jeudi 30 juillet 2020

Anan: 1- Le Prince de Lili Boisvert

Anan  tome 1  Le Prince  Lili Boisvert  VLB 373 pages


Résumé:
Dans un royaume matriarcal, le prince d'Anan, plus puissant royaume du continent, est promis en mariage à la reine d'Ouran en échange de leur aide contre les Inares, royaume en guerre contre Anan.  Une petite escouade de soldat triés sur le volet l'accompagne secrètement vers sa fiancée.  Car la seule route qui mène de Anan à Ouran qui n'est pas directement menacée par les Inares est un territoire occupé par des êtres étranges adeptes du cannibalisme.

Mon avis:
Oh boy...  Il y a beaucoup à dire sur celui-ci.

Première des choses, je ne comprends pas comment ce livre a pu être publié si l'on tient compte du nombre d'incohérences dans le texte, petites, moyennes et grandes.  Dans le registre des petites, il y a tout un tas de détails qui ne tournent pas rond (un prisonnier avec les mains attachées dans le dos qui doit monter une échelle de corde deux paragraphes plus loin, une archère donc l'arc apparaît toujours dans ses mains au moment opportun, mais qu'elle ne semble jamais avoir sur elle autrement, torturer quelqu'un qu'on veut faire parler dans un fort rempli de soldats endormis, alors qu'on a tout fait pour entrer discrètement, etc).  Ce sont pourtant des détails tellement visibles qu'en lisant, on lève les yeux au ciel.  Le livre en est truffé de part en part.  Dans la catégorie des grandes, il y a ce qui sous-tend l'intrigue principale du roman: pourquoi, dans un royaume où il est clairement établi au départ que la reine est élue et que ses enfants n'ont aucun droit à la couronne et aucune importance politique, conclure une alliance par un mariage entre un prince et une souveraine a-t-elle le moindre sens?  Directement en partant, il y a là une contradiction totale et un manque de cohérence.  Le livre au complet en souffre.

Ce qui pourrait aider à croire dans le reste de l'histoire, ce sont les personnages, mais eux aussi souffrent du problème de manque de cohérence.  Le personnage principal, une capitaine de l'armée, que l'on présente comme une guerrière accomplie, héroïne de guerre auréolée de gloire, a un comportement extrêmement changeant et prend toujours les mauvaises décisions au pire moment qui soit...  Ce personnage résume à lui-même beaucoup de problèmes récurrents du livre avec autant avec les personnages qu'avec le reste de l'intrigue.  L'auteure nous dit que ses personnages sont X, alors que leur comportement est A, M, Z ou Q.  Par exemple, alors que dans les premières pages, on décrit l'événement qui fait accéder la capitaine à la gloire, où sous une énorme pression, elle a su prendre une décision stratégique en quelques secondes, elle se laisse dominer par ses émotions à plusieurs reprises, toujours au pire moment, pour euh, ben, aucune raison.  Par exemple, lors d'un simple interrogatoire, qui n'a aucune importance vitale, elle laisse voir son irritation au bout de trois questions.  Elle est parfois capable d'analyser froidement des situations et au moment où elle devrait prendre les décisions les plus en phase avec son comportement précédent, elle fera le contraire.  C'est à en hurler par moment.  

Ce qui vaut pour elle vaut aussi pour l'ensemble des personnages, mais j'ajouterais un point encore plus dérangeant: on ne les connaît pas, même au bout de presque 400 pages.  Que veulent-ils vraiment, ces gens qui partent pour cette mission?  Aucune idée.  Chacun a UNE motivation, bien mince, à faire parti de la mission et leur comportement n'est en aucun cas lié à celle-ci.  On a droit à quelques bribes de leur histoire personnelle pour nous les faire comprendre, beaucoup trop tard dans le roman.  Tous semblent agir pour faire avancer l'intrigue, sans souci pour la cohérence (oui, je reviens là-dessus) de la personnalité de chacun.  Ce sont des marionnettes qui vivent une aventure, pas des êtres de chair et de sang.  On a donc d'énormes difficultés à s'attacher à eux.  Et on s'en fou un peu au fond si la mission réussit ou non.  Le fameux prince entre autre, sur qui tout repose pourtant, est tellement mince qu'on dirait qu'il est fait de papier de soie.

