lundi 31 août 2020

Les vrais héros ne meurent pas

 Salut!

C'était samedi soir, un samedi soir bien ordinaire.  C'était à une heure où normalement, je suis déjà entre mes draps, en pyjama, en train de compter les moutons si je ne roupille pas déjà (ouais, couche-tôt même le samedi soir, je ne suis vraiment pas une party animal).  Exceptionnellement, j'étais encore debout.  Et là, le petit bruit typique d'une alerte sur mon cell.  Ce n'est pas une heure où je reçois des courriels, vraiment pas, pas de raison. Curieuse, je l'attrape et je jette un coup d'oeil.  Et je reçois en plein visage ces simples mots:

«Chadwick Boseman, l'interprète de Black Panter, meurt d'un cancer à 43 ans.»

Je suis chamboulée en un instant.  Hein, quoi?  Pas possible!  Pas Black Panther! Pas un héros de Marvel!  Les superhéros ne meurent pas d'un banal cancer comme le commun des mortels.  Ils sont beaucoup plus forts que ça.  Quand ils meurent, c'est de manière épique, en se sacrifiant pour le bien commun, comme IronMan et Black Widow!  Pas dans un lit d'hôpital...  

On est trop habitué aux héros.  Aux sur-êtres humains.  À ceux que l'on perçoit comme étant tellement plus et mieux que nous.  Nous qui sommes ceux qui prennent en plein gueule les débris des explosions dans les films qui les mettent en vedette.  Qui voient leurs voitures et leurs maisons réduits en miettes.  Qui réparent, après que la menace soient passée, qui reconstruisent, qui envoient leurs enfants à l'école et qui mitonnent de bons petits plats qui embaument pour leur retour à la maison.  Et qui s'obstinent pour une place de stationnement à l'épicerie. Ce sont les gens comme nous qui meurent du cancer ou d'un bête accident de voiture, ou de la grippe, ou en allumant le barbecue comme des cons.  Pas eux.

Dans la littérature, on laisse souvent les héros à un moment de leur vie.  On partage leurs aventures pendant un temps, puis on les laissent continuer leurs vies.  Ils ne meurent donc pas vraiment.  On laisse Frodon lorsqu'il quitte la Terre du Milieu.  On ne le voit pas mourir.  On quitte Katniss Everdeen alors qu'elle est plus âgée, qu'elle est devenue mère.  On ne la voit pas mourir.  On quitte Harry et ses amis après leur victoire comme Voldemort.  Certes, on les revoit vingt-cinq ans après, mais un bref instant seulement.  Et on ne les voit pas mourir.  Du moins, pas définitivement.  Tolkien a bien fait mourir Aragorn, Merry et Pippin, mais leur a laissé toute une vie à vivre où l'on peut leur imaginer une série d'aventures, il ne les a pas fait bêtement mourir.  Ils sont restés des héros toute leur vie dans le fond.

La mort de Chadwick Boseman m'a rappelé que ce qui fait un héros, ce n'est pas la personne qu'elle est, mais le poids de nos rêves collectifs de grandeur.  Le seul fait qu'un interprète, que la personne sous le costume, derrière le masque, derrière le surnom de super héros puisse mourir comme n'importe quel quidam vient nous le rappeler avec force.  Les héros ne font pas partie de l'humanité.  Ils en sont le rêve, le désir, la projection des souhaits les plus fous.  Mais justement, ce n'est que ça: un rêve.  Voilà pourquoi on ne veut pas qu'ils meurent autrement que de façon héroïque.  Sinon, et bien, qu'elle est la différence entre eux et nous?  

C'est quelque chose que beaucoup de gens rejettent pour cette simple raison: on ne veut pas que les super-héros soient comme nous.  On préfère le rêve à la réalité.  C'est tellement plus rassurant le rêve.  C'est factice, mais c'est rassurant.  Voir que même eux ne peuvent pas échapper à la loi universelle de la mort, alors qu'ils peuvent voyager dans l'espace, soulever des charges impossibles, voler, lire dans les pensées, se fabriquer des armures hyper sophistiquées, utiliser des armes magiques...  Et bien, ça les ramène à notre niveau et quelque part, une partie de nous refuse.  Malheureusement. 

