lundi 26 juillet 2021

Gaslighting, complexe d'Oedipe et autres psychologies littéraires

 Salut!

    Récemment, en faisant quelques petites recherches, j'ai découvert l'origine de l'expression gaslighting: ça vient d'une pièce de théâtre publiée en 1939 écrite par l'auteur Patrick Hamilton.  On y raconte l'histoire d'une femme, Bella, qui se rend compte que les lumières au gaz de son appartement diminuent d'intensité à certains moments de la journée.  Quand elle en parle à son mari (qui est toujours absent au moment des faits), il nie la situation et prétend qu'elle imagine des choses.  Il lui sert la même réponse quand elle croit entendre des bruits de pas dans l'appartement au-dessus du leur, qui est inoccupé.  Le mari de Bella la pousse à croire qu'elle imagine la baisse de luminosité et les sons au-dessus de chez elle, alors que dans les faits, c'est lui qui ment: il monte chaque soir dans cet appartement à la recherche de bijoux laissés là par l'ancienne propriétaire assassinée (d'où les bruits de pas), allume les lumières (ce qui fait baisser la luminosité) et ment à sa femme de telle façon qu'elle doute de ce que ses sens lui disent et au final, pense qu'elle devient folle.  Le titre de la pièce?  Gaslight.  Et de là est passé dans le vocabulaire populaire l'expression gaslighting, une forme d'abus psychologique où un.e abuseur.se ment pour que la victime remette en question ses perceptions et dans les cas les plus graves, en vienne à douter de sa santé mentale.

    C'est un exemple.  La littérature est truffée de ses histoires qui finissent par devenir des termes en psychologie.  Évidement, beaucoup viennent de la mythologie grecque: le syndrome d'Oedipe et le narcissisme, en sont, pour ne nommer que ces deux exemples.  Évidemment, il y en a d'autres, mais ce qui m'importe ici est moins de faire une liste que de pointer l'idée que partout, à toutes les époques, des gens ont imaginé des histoires qui ont servi de modèle, de référence, pour que l'on soit capable de mettre un nom sur un comportement humain.  Et l'imagination humaine étant sans limite, la littérature a permis de montrer ce qui existait déjà à travers des personnages.  À défaut d'être réels, ils sont incarnés: on peut s'identifier à eux, montrer les mécanismes, les tenants et les aboutissants, les comportements et les impacts.  Et cela met aussi un projecteur sur certains détails que l'on ne remarquerait pas nécessairement dans notre vie quotidienne, parce que justement, là, on a le nez dessus, c'est de ça qu'on parle.

La psychologie est l'étude des comportements et des processus mentaux, à la fois des individus et des groupes.  Or, qui dit comportements, dit bien souvent interactions, parce que les animaux sociaux que sont les êtres humains ont besoin de ces interactions.  Comme le confinement l'a bien prouvé, nous ne sommes pas fait comme espèce pour rester enfermé chez nous pendant des semaines.  Justement, toutes les formes de narration se basent sur ces interactions, qu'elles en soient le moteur.  Et il arrive qu'un.e auteur.e vise juste: il ou elle démontre un comportement de façon si efficace que tout le monde fait EURÊKA ... et la psychologie adopte ce nom.  Pour bien des raisons: c'est plus facile de retenir une histoire qu'une liste de comportements, plus facile, de se reconnaître dans une situation qu'une description, plus facile de se projeter dans des personnages que dans une explication...

Et puis, qui n'a jamais, en lisant un livre, levé soudainement les yeux en se disant: mais oui, c'est ça!

Les psys aussi le font, la seule différence, c'est qu'ils peuvent ensuite glisser ça dans un livre savant.

@+ Mariane

lundi 12 juillet 2021

Ventes postumes

(conversation avec un grand ami libraire)

-Salut!

-Salut!

-Pourrais-tu me sortir la liste de tous les livres de Serge Bouchard s'il te plaît?

(L'ancienne libraire en moi peste encore de ne plus avoir accès à Memento)

-Bien sûr!

(et pendant qu'il pitonne)

-Vous avez dû en vendre pas mal dernièrement.

-Ouin...

Juste au ton de sa voix, j'ai compris qu'il n'en était pas particulièrement heureux.  

-Ça n'a pas l'air de te faire plaisir?

Il a poussé un long, un très très long soupir.

-Ça me fait juste chier que l'on vende autant de livres à chaque fois qu'un auteur meurt.  Les gens pourraient pas les acheter pendant qu'ils sont vivants?

Ouf, ça c'est vrai...

J'ai continué à discuter avec lui pendant quelques minutes, le temps qu'il complète ma recherche.  À vraie dire, je suis plutôt d'accord avec lui: il faut encourager les auteur.e.s quand ils sont vivants, pas quand ils sont morts.  Parce que pour créer, il faut avoir des revenus et quand bon, les morts ont quand même pas mal moins de factures à payer que les vivants.  Alors acheter un livre d'une personne alors qu'elle est en pleine période créative, c'est faire en sorte de contribuer à sa prochaine oeuvre, qui pourra nous émouvoir, nous faire rire, pleurer ou réfléchir.

Quand un.e auteur.e est mort, ben...  Cette personne ne sortira plus jamais de nouveau livre, alors, on ne nourrit pas vraiment une oeuvre créative en action.  On lit toujours un.e auteur.e que l'on aime, mais on sait en lisant chaque livre de son oeuvre que ce qui reste à lire de cette oeuvre diminue...  Ça, c'est pour ceux qui lisent parce qu'ils aiment l'écrivain.e et ses livres.

Il y a toujours un mouvement de moutons qui suit la mort de quelqu'un, quand tout le monde se précipite en librairie pour acheter ses livres.  J'ai l'impression que c'est autant une forme d'hommage qu'une façon d'apprivoiser la mort. On rend hommage en se disant, oh, il est mort, je ne peux rien y faire, rien y changer, je peux plus lui dire à quel point j'ai adoré ce qu'il.elle a fait, le seul geste concret que je peux maintenant faire, l'unique, c'est d'acheter ses livres.  On fait notre deuil aussi en achetant un livre, comme on garde un signet funéraire ou un souvenir d'une personne décédé.  On emporte avec nous à la maison une parcelle de ce que l'on a tant aimé chez elle.  Même longtemps après, on peut regarder un livre dans notre bibliothèque et se dire qu'on l'a acheté au moment du décès de son auteur.e.  Comme un geste concret que l'on peut faire.  Le même phénomène a eu lieu à la mort de rock stars: les ventes d'albums plafonnent.  Ça retombe ensuite évidemment, mais un petit tour chez le libraire, comme chez le disquaire, est souvent le seul geste concret que l'on peut faire.  C'est aussi un geste très facile, même s'il est posthume: on ne peut pas tout le temps se précipiter aux funérailles de quelqu'un qui nous a marqués d'une manière ou d'une autre.

C'est donc un phénomène très humain au fond, qui fait partie du processus de deuil.  On peut pester que de leur vivant, les créateur.rice.s n'aient pas eu droit à ces revenus, que ceux-ci vont aller à leurs proches, qu'ils et elles soient privé.e.s de cette reconnaissance face à leur travail, on peut tout dire ça.

Et on peut aussi comprendre que c'est une façon comme une autre de dire au revoir à une personne dont les mots nous ont portés sur leurs ailes.

@+ Mariane