Si on penche du côté de l'écriture, c'est... assez catastrophique: l'auteure multiplie les infodumps , même dans les moments de tension, cassant son élan (on sent ici l'influence de l'écriture journalistique, ce qui n'a pas sa place dans un roman).  Elle a une tendance au tell agaçante tout au long du livre, qui nuit entre autre beaucoup au lien d'attachement avec les personnages.  Les scènes de combat sont rythmée, mais à pleurer tellement elles sont truffées d'invraisemblances.  Elle a prit la solution de facilité de changer de narrateur au gré de ce qu'elle raconte, une tendance contemporaine, mais qui ne sert pas du tout son récit.  Éparpillé entre les points de vue, on se perd et on ne gagne rien.  Par contre, je donne à la plume de l'auteure d'avoir su créer quelques moments de très bonne tension qui donne envie de tourner la page pour savoir la suite.   Le roman est truffé de rebondissements qui nous tiennent en haleine.  Plusieurs m'ont fait lever les yeux au ciel d'exaspération, mais ils étaient là.  Sans ces moments-là, j'aurais viré le livre longtemps avant la fin.

L'univers de fantasy représenté a des idées intéressantes, mais elles sont partielles ou inabouties.  C'est que l'auteure les lance en l'air... puis, comme elle l'a dit, elle poursuit son intrigue sans plus en tenir compte.  L'idée d'une reine élue est bonne, mais ne cadre pas avec le reste de l'intrigue.  L'idée d'un sénat élu qui gouverne, reléguant la reine à un poste de type présidentiel, est très bonne, mais c'est beaucoup trop secondaire à l'histoire.  La façon de fonctionner du gouvernement d'Anan est un modèle de quelqu'un qui a essayé de faire différent... mais uniquement en plaquant des trucs dans un univers, sans chercher à en voir les travers, les défauts, les impacts, bref, ce qui permet à un univers d'être réaliste.  Personne à Anan ne peut hériter de la fortune de ses parents, pas même les enfants de la Reine?  Mais alors pourquoi sont-ils comme des princes classiques de fantasy, pétris de privilèges au point d'être gâté pourri?  Leur vie n'est pas destinée à être éternellement telle quelle est pendant la période du règne de leur mère.  Alors pourquoi ne pas intégrer cette donnée dans l'intrigue?  C'est pourtant la base de la fantasy que de créer des univers et de voir comment les personnages vont interagir avec celui-ci, créant des contraintes et des possibilités.  De ce côté-là, c'est une immense déception parce que ce n'est pas du tout maîtrisé dans le livre.

L'auteure est une féministe connue et dans cette oeuvre, elle a essayé de détourner les clichés de la fantasy, mais justement, elle s'en est tenue à ça: des clichés.  Si on renverse les rôles des genres, cela peut être intéressants, mais si ce renversement est dépourvu de réflexion sur les impacts du renversement... et bien, ça fait couic au mieux et ça ne passe pas pour le reste, soit la grande majorité.  Les femmes occupent tous les postes de pouvoir?  Mais pourquoi donc on retrouverait quasiment à l'identique les mêmes structures de pouvoir classique?  Ce sont les hommes qui sont des esclaves sexuels?  Il ne suffit pas de le dire, il faut explorer l'idée, entre autre l'impact sur la vision d'eux-même des hommes.  Et quel est l'impact du matriarcat sur ceux-ci?  Ils sont admis dans l'armée, pour des postes inférieurs seulement semble-t-il, mais outre cela, ils n'ont pas l'air d'être victimes de sexisme.  Les effets sur la famille, les relations sociales sont complètement évacuées.  Ce qui entraîne, et oui, j'y reviens, de l'incohérent dans le récit.  Parce que les idées lancées à un moment ne sont pas utilisées par la suite.  Vers la moitié du livre, un personnage amorce un début de réflexion sur le sujet, mais cela dure une page à peine et le sujet n'est qu'effleuré, alors que soyons honnête, l'auteure a fait de ce renversement la base de son livre (p.176-177 pour ceux que ça intéresserait).  Cela aurait été très intéressant de l'explorer, par petites touches tout au long du livre, mais là, ça tombe à plat parce que c'est beaucoup trop dans le genre, dans ta face!  C'est comme le passage un autre personnage utilise des arguments typiques du véganisme pour justifier le cannibalisme...  C'est trop flagrant, ça ne passe pas.  

C'est pas qu'il n'y a rien dans ce roman, certaines idées sont bonnes et l'auteure a un embryon de talent, mais ceci aurait dû être la version de pré-travail du roman, pas l'oeuvre finale.  Elle est trop écartelée, trop pleines d'erreurs, pas assez peaufinée dans ses idées.  Dommage...

Ma note: 2/5

lundi 27 juillet 2020

Les dessins animés des classiques

Salut!