N'empêche, bon voyage dans l'au-delà parmi tes ancêtres, Black Panther.  Et Wakanda forever.

@+ Mariane

jeudi 27 août 2020

Sapiens de Yuval Noah Harari

 Sapiens  Une brève histoire de l'humanité  Yuval Noah Harari  Albin Michel  501 pages


Résumé:
L'humanité dans toute sa diversité peuple la terre depuis environ un million d'années.  Depuis 30 000 ans environ, seul Sapiens survit comme espèce.  Et depuis, au fil de révolutions qui ont remué les fondements de sa conception du monde et ses capacités à agir sur lui, Sapiens a lentement mais sûrement conquis sa planète.  Pourquoi?  Comment?

Mon avis:
Méta.  C'est le maître mot qui me vient en tête quand je pense à ce livre.  Méta-histoire.  Dans ce sens, c'est une façon de raconter l'histoire que je n'avais jamais vue, ni lue, ailleurs.  Au lieu de s'intéresser aux événements, il cherche les mouvements de fond qui ont traversé et bouleversé les sociétés du passé.  Et au lieu de s'intéresser aux êtres humains qui les ont faits, ils s'intéressent aux impacts à long terme, à très long terme.

L'auteur établi que quatre grande révolution ont traversé les divers âges de l'humanité.  Oui, juste quatre, parce que (méta) il parle de celles qui ont affectés l'humanité dans son ensemble, pas juste un ou des peuples en particulier.  En ce sens, la Révolution française n'est qu'un événement historique, mais le mouvement de fond qui la sous-tend, celui des droits humains, est bien plus intéressant.  Et encore là, je donne un exemple bien trop précis: il parle des vagues de fonds profondes qui bouleversent l'humanité à des échelles de milliers d'années, mais qui se rapprochent et s'accélèrent au fil des siècles. 

Tout ceci pourrait paraître bien décollé de la réalité et demander des connaissances préalables importantes.  Et bien non, et c'est justement là que se trouve une partie du génie de l'ouvrage.  Il rend accessible des concepts fondamentaux et des connaissances profondes de façon simple et directe.  L'introduction d'une page qui débute l'ouvrage, expliquant la physique, la chimie, la biologie et l'histoire est d'une telle limpidité qu'elle pourrait être lue et comprise par des élèves de secondaire 1 (testé sur Neveu qui a cet âge: il a pigé).  L'ensemble de l'ouvrage pourrait être lu par un.e élève de secondaire 5, si tant peu qu'il.elle a un intérêt pour le sujet.  Pourquoi?  Parce que c'est passionnant.

Le livre, même s'il est d'une richesse en information remarquable, se lit avec une facilité déconcertante. L'auteur nourrit son texte d'innombrables exemples, simplifie les éléments les plus complexes par des explications, nous montre qu'au-delà de toutes les différences possibles, l'humanité suit des tendances lourdes qui l'affectent peu importe où l'on vit.  On y aborde une multitude de sujets et ces sujets couvrent l'ensemble de la planète, donnant une tonalité d'ensemble au livre.  Économie, culture, religion, nationalisme, science...  Tout y passe, mais pas dans le détail des événements, dans le sens de leurs impacts.
 
Bref, ce livre est une petite merveille, à mettre entre presque toutes les mains, qui se lit bien, qui nous emporte et nous laisse avec autant de réponses à des questions qu'on ignorait que de questions auquel on a le goût de répondre.

Ma note: 4.75/5

lundi 24 août 2020

Feu de paille, feu d'artifice et feu d'érable

 Salut!

Ok, j'avoue, j'ai lu Twilight, les quatre tomes.  Je les aies dévorés.  Mes minettes n'ont pas aimé par contre, j'ai trouvé une trace de marque de dents sur Hésitation je crois.  Mais à long terme?  Je dois avouer quec cesquatre livres ont laissé une bien petite empreinte sur ma vie.  Aujourd'hui, je les regarde avec un autre oeil, fait d'expérience de lecture différentes, de vie aussi.  Pourtant, sur le coup, je les aies adoré, ces livres-là!

