est d'un chat dont on parle, mais sa petite présence était quotidienne et me manque terriblement.  Je n'ose même pas penser au vide de ceux qui ont perdu un membre de leur famille en ces temps de pandémie...  J'ai un merveilleux réseau de soutien.  J'ai une famille et des amis qui m'ont entouré (virtuellement et par téléphone) depuis son départ.  Ça va aller, je vais passer au travers.  C'est juste qu'en ce moment, c'est dur.

Je tenais à faire ce billet, parce que c'est ma façon de lui dire: 

Bon voyage au paradis des chats, Prospéryne

@+ Mariane

lundi 11 janvier 2021

Lettre à moi-même de 1996

 Salut!

Je sais pas si vous aviez déjà entendu parler de ce truc: des gens qui s'écrivent une lettre, à leur futur eux-mêmes?  Et bien, moi, j'en avais entendu parler, il y a de ça longtemps.  Il y a plus de vingt-cinq ans même.  En fait, j'en aie sûrement entendu parler de la part d'un de mes profs au secondaire ou au primaire.  Assez pour que cela me décide à faire l'exercice... il y a vingt-cinq ans.  Oui, oui, je m'étais écrit une lettre à moi-même.  D'ailleurs, la voici:


Première des choses, constatation: J'aimais écrire mes 2 avec des boucles dans le temps.

Rappel: Ma prof de sixième année me l'interdisait.

Deuxièmement, euh, ah oui, 1996, la belle époque du papier à lettres parfumé que l'on achetait au marché aux puces...


Ça rappelle peut-être des souvenirs à quelqu'un?

J'ai donc gardé ce précieux document pendant les vingt-cinq dernières années.  Où donc.  Dans la copie du livre de recettes de Jehane Benoît que ma mère m'avait donné.  Elle est restée là pendant deux déménagements, des dizaines de consultations dudit ouvrage et non, je ne l'ai jamais regardé.  Je farfouillais dans mes livres de recettes récemment et j'ai eu un flash: Hé, ma lettre!  On est rendu en 2021 non hein?

Je l'ai donc ouvert en fin de semaine.  De mémoire, je n'avais rien raconté d'exceptionnel.  En la lisant, c'est le cas.  J'étais en secondaire I, j'avais un béguin pour un gars (raison pour laquelle je ne mets pas la lettre, je le nomme et comme nous nous sommes totalement brouillés depuis, je ne veux pas que son nom apparaissent ici, de quelque façon que ce soit).  Je parle de l'école secondaire que je fréquente, des cours de karaté que je suis, du fait que je garde des enfants et que ça ne rapporte pas (ça ne s'est pas amélioré avec les années), de SimCity (oh, retour dans les années 90) et de ma série télé préférée de l'époque, SeaQuest DVS (je me rappelle que je trouvais l'acteur qui jouait l'adolescent du bord très mignon...).

Je mentionne aussi que quand je serais grande, je veux faire des arrangements floraux?????  Non, mais qu'est-ce qui m'était passé par la tête au juste?  Le reste, je comprends, le reste, je me rappelle,  mais les arrangements floraux, je pige vraiment pas!  Sans doute une lubie du moment quand j'ai écrit cette lettre, mais vingt-cinq ans après, je me demande d'où est-ce que j'ai sorti ça!

N'empêche, c'est un bel exercice.  Ça me rappelle à la fois que la Mariane que je suis a beaucoup changé et que la Mariane d'autrefois n'est pas complètement disparue.  Je trippe toujours autant sur les séries de SF, je fais encore des arts martiaux, j'ai encore parfois des lubies, mais elles sont moins intenses.  Changement et permanence de moi à moi à vingt-cinq ans d'écart.  Intéressant comme exercice.

Vais-je écrire une autre lettre, à mon moi qui aura dans vingt-cinq ans 63 ans bien sonné?  Peut-être bien.  Je n'ai pas encore décidé.  Mais bon, j'ai jusqu'à la fin de 2021 pour le faire ;)

@+ Mariane

lundi 4 janvier 2021

Twistoire

 Salut!