Quand j'étais jeune passait à la télé des adaptations en dessins animés des classiques de la littérature.  Je me rappelle en particulier de celle du Tour du monde en 80 jours, version animalière de la célèbre histoire de Jules Verne.  J'ai aussi vu des extraits (j'ai pas regardé la série au complet) de l'adaptation des Trois mousquetaires d'Alexandre Dumas et aussi d'Anne à la maison aux pignons verts.  Des dessins animés qui ont bercés mon enfance, le nez rivé à la télévision.  Quelle belle époque!

C'était une belle époque pour les dessins animés au petit écran en général.  Bon, ok, j'en regarde moins aujourd'hui, mais durant ma jeunesse, j'en dévorais beaucoup.  Je me rappelle bien sûr de quelques autres séries qui m'ont marquées qui n'avaient rien de littéraire.  N'empêche, ce dont je me rends compte aujourd'hui, c'est qu'on découvrait les classiques de la littérature au travers de ces dessins animés très bien conçus.  Était-ce exactement l'histoire originale?  Non, bien sûr, c'était adaptée en forme sérielle, conçu pour être visionnée par épisode.  Mais le coeur était là.  

Mine de rien, cette introduction aux classiques nous faisait découvrir que la littérature n'était pas quelque chose de détaché dans les airs, de compliqué ou de chiant.  Ce n'était pas un énorme pavé que l'on déposait dans nos mains, c'était des petits bonshommes qui se promenaient sur l'écran.  Bien plus facile à aborder de cette façon.  C'était la même façon de raconter des histoires que l'on connaissait, c'était juste la base des histoires qui était différente.  Beaucoup plus agréable que le style du livre original, qui pourrait nous repousser au premier abord.  Après tout, un dessin animé, pour un enfant, c'est un médium familier, direct, proche.  Les personnages étaient les mêmes, leurs histoires semblables. Certes, on inventait des péripéties pour soutenir le long terme, on sortait du cadre strict de l'oeuvre originale (oui, même pour les Trois mousquetaires!), mais on en respectait l'essence. 

J'ai retenu le message pour ma part.  Parce que j'avais été initiée aux classiques de cette façon douce, je suis ensuite tombée à pied joint dans cette littérature un peu plus tard.  Certes, mes premières lectures ont été plus ardues, le temps de s'habituer au style qui n'avait rien à voir avec ce que j'avais lu avant (la Comtesse de Ségur exceptée).  Ayant eu un avant-goût des histoires, j'ai eu moins de mal à plonger.  Et j'ai adoré.

Les classiques sont des histoires comme les autres.  Parfois, il suffit de la bonne approche pour nous les faire connaître et nous les rendre facile à apprivoiser.  Les dessins animés prouvent que même avec les enfants, c'est possible.

@+ Mariane

jeudi 23 juillet 2020

Les Contes des Frères Grimm

Contes  Wilhem et Jacob Grimm Gallimard  Folio  408 pages


Résumé:
Les contes des Frères Grimm sont deux recueils de contes publiés au début du XIXe siècle rassemblant divers contes populaires allemands de la fin du XVIIIe siècle.  

Mon avis:
Au cégep, une de mes profs avait dit que les versions originales des contes vaudrait une petite visite de la DPJ aux parents qui les conteraient à leurs enfants.  Elle n'avait pas tort.  Dans les versions originales, les méchants finissent la tête coupée, des brodequins chauffés à blanc aux pied, ou traîné par les pieds par un cheval à travers la ville.  Bref, les versions sont cruelles à souhait.  Traumatisante?  Sans doute pas pour les enfants de l'époque, habituée à des vies plus rudes que les nôtres.  Je ne pense pas que Neveu aurait été traumatisé non plus, les histoires sont bien présentées et les descriptions ne sont pas graphiques.  Par contre, il aurait baillé aux corneilles au bout d'un ou deux contes.

Les histoires racontées sont naïves et répétitives.  Plusieurs tournures d'intrigue reviennent dans plusieurs histoires, comme si elles étaient des versions très éloignées du même conte.  Si certaines histoires sont familières (Hansel et Gretel, Blanche-Neige, Le Petit Poucet), ces contes se démarquent moins dans l'ensemble.  Après tout, Disney est bien souvent passé dessus, améliorant certains points et en élaguant d'autres.  Les versions originales sont plus simples, moins enlevantes, mais comportent des détails intéressants.  L'histoire de Cendrillon par exemple, comporte bel et bien des scènes où des oiseaux l'aident à accomplir des tâches, comme dans le film animé de 1950.  La version de Peau d'Âne est également très différente de l'histoire que l'on m'a racontée enfant.  

