jeudi 23 juin 2022

Lud-en-brume de Hope Mirrless

 Lud-en-brume Hope Mirrless  Le livre de poche  419 pages


Résumé:

Trois siècles plus tôt, les bourgeois de Lud-en-Brume, riche cité commerciale, ont chassé les anciens Ducs et ont établi une république. Leurs descendants se sont depuis fort ramollis. Maître Nathaniel Chanteclerc, actuel maire, en est la preuve vivante: plus préoccupé de dégustation de fromage et d'alcools fins que de la chose publique, il ne se préoccupe pas assez de son fils Ranulph, jusqu'au jour où celui-ci montre des réactions étranges, semblables à celles de ceux qui ont mangé un fruit de la Faërie. Ce royaume à l'ouest, tabou depuis le départ des ducs, dont on nie même l'existence.  Sauf quand il s'agit des fruits maudits, bien sûr.

Mon avis:

Sans être un chef-d'oeuvre, ce livre mérite sa place dans toutes les bibliothèques des amateurs de fantasy. Publié dix ans avant Bilbo et la mise en place des canons du genre, il est iconoclaste, inclassable et diaboliquement bien mené. On est dans le fantasy, nul doute là-dessus. Mais sans respecter aucun des codes, aucun des tropes du genre. Donc, à la fois intelligente, inattendu et.. frustrant dans une certaine mesure, parce que l'auteure nous mène là où on ne s'y attend pas.

Maître Nathaniel, anxieux, bien ancré dans ses pantoufles et fort peu porté à l'aventure ne correspond pas du tout au héros traditionnel du genre, mais justement, cela ne le rend que plus intéressant. Alors que d'autres auraient pris l'intrigue qui anime le livre à bras le corps, il est au départ désemparé et multiplie les erreurs. Le courage ne lui viendra qu'après la disparition de son fils (pas de sa fille hein! grmpf!). Le récit est donc une enquête, plus qu'une quête. Mais au travers de cette enquête, l'auteure se permet un récit à la fois sociologique et historique.

Parce que le récit porte sur la réalité: celle que l'on croit qu'elle est, celle que l'on voudrait qu'elle soit et celle qui platement, existe, peu importe le nombre de mensonges et de faux-semblants auquel on lui ajoute. Il y a une certaine mise en abîme de ces trois niveaux de réalité. Et ce qui est intéressant, c'est que ce ne sont pas tous les personnages qui le comprennent au même rythme. Donc, il y a une mise en abîme entre ceux qui ont compris et ceux qui ont encore à comprendre. L'intelligence du texte consiste à faire de constants allers et retours entre les personnages et leurs différentes visions du monde. C'est déboussolant, décoiffant, mais, c'est diablement intéressant.

La fin a le malheur d'être abrupte, comme si à un moment, l'auteur n'avait plus eu envie d'écrire cette histoire. De larges pans sont laissés dans l'ombre. C'est regrettable, mais en même temps, c'est ainsi. Néanmoins, le livre nous laisse en tête avec un concert de riches descriptions de la nature, de la vie et l'envie de nous demander, comme dans la Matrice: est-ce que j'ai pris la pilule bleue, finalement?

Ma note: 4.5/5

lundi 20 juin 2022

Résolution de problème et description

 Salut!

Dans ma vie de tous les jours, je ne suis pas une blogueuse à temps plein ni une écrivaine professionnelle. Loin de là! J'ai comme tout le monde un boulot qui sert à payer le loyer et à remplir les bols de croquettes. Dans la vraie vie, je travaille depuis des années en support logiciel. Je ne travaille pas pour le grand public, j'ai toujours été dans des domaines spécialisés, donc, avec des clients qui reviennent souvent. Et que je me casse régulièrement la tête à savoir comment expliquer à des gens pas pros de l'informatique du tout comment fonctionne un logiciel.