Je crois que parmi nos coups de coeur littéraires, il y a différentes sortes de coup de coeur.  Je parle ici des livres que j'ai adoré, pas de la masse des livres que j'ai lu depuis le début de ma vie.  Non, les coups de coeur.  Ils ne sont pas tous égaux.

Il y a les feux de paille.  Ceux-là, en refermant le livre, on en parle à tout le monde, on en fait tout un plat, on adooooore!  Ce livre-là nous met des étoiles dans les yeux, il apparaît au sommet de notre top 5 de l'année sans doute, mais... on l'oublie sur le long terme.  Je me suis amusée à faire l'exercice (avantage de pouvoir faire une petite recherche sur mes critiques de blogue avec un moteur de recherche).  Certes, en relisant les titres, je me souviens des histoires, je me souviens de l'émotion, je me souviens de tout, mais en même temps...  Est-ce que j'aurais pu tous les nommés juste comme ça?  Non.  Et ce n'est pas nécessairement parce que ces lectures datent de plusieurs années.  C'est juste que ces livres ont été des coups de coeur sur le coup, pas à long terme.

Il y a les feux d'artifices aussi.  Ceux-là, je m'en souviens.  Je crois que je peux mettre les Twilight dans cette catégorie.  Je les aies lus il y a plusieurs années, je m'en souviens encore, de l'intensité de l'amour, des émotions que j'ai vécu auprès de ses personnages.  C'est comme La Stratégie Ender, la série Ugly, Pretty, Special de Scott Westerfeld.  Je me souviens de ces livres, ils sont dans ma mémoire.  Je me souviens de combien je les aies aimé.  C'est comme le souvenir de feux d'artifices que j'aurais vu étant enfant.  Ils m'avaient émerveillés... mais avec mes yeux d'adultes, je vois autre chose.  Leurs défauts sont là.  J'ai de bons souvenirs de ces lectures.  De très bons souvenirs mêmes.  Mais avec le temps, les couleurs ont pâlies et les images sont devenues moins précises.  Reste le souvenir.

Et il y a les feux d'érable.  Quand j'étais petite, mes parents chauffaient au bois.  Et on avait acheté une année une corde de bois d'érable.  Je peux vous dire que de l'érable, ça chauffe!  Et longtemps à part ça.  Ce sont les coups de coeur qui durent, ceux que même les années n'effacent pas.  Ceux que je peux encore nommer comme mes coups de coeur, même des années après les avoir lus.  C'est Rouge Brésil de Jean-Christophe Rufin, c'est Peter Pan de Régis Loiselle, c'est les Harry Potter (les récentes déclarations de J.K. Rowling ont un peu entaché mes souvenirs, mais reste que ce sont les livres que j'ai toujours aimé avant tout).  Ces livres-là, ces oeuvres-là, restent, même avec les années.  Je pourrais tous les nommer, les raconter même parfois.  Ce sont les inoubliables que chaque personne finit par se construire au fil des années.  Ce sont les coups de coeur qui définissent une vie de lecteur.trice.  Ils ne sont pas nombreux, surtout avec les années qui passent, mais ils en sont d'autant plus bouleversants.

Bref, tous les coups de coeur ne se ressemblent pas, même si en fermant le livre, on pourrait croire que oui.

@+! Mariane

lundi 17 août 2020

Les mots que l'on entend

 Salut!

Depuis maintenant quelques années, j'ai cédé à une mode à la fois envahissante et oh combien agréable: les balados.  Par balados, je parle de ces émissions qui sont enregistrées pour être écoutées où et quand on le souhaite.  Certaines sont de vrais émissions de radio que l'on peut aussi écouter en direct, d'autres non.  Je vais m'intéresser à ces dernières dans le cadre de ces billets.