En écoutant un balado l'autre jour (j'en écoute à tous les jours, ne me demandez quel jour je l'ai écouté), je suis tombée sur cette expression en anglais que je traduis avec son plus proche équivalent en français: twistory, l'art de tordre l'Histoire.  Le balado portait sur Hollywood en guerre et expliquait comment le cinéma, et plus tard la télévision, avait façonné l'image que nous nous faisons des deux guerres mondiales du XXe siècle, puis de celles qui ont suivi: Viêt Nam, Koweit, etc.  Ici, les faits peuvent être réels, mais l'histoire que l'on raconte peu être très éloignée de la réalité historique.  L'armée américaine, sauveuse du monde et porteuse de la flamme de la liberté face à l'Allemagne nazie?  C'est hautement simpliste, la réalité est plus nuancée: nos voisins du sud avaient des intérêts politiques, économiques et militaires à s'engager, ils ne l'ont pas fait par seule bonté d'âme.  D'ailleurs, ils ne se sont pas impliqués dès le début de la guerre, sauf qu'ils ont pris la majeure partie de la gloire de la victoire.  Mais bon, si vous avez vu n'importe quel film d'Hollywood sur cette période, ça fait de saprées bonnes histoires non?

L'Histoire, et cela, bien des historien.ne.s en sont conscient, n'est pas nécessairement quelque chose de vivant.  Des piles de documents poussiéreux ou des tablettes couvertes d'inscriptions incompréhensibles peuvent faire sauter de joie les chercheur.se.s, mais pour le commun des mortels, c'est, au mieux, ennuyant.  Mais si on raconte l'histoire derrière ce document poussiéreux ou cette tablette gravée, on va la rattacher à des gens et eux, ils ont une histoire.  Et d'un coup bang, ça peut devenir passionnant.  Le hic, c'est que la personne qui raconte a un but en racontant.  Aucune narration n'est neutre à la base.  Si on raconte le passé, on a un point de vue sur ce passé.  C'est souvent ainsi que le même événement historique est raconté de façon différente selon qui raconte.  Pensez aux Plaines d'Abraham...

Et quand la fiction s'en mêle, on brouille les cartes.  Quand on raconte la Deuxième Guerre mondiale, au cinéma ou à la télévision, si on ne montre que des mouvements de troupes à l'écran, les décisions des généraux ou l'entraînement des soldats, les gens n'accrocheront pas.  Mais si on leur donne un personnage auquel s'identifier, à suivre dans les dédales de cette histoire, qui entre en contact avec des faits déjà connus qui sont dans les bouquins d'histoires, les gens accrochent.  On se dit (et on se le dit tous, ne soyons pas naïfs), ah oui, c'était comme ça!  Et si on répète, film après film, série après série, la même version de qui est le gentil, qui est le méchant de l'histoire, qui avait raison, qui avait tort et qui était légitime à agir de la façon dont il l'a fait, on crée une version de l'histoire qui s'éloigne lentement des faits bruts.  Celle-ci finit par être plus importante dans la conscience des gens que la vérité historique.  Parce qu'elle est souvent plus intéressante, plus stimulante et bon soyons honnête, plus séduisante que les récits érudits...

Le dilemme est ici: la fiction est un excellent véhicule pour transmettre l'Histoire justement à cause de ces caractéristiques.  Le hic, c'est qu'il est facile de tordre l'Histoire grâce à la fiction.  Les connaissances historiques de la majorité des gens se fondent sur les récits de fiction et ici, je ne blâme pas les cinéastes qui se trompent dans les années de fabrication d'une voiture ou sur la longueur des robes dans une reconstitution historique.  Ça, ce sont des détails qui ne changent rien.  Pas comme prêter des intentions à un personnage historique.  Pas comme donner un autre sens à une bataille.  Pas comme ajouter des détails dont on n'est pas certain ou carrément en inventer quand on ne sait pas.  Ça c'est important, ça, ça change la perspective.  Mais ce sont aussi parmi les plus puissants moyens de transmettre une fiction et de faire en sortent que les gens prennent du plaisir à la lire ou à la regarder.  Alors...

C'est facile de tordre l'Histoire avec des histoires.  C'est pour cela que toute fiction historique doit être prise avec des pincettes.  L'essentiel peut être excellent.  Mais c'est si facile de le dénaturer avec la fiction qu'il faut prendre des précautions quand on est en contact avec elle.

@+ Mariane