Ne vous y méprenez pas, c'est tout un art! Un logiciel c'est comme une réaction en chaîne... mais où on peut prendre à gauche ou à droite à tout moment. Un peu dans ce genre-là. On part dans une direction, il y a une croisée des chemins, on prend à gauche, une autre croisée, on prend à droite, etc. Et au final, on arrive au bon endroit. Mais répétez ça des milliers, des dizaines de milliers, parfois même des millions de fois. J'utilise une image, mais le processus se fait en quelques centièmes de seconde. Alors que pour un être humain normal, multiplier 56 par 87 et diviser par 7 peut prendre pas mal de temps (mes chances de remporter une médaille d'or à cette discipline sont infimes!), un ordinateur le fait en moins d'un claquement de doigts. Multipliez ça par des millions de milliards d'opérations chaque jour.

Sauf que...

C'est tellement gros que la plupart des gens ne comprennent pas au juste ce que fait leur logiciel. 

Alors, il faut utiliser un bon vieux truc de l'humanité: une métaphore. Un exemple, une histoire, un personnage, une anecdote, une allusion, une image, utilisez tous les synonymes possibles, mais ça prend quelque chose de concret pour faire comprendre ce que fait votre PC ou l'internet. J'ai déjà expliqué le principe des tâches planifiées avec un gars qui se faisait réveiller chaque jour à la même heure pour faire un seul boulot... avant de retourner dormir.  Bref.

Ça prend de l'imagination, de la suite dans les idées et aussi une bonne capacité de vulgarisation. Mais il me semble que c'est aussi une bonne école pour les descriptions. Pas nécessaire des descriptions de lieux, ni de décor, ni d'atmosphère, mais des descriptions de concepts. Une station spatiale, ça peut aussi être une série de canettes reliées par des pailles, l'idée étant de faire comprendre l'assemblage de modules dans l'espace. Une espèce extraterrestre, un essaim d'abeilles de la taille de VUS, ce qui donne pleine d'images d'insectes géants, mais aussi l'idée de la différence profonde entre nos gentilles abeilles et ces extraterrestres. Une nouvelle forme de vie, une espèce de mousse phosphorescente, parce que voyez-vous, la vie sur Terre est une chose, mais ailleurs, ça peut être tellement différent! L'idée n'est pas que la personne qui reçoit l'information, lecteurice ou utilisateurice, comprenne tout le processus, mais qu'il ou qu'elle ait une image mentale suffisante pour saisir l'essentiel. Non, une tâche planifiée, ce n'est pas un gars qui dort en attendant une alarme, mais l'image nous dit ce qu'il y a à savoir: tant que l'alarme ne sonne pas, rien ne se passe. Et si la personne a compris ça, c'est l'essentiel.

Bref, je fais des liens entre mon boulot et ma passion. Et c'est vraiment intéressant que je pratique l'un quand je fais l'autre.

@+ Mariane

lundi 13 juin 2022

De la nécessité d'être curieux ou les bulles numériques version livres

 Salut,

On parle souvent de bulles numériques. C'est l'effet tunnel des réseaux sociaux. À force de ne se faire offrir que ce qui nous plaît, on s'enfonce dans des bulles de gens qui nous ressemblent, pensent comme nous, aiment les mêmes choses, etc.  On oublie qu'il existe ailleurs des gens qui pensent différemment ou encore on en vient à les considérer comme des «ennemis». Ça s'appliquer à tout, de la politique, aux religions, aux goûts musicaux aux... goûts en matière de livres. Ben oui, même là, ça s'applique aussi!

Évidemment, les réseaux sociaux ne sont pas responsables de tout. Il y a aussi le marketing qui entre en jeu. Et là-dessus, toutes les maisons d'édition du monde vous le diront, créer un lectorat fidèle qui les suis de publication en publication vaut de l'or. Pour ça, plusieurs sont prêtes à mettre le paquet: réseaux sociaux, bien sûr, mais aussi rencontres avec leurs auteurices, événements spéciaux, primeurs, etc. À cela s'ajoute l'effet des sites internet de librairie, qui multiplient les Vous avez aimé ceci, vous aimerez cela! qui tourne souvent autour d'un petit nombre de titres. Les bulles des forums de lecteurices ont un peu le même effet, surtout s'ils ne concernent qu'un genre: les lectures des membres les plus actifs ou les plus populaires seront davantage lues que les autres. Ce qui mène un certain nombre de lecteurice à s'enfermer dans une bulle de genre, d'éditeurs, voir de collection. 