Première des choses que j'ai à dire à leur sujet?  Si vous vous intéresser au sujet, c'est un univers encore plus vaste que celui de Marvel qui s'ouvre à vous...  Sur tous les sujets, sous tous les angles, de toutes les façons possibles.  Il est quasiment impossible de ne pas trouver quelque chose qui va vous plaire.  En fait le problème est tout autre.  C'est sûr que vous allez trouver quelque chose qui va vous plaire!  Le hic étant que quand on commence, on se dit, ah, je vais écouter ça et ça et rien d'autre et vous finissez ensuite par écouter celle-là aussi, et celle-ci et tiens, on a parlé dans ce balado que j'adore de cette nouveauté...  C'est sans fin.  Et c'est une vraie spirale quand on commence à écouter.

Deuxièmement, comme beaucoup de gens, je me disais que je n'aimerais pas le format parce que, et bien, être concentrée et écouter n'est pas quelque chose dont je me croyais capable pendant de longues périodes.  J'ai fini par trouver le truc: j'écouter des balados en faisant le ménage ou en cuisinant.  C'est un peu comme écouter la radio.  On finit toujours par s'habituer à suivre.

Mais surtout, surtout, ce que je trouve différent de toutes les autres formes avec les balados, c'est la façon dont ça change le rapport aux mots.  Je suis une lectrice de longue date, je suis habituée de lire les mots.  J'écoutais certes des livres audio avant de me mettre aux balados, mais pas de façon quotidienne.  Uniquement quand mon travail me poussait à faire de la grande route.  Le hic, c'est que les balados, ça sort à tous les jours/semaine.  Donc, on finit très vite par en écouter beaucoup pour ne pas perdre le rythme.  Et donc, on se met à écouter beaucoup plus qu'avant.

Quand on lit, on décide dans notre tête de la prononciation de certains mots.  On décide aussi du rythme de la lecture.  Tel personnage a-t-il un langage hachuré, au style à la mitraillette, est-il nasillard?  Le texte nous donne des indications, mais c'est la personne qui lit qui se crée cet univers mental et qui, se faisant, se crée sa propre version du texte dans sa tête.  C'est pour ça que le rapport à un texte demeure très personnel.  Ce n'est pas comme un film où une série télé où une équipe composée d'un réalisateur.trice entouré d'acteurs et d'actrices vous montre ce qu'autrement vous auriez lu.

Le mode oral est entre les deux.  La voix est là pour vous guidez, vous expliquez, mais pas pour vous montrez.  L'aspect visuel appartient entièrement à l'auditeur.  En un sens c'est un retour à l'oralité que nos lointains ancêtres pratiquaient et qui l'est d'ailleurs encore un peu partout dans le monde.  Une balado, c'est avant tout une personne qui parle.  En écouter force à réapprendre à écouter et l'écoute, contrairement au visionnement, est beaucoup plus active.  On nous dit, mais on ne nous montre pas.  Donc, on doit encore faire une partie du travail mental que suppose la compréhension d'un récit, mais pas au complet parce que la voix, par ses inflexions, son rythme, son accent et sa texture nous donne beaucoup d'informations.  Le vocabulaire aussi, mais ça, c'est en commun avec le texte.

C'est étrange qu'après des décennies à se pâmer sur le visuel, l'oral fasse un retour par la bande dans toute sa splendeur, à travers un média qui lui donne un second souffle.  J'avoue, j'adore les balados.  J'en écoute des tonnes.  Sans doute même un peu trop.  Une chose est sûre: je ne viendrais jamais à bout de tout ce que je veux écouter...

@+ Mariane

lundi 10 août 2020

De la géographie: Parcourir un territoire

Salut!

Bon, on a vu ce qu'est un territoire, l'emboîtement des échelles, la répartition des éléments sur celui-ci, comment tout le monde finit par se créer une carte mentale de ça et qu'il ne faut pas toujours se fier aux cartes.  On en a vu du stock hein?  Bon, vu le nombre de personnes qui, ici ou ailleurs m'ont dit qu'ils en apprenaient un bout avec cette série de billets, on va continuer.  Le reste des sujets de cette série sera cependant un peu plus pointue que les précédents, qui abordaient les grands concepts de la géographie humaine.  Maintenant, intéressons-nous à la façon de se déplacer sur un territoire.  Parce que, il a beau être là, si on reste toujours au même endroit, ben...  Ça fait pas une grosse histoire...

Une territoire sur lequel vous ne vous déplacez jamais... n'existe pas.  Il y aura toujours un à l'intérieur et à l'extérieur.  Un à la maison et un au boulot (même si c'est sous le même toit, ceux qui font du télétravail l'auront compris!).  Si vous êtes un.e ermite asocial.e richissime, et que vous pouvez vous permettre de ne jamais sortir, votre territoire sera votre chez vous, mais il restera un territoire où vous avez à faire quelque chose de très simple, mais qui est à la base de la notion de territoire: vous y déplacez.

Si votre territoire se réduit à un appartement, tout sera adapté à la marche: passer de la cuisine, au salon, à votre chambre.  Votre vision de votre territoire sera celle d'une personne qui marche.  Admettons que vous soyez un.e millionnaire, et que par conséquent, vous avez un manoir, vous pourriez avoir des zones que vous parcourez à la course, en planche à roulette, voire en bicyclette.  Et votre vision de ces zones sera influencée par la façon dont vous vous y déplacez.  Si vous parcourez un corridor précis bien planté sur votre skate, il se peut que la décoration des murs vous soit beaucoup moins familière que celle au-dessus de la télévision...

Pas pour rien que l'on dit et répète que la meilleure façon de découvrir une ville est de la parcourir à pied.  La vitesse de déplacement est moins grande en partant, cela est certain.  Se déplacer moins vite est l'une des clés pour avoir du temps pour observer.  Une autre des clés est de pouvoir observer plus librement.  Si vous avez à garder les yeux sur la route parce que vous conduisez, la jolie statue à votre droite n'attirera pas votre attention et il ne sera peut-être pas possible non plus de faire un arrêt pour l'observer.  Dommage pour elle.  À pied, la donne ne sera pas la même.

Maintenant, imaginez si vous passez à côté de la même statue sur une voie rapide.  Dans un train.  Dans un bateau qui circule dans la rivière toute proche.  À bord d'un hélicoptère qui la survole.  Depuis un avion quelques milliers de mètres plus haut.  Depuis la station spatiale internationale.  Avouez que la statue ne sera pas pareille dans chacun des cas.  La façon dont on se déplace dans un territoire influence la vision que l'on a de celle-ci.

J'habite dans un quartier situé sur l'île de Montréal, mais excentrée par rapport au centre.  Pour plusieurs de mes amis, venir chez moi est un calvaire qui me vaut des gémissements à chaque fois que j'offre d'organiser un souper (pré-pandémie évidemment!).  Pour moi, la situation est relativement simple: on part de chez soi, on prend l'autoroute et excepté s'il y a des travaux ou du trafic, on arrive chez moi relativement facilement.  Malheureusement pour moi, beaucoup de mes amis sont des adeptes du transport en commun et pour l'avoir fait à quelques reprises, je sais à quel point venir chez moi est un vrai parcours du combattant par ce moyen de transport.  Donc, pour moi, le territoire que j'habite est accessible, mais pas pour mes amis.  La façon de se déplacer sur un territoire a donc une influence sur celui-ci.  D'ailleurs, quand vient le temps de me rendre au centre-ville pour un 5 à 7 entre amis, je peste à mon tour: mes amis adeptes des transports en commun ne pigent rien aux concepts de travaux, de trafic ou de place de stationnement à trouver.  

À une autre échelle (et oui, toujours l'échelle!), pour tous ceux qui n'ont jamais mis les pieds, disons, dans un pays africain, il peut être possible, en se limitant aux images des livres et des bulletins télés, de se faire une image bien partielle de ce vaste territoire.  Non, c'est pas partout pareil.  Oui, il y a des zones super urbanisées, oui, il y a des zones de savanes, mais entre les deux, y'a des petits villages, des zones péri-urbaines, des beaux quartiers, des quartiers populaires, des cinémas, des tours à bureau, des zones montagneuses, des plantations, des zones minières, pétrolières ou gazières, des zone militaires, des zones de guerres, mais aussi des zones tranquilles.  Quand on traverse un pays, on remarque bien plus ses petites particularités.  Ce pays-ci a un sol rouge particulier, celui-là est tellement vallonné que l'on passe son temps à monter et à descendre, cet autre est tellement enfoncé dans la jungle que celle-ci s'arrête à la porte des maisons.  Si on parcourt le pays au ras du sol, en jeep par exemple, on le verra.  Si on le survole, on verra autre chose.  Si on le parcourt à pied, on aura droit à un autre visage.