Et on oublie. Qu'il existe autre chose ailleurs. On peut même penser que l'on connaît tout étant donné que l'on connaît une petite parcelle de l'univers littéraire sur le bout des doigts. Je ne le sais que trop: en librairie, il y avait des lecteurices qui se présentaient en disant qu'ils connaissaient tout de tel ou tel genre. Et j'arrivais toujours, toujours à les étonner. À leur sortir une nouveauté inconnue, un auteureurice dont ils n'avaient jamais entendu parler, un roman à la frontière de leur genre favori qui était passé sous le radar. Aujourd'hui, j'en serais sans doute incapable, du moins, pas avec autant de facilité. Parce que je ne suis plus libraire depuis plus d'une décennie, mais aussi parce que je ne suis plus autant l'actualité des livres qu'avant.

On peut avoir l'impression de tout connaître, mais c'est rarement le cas. Les plus grands spécialistes d'un genre littéraire ou les éditeurs le savent bien: leur connaissance de la totalité de ce qui paraît, ne serait-ce que dans une seule année, est limitée. À une époque, c'était possible de tout suivre, mais plus aujourd'hui. Il se publie des milliers de romans chaque année, même en se concentrant sur un genre précis, on ne peut pas tout lire et même parfois, être au courant de tout ce qui se publie.

De là l'idée de créer des bulles de lecteurices pour les fidéliser. Ce qui n'est pas une mauvaise idée en soi pour les éditeurs ou les sites internet, mais je ne suis pas sûre que cela soi une très bonne idée pour les lecteurices: on devient vite paresseux quand on nous sert tout le temps le même menu sur lequel on a presque pas à réfléchir. Et on oublie que pas plus loin que le bout de son nez, la découverte existe. Mais comment intéresser quelqu'un à quelque chose de différent, de nouveau, quand il est bien installé dans ses pantoufles littéraires?

Il y a une dizaine d'années, j'ai eu une vive discussion avec un lecteur qui dévalorisait le métier de libraire, disant que s'il avait besoin de suggestions de lecture, il n'avait qu'à demander à ses amis ou à son réseau. Je lui avais dit qu'il n'arriverait jamais à un aussi bon résultat qu'avec un libraire parce qu'un seul en connaissait plus que tous ses amis réunis. Fier comme un coq, il m'avait obstiné que non. Je pense parfois à lui quand je pense aux bulles numériques. On n'en parlait pas encore à l'époque, mais je ne peux m'empêcher de me demander aujourd'hui: et ce type aujourd'hui, dans quelle bulle il est? 

Mais surtout: est-il capable d'en sortir s'il pensait déjà à l'époque qu'une poignée de copains sur le web en savait plus qu'une personne passant ses journées en contact avec les livres?

@+ Mariane

lundi 6 juin 2022

Je comprenais Frodon et je n'en aimais que plus l'histoire

 Salut!

Je me rappelle d'être allée voir le film au cinéma. Le troisième Seigneur des Anneaux, la conclusion de la saga. Et là, au dernier moment, celui où Frodon n'a plus qu'à ouvrir la main pour laisser tomber l'Anneau dans la lave pour le détruire, l'instant ultime où il n'y a qu'un minuscule geste à faire pour que l'aventure que nous suivons depuis des heures se termine.. Frodon dit Non et passe l'Anneau à son doigt.

J'ai entendu le ahhh!!!! de toutes les autres personnes dans la salle, le glapissement de Non, ne fait pas ça Frodon! Et je l'ai fait aussi! Comme une grande inspiration qui m'a pourtant complètement coupé le souffle.