Les ponts, les routes et les autres infrastructures de transport transforment profondément la façon de se déplacer sur un territoire.  Si vous aviez parlé de traverser l'île de Montréal du nord au sud en une demie-heure à Paul Chomedey de Maisonneuve et à Jeanne Mance, ils auraient soit ri de vous, soit  douté de votre santé mentale...  À l'époque, le territoire était entièrement boisé et on devait s'armer pour le traverser, car la menace des Iroquois était toujours présente...  C'était une épopée que ce trajet.  Pourtant, les gens qui prennent le métro le font de manière courante.  La rivière des Prairies ne semblent plus aussi éloignée qu'elle l'était avant du fleuve Saint-Laurent et le territoire qui les sépare a été complètement transformé par la façon dont on s'y déplace.  De territoire hostile, il est devenu un territoire familier et accessible.  Avec la facilité de déplacement est venue l'urbanisation et l'urbanisation va encore plus transformer le paysage.

Néanmoins, ce qui a le plus transformé la manière de concevoir le territoire au cours des cent dernières années, c'est une invention bien humaine: l'avion.  Certes la caravelle a permis de traverser l'Atlantique, mais elle reste un moyen de voyage relativement lent qui oblige à s'adapter au paysage.  Regarder par la fenêtre d'un train ou en voiture oblige quand même à être en contact avec lui.  L'avion peut faire traverser des distances considérables en quelques heures, pratiquement sans contact avec le territoire.  Vous quittez Montréal emmitouflé dans votre manteau d'hiver et vous débarquer dans un pays du sud à 30°C.  Entre les deux, le territoire est inexistant pour les passagers de l'avion.  On l'observe depuis un hublot, vaguement, mais on en a pas conscience comme tel.  Le temps de déplacement devient donc une bulle qui permet de se déplacer d'un endroit à un autre... sans faire de lien entre eux.  L'avion crée donc des non-territoires que l'on survole, sans jamais être en contact avec eux.  Ces zones sont rocailleuses, luxuriantes, pauvres, violentes, en pleine catastrophe, resplendissante de prospérité, des merveilles de la biodiversité, complètement polluée?  On ne saura rien sur elle, comme si elle n'existait dans les faits, pas.

Je me permets ici de faire craquer mes doigts de satisfaction avant d'entamer la partie la plus agréable de mes billets sur la géographie.  Le lien avec la fiction.  La façon de se déplacer sur un territoire influence la façon dont on perçoit celui-ci.  Penser à Star Trek.  L'Enterprise se déplace à travers l'espace en utilisant une technologie qui lui permet de «sauter» d'un système solaire à un autre, créant ainsi une série de territoires morcelés, entre lequel rien ne semble exister... et dans lequel le téléspectateur.trice serait vraiment largué d'essayer de les situer sur quelque chose ressemblant à une carte.  C'est comme se déplacer en avion parmi les étoiles...  Dans la vaste majorité des romans de fantasy, on se déplace à pied ou à cheval.  Les obstacles sur la route des héros et héroïnes deviennent partie prenante de l'histoire: on y vit des détours d'intrigues, des obstacles, des deuils et des victoires.  La route elle-même, partie prenante du territoire, devient une raison d'être du récit.  Pensez à Frodon et à son anneau...  Dans ce cas, le déplacement dans le territoire est pratiquement le récit à lui tout seul!  Si on se déplace à cheval, le territoire sera vu uniquement par les zones accessible par ce moyen de transports.  Si on se déplace en vaisseaux spatiaux, les limites seront moins nombreuses, mais on verra davantage certaines zones comparées à d'autres.  Et dans ce cas, le ciel deviendra un territoire, alors que pour les cavaliers, il ne l'est pas. 

Bref, bonne trotte tout le monde, peu importe votre moyen de transport!

@+! Mariane

jeudi 6 août 2020

Binti de Nnedi Okorafor

Binti  Nnedi Okorafor  Tor publishing  90 pages



Résumé:
Binti quitte tout, famille, amis, tribu pour se joindre à la prestigieuse université Oomza, première des siens à rejoindre cette élite de chercheurs sur une lointaine planète entièrement dédiée à la recherche.  À 16 ans, elle croit avoir tout à prouver au monde, elle qui est destinée à être une maîtresse de l'harmonie parmi les siens.  En route, son vaisseau spatial croise la route d'une autre espèce, les Méduses, qui eux aussi veulent se rendre à Oomza, mais pour une raison très différente: la vengeance.

Mon avis:
Ce livre, c'est au départ un pied de nez à une vision occidentalo-centrée de la science-fiction: son héroïne principale est une adolescente appartenant à une ethnie africaine appelée Himba.  Et ne vous méprenez pas, loin d'être représenté comme des chasseurs-cueilleurs vivants dans la brousse, son peuple est décrit comme des inventeurs de technologie à la fine pointe et Binti elle-même est une brillante mathématicienne.  Assez pour être acceptée dans une université située sur une autre planète qui ne recrute que l'élite... et de faire en sorte de prendre la navette de départ, même si sa famille s'y oppose.  Ancrés dans leurs territoires ancestraux, ceux-ci ne les quittent pas.  Binti fait donc un geste d'indépendance, mais elle sait que cela aura des conséquences.  Et elle le fait en toute connaissance de cause. 

L'intrigue en elle-même n'est pas révolutionnaire, mais elle est bien amenée.  En cours de route vers l'université, le vaisseau accueillant Binti est attaquée par une espèce appelée les Méduses, qui grosso modo, ressemblent bien à des méduses, avec leurs tentacules.  Le coeur du livre est la relation que Binti tissera avec cette espèce étrange qu'elle réussira à comprendre, malgré les barrières de langue.  La façon dont l'auteure tisse son histoire sur ce point est particulièrement bien réussie à mes yeux.  Binti devra donc, utilisant ses propres capacités, mais aussi l'apport de sa culture et de ses origines, trouver une solution à la crise qui s'annonce entre l'Université et les Méduses.  La façon dont elle s'y prend ne renouvelle pas non plus le genre, mais encore une fois, c'est très bien fait.

L'un des aspects les plus intéressants du livre est l'apport de cette importante différence culturelle que porte l'héroïne.  Soyez clairs: y'a pas de blancs dans cette histoire.  Et d'une certaine façon, ça fait du bien!  Beaucoup d'aspects de l'univers matériel et mental de l'héroïne sont donc teintés par cette culture, entre autre l'otjize, un mélange dont les femmes de son ethnie s'enduise le corps et les cheveux et qui jouera un grand rôle dans l'intrigue.  Ses cheveux (dans lequel elle tresse du code informatique!), sa manière de parler, de s'habiller, tout lui donne un autre regard sur le monde et l'auteure utilise cette vision différente de manière très intelligente:  elle sert à donner une autre tonalité à une histoire qui a été déjà mille fois racontée en SF.  J'ai deux minuscules points négatifs: de un, l'obsession de Binti de ses chances de mariage et de deux, le fait que l'auteure insiste tant sur ses origines.  La ligne est mince entre, ceci est au coeur de la vie de mon héroïne et regarde comme elle est différente!  De mon point de vue, elle a légèrement trop basculé dans le deuxième, mais c'est une question de goût.

Mon premier livre de SF afro-futuriste et une très belle découverte!  Je vais relire cette auteure, c'est sûr.

Ma note: 4.5/5

lundi 3 août 2020

Fouillé, retourné dans tous les sens

Salut!