Mais en même temps, au plus profond de mon coeur, je le comprenais. Ce petit hobbit à la vie toute simple, chargé d'une mission trop grande pour lui, qui a résisté si longtemps au pouvoir de l'Anneau. Et au dernier moment, après toutes ces épreuves, après tous ces sacrifices, il cède. Je l'ai compris comme toutes les autres personnes dans la salle de cinéma ce jour-là.

Sauf que:

C'est parce que l'on a enduré aux côtés de Frodon toute la torture auquel l'Anneau le soumet qu'on le comprend.

C'est parce que l'on a vécu, tremblé, souffert à ses côtés qu'on le comprend.

C'est parce que l'on sait la puissance du pouvoir de l'Anneau, entre autres grâce à Gollum, qu'on le comprend.

Qu'on le comprend au dernier moment de céder.

On s'est attaché à Frodon, à son cheminement, à sa lutte, qui contrairement à celle de tout autre personnage dans la trilogie, en est une de combat intérieur. Tout du long, Frodon lutte  pour garde le contrôle qu'il a sur lui-même et pour empêcher l'Anneau de prendre le pouvoir sur lui. Ceci veut dire des couches et des couches d'histoire, qui est représentée par des anecdotes, des détails, des petits moments, des gestes, des réactions, d'infimes détails, mais qui nous disent: voilà où Frodon en est rendu face à l'Anneau.

C'est parce que l'on s'est attaché à Frodon que l'on embarquait à fond dans son périple. On vivait son histoire, à ses côtés. Et c'est là l'important: on s'était attaché à lui. Comme à Aragorn, comme à Gimgli, comme à Legolas, comme à Gandalf. Comme à Gollum même d'une certaine façon. Pas qu'on les aimait nécessairement, mais leur histoire nous importait parce qu'on les connaissait.

On dit souvent en parlant d'une bonne histoire que l'on a adoré l'intrigue.  Mais c'est souvent en parlant des personnages, en décryptant leurs comportements, leurs attitudes et leurs actions que l'on entre dans le coeur de l'oeuvre. Qu'on les aime ou qu'on ne les aime pas, on trouvera toujours une histoire meilleure quand on s'est attaché à leurs protagonistes et même à leurs antagonistes. Un méchant que l'on comprend est toujours meilleur qu'un méchant à la sauce James Bond des années 60 qui veut juste détruire le monde, car il est un mégalomane fini. 

Pour s'attacher à quelqu'un par contre, il faut un personnage qui ait une personnalité. Un passé, mais aussi quelqu'un dont les actes sont cohérents tout au long de l'histoire, quelqu'un qui agit et qui réagit, pas quelqu'un dont on a l'impression qu'il est une marionnette dont l'auteurice tire les ficelles pour mener à bien l'histoire qu'il a imaginée. On voit Frodon évoluer tout au long des trois tomes de l'oeuvre de Tolkien. De simple hobbit menant une vie prévisible et surtout préoccupé par la bonne bière et l'herbe à pipe, on le voit quitter sa zone de confort, partir dans une aventure qu'il n'a pas choisie, affronter des épreuves, perdre des amis, ne plus savoir à qui faire confiance. On le voit souffrir, on le voit faiblir, douter, hésiter, foncer. Mais jamais on a un truc qui tombe de nulle part qui fait en sorte qu'il céderait à l'Anneau comme ça parce que ça lui chante un matin. Frodon est une personne de papier, mais une personne quand même.

Et c'est ça qui est le plus important. On aura beau avoir un univers riche à foison, une intrigue palpitant, de multiples rebondissements, si on n'arrive pas à connecter avec les personnages, la sauce ne prendra pas. C'est bien dommage, mais il est toujours plus intéressant de suivre des personnages qui vivent une histoire que de suivre une intrigue où vivent des personnages. 

@+ Mariane