J'ai adoré la série Altered Carbon.  Si vous ne l'avez jamais vu, pitchez-vous sur la première saison.  Si je résume très grossièrement l'intrigue: l'idée principale est que le corps n'est plus lié à l'esprit, aux souvenirs, à la mémoire, à la volonté et qu'on peut prendre conserver tout ça et...  les mettre dans un autre corps.  La série s'amuse ensuite à imaginer toutes les possibilité qu'offre une telle technologie (car on parle ici de sf et non de fantastique, les «piles» qui permettent le transfert n'ont rien de magique).  Et si on met le contenu de la pile dans plusieurs corps?  Et si on peut faire des sauvegardes et simplement transférer le contenu de la pile dans un nouveau corps (idéalement cloné dans la série)?  Et si il n'y avait plus de limite à la durée de la vie humaine?  Et si on mettait une femme dans un corps d'homme ou vice-versa?  Et si on oubliait la pile de quelqu'un dans un tiroir pendant trois cent ans?  Et si, et si, et si?

Altered Carbon le fait magnifiquement bien, dans le sens que la série explore en détails toutes les ramifications des possibles, mais surtout leurs implications sur la psychée humaine.  L'histoire a lieu dans un avenir qui sous certains aspects nous semblent cauchemardesques, mais où d'autres semblent intéressants... pour qui en a les moyens.  Et à force d'explorer les et si, elle en dégage des questions existentielles qui en valent la peine et font réfléchir la personne assise devant la télé.  En autant qu'elle ne soit pas déjà endormie devant un xième épisode.

La Sf est la reine des genres qui prend une idée, la regarde, puis se met à essayer, tester, retester, démolir, reconstruire tous les aspects que ce sujet peut comporter.  C'est ce qui la rend fascinante et tellement pertinente. La SF prend une idée, un concept et multiplie les, et si?  Et si l'être humain pouvait voyager partout dans l'espace (Star Trek), si on pouvait créer la vie à partir de la mort (Frankeinstein), comment vivrons-nous avec des robots (Le cycle des robots), pourrait-on les aimer (I.A. Intelligence artificielle)?  Et encore, je ne donne qu'un échantillon extrêmement limité du genre.

Chacune de ces oeuvres a exploré son concept, à sa façon.  Par les réflexions de son personnage principal sur ses actes (Frankeinstein), par de multiples aventures (Star Trek), par une relation porteuse (Intelligence artificielle), en créant des règles du jeu et en s'amusant à essayer de les outrepasser (Le cycle des Robots).  Chacune de ces méthodes est valide.  Et j'en aie sûrement oublié.  Mais l'idée derrière est la même: prendre un concept, le retourner dans tous les sens et se demander, et si je fais ça et ça et ça, qu'est-ce que ça donnerait?  Et faire une histoire avec le résultat de toutes ces réflexions.  

Je crois aussi que c'est l'une des raisons pourquoi certaines oeuvres de SF sont si marquantes, alors que d'autres non.  Star Trek a eu de nombreux successeurs, dans le sens que les émissions de space opera dans son sillage ont été nombreuses.  Le facteur nouveauté n'est pas à négliger, mais si certaines séries sont passées à l'oubli plus vite que d'autres, c'est qu'elles ont été innovantes dans la façon de multiplier les et si.  Ces séries, même située dans un sous-genre proche, exploraient d'autres questions: Babylon 5 parlait de la cohabitation humain extra-terrestre dans une station spatiale (et si ça existait, ce serait quoi?), comme Deep Space Nine, mais celle-ci abordait aussi les séquelles d'une guerre (et si la paix revenait, comment ferait-on pour vivre l'après entre des espèces différentes?).  The Expanse est centrée sur notre propre système solaire (qu'en sera-t-il quand on l'aura exploré et colonisé?).  Arthur C. Clarke a de son côté exploré l'idée de visite de vaisseaux spatiaux venus d'ailleurs dans Rama (et si ça arrivait, on ferait quoi?).  Je pourrais encore faire une longue liste d'oeuvre...

La beauté de la science-fiction c'est que c'est dans sa nature de poser des questions, de tester, d'inventer, mais ayant la spécificité de pousser les concepts à leurs limites.  Quand elle le fait (et elle ne le fait pas tout le temps), les résultats peuvent être incroyables et ouvrir de nouveaux horizons.  Tout ceci en prenant une simple question de départ et en la poussant à ses limites.

@+ Mariane