Dans l'ensemble, les contes sont intéressants.  La traduction de l'édition que j'ai lu était très francisante et un peu agaçante (Jeannot et Margot alors que tout le monde connaît Hansel et Gretel?) et c'était une sélection de contes et non l'intégrale des contes publiés.  Parmi les oublis notables (je dirais même presque impardonnable) figure Raiponce et Le Petit chaperon rouge...  Pour le reste, ça valait le détour pour mon érudition personnelle, mais pas un incontournable.

Ma note 4.25/5

lundi 20 juillet 2020

Déboulonner les auteur(e)s

Salut!

Il y a quelques mois, j'ai entendu parler pour la première fois des mains baladeuses d'Isaac Asimov.  Bon.  Un autre.  Encore un.  Enfin, lui aussi, le problème étant surtout que je ne suis pas spécialement surprise.  Avais-je jamais entendu parler de quoi que ce soit avant?  Non.  Pas le concernant lui.  J'avais lu les allégations concernant Marion Zimmer Bradley quelques années auparavant.  J'étais déçue quand même, mais bon, c'est la vie!  Marion Zimmer Bradley avait écrit un ou deux livres qui m'avaient marquée adolescente, mais sans plus.

Et là arrive J.K. Rowling...  Ce coup-là, j'avoue, il a fait mal.  J'étais déçue, en colère, j'ai pas voulu y croire pendant un certain temps.  C'était beaucoup trop loin de ce que je connaissais d'elle, beaucoup trop loin de ce que j'avais retenu de ses livres.  C'était tellement aux antipodes que mon cerveau n'arrivait pas à faire ce grand écart.  Jusqu'à ce que je comprenne que si une auteure que j'adorais venait de se faire déboulonner sa statue, c'était par sa seule faute et rien d'autre.

Remarquez, le déboulonnage de statues est à la mode ces temps-ci.  On remet beaucoup de choses en question.  Le statut des grands hommes (je dis hommes parce que ce sont majoritairement des hommes) ne les protège plus de la vérité de leurs actes et de la nature profonde de ce qu'ils sont: pas des statues, des personnes.  Et des personnes peuvent faire des gaffes, des erreurs... et ne pas essayer de les corriger.  En faire un comportement normal, voir normalisé, même si tout le monde leur crie que ça ne se fait pas.

Le grand problème de cette question est: suis-je surprise?  En fait, non.  J'ai appris longtemps un truc sur la nature humain.  Personne n'est fait que de lumières, tout le monde est fait d'ombres et de lumières.  Quand une personne monte sur son piédestal, oh que les projecteurs se mettent sur ses forces, sur ses beautés, ses caractéristiques recherchées et enviées par la populace.  Mais personne n'est fait que de ça.  Tout le monde a ses zones d'ombres.  Dire ça est un synonyme de tout le monde a ses défauts.  Ce que J.K. Rowling nous rappelle trop crûment, c'est justement que de mettre trop la lumière sur les premières et pas assez sur les secondes risquent d'entraîner de graves désillusions.  

Les auteurs ne sont pas différents du commun des mortels à ceci près: s'ils ont du succès, on aura davantage tendance à leur ériger des statues de leur vivant, surtout en notre époque où la célébrité joue de tout.  Avant on attendait que les gens soient morts avant de leur élever des monuments.

Or, s'il y a une chose que l'histoire nous a apprise, c'est que même ça n'est pas une garantie que le métal fondu pour l'occasion ne prendra pas un jour le chemin du recyclage.  Pour le mieux, la plupart du temps.

@+ Mariane

jeudi 16 juillet 2020

Kuessipan de Naomi Fontaine

Kuessipan  Naomi Fontaine  Mémoire d'encrier  111 pages


Résumé:
Par petites touches, par petits traits, la vie dans une communauté innue.

Mon avis:
Dur de faire un résumé de cette oeuvre, parce qu'elle ne raconte pas vraiment une histoire au sens classique du terme.  C'est un assemblage de petits instants, de morceaux de vies, des histoires petites et grandes qui font la vie d'une communauté, pas nécessairement d'un individu.  Rassemblés ainsi en un seul livre, on pourrait autant y lire un collage d'instantanée de la vie que la vie d'une communauté à travers de multiples points de vue, dépendant de la personne qui lit.

Même si chacun des «chapitres», faute de meilleur terme, est court, chacun porte en eux une poésie remarquable.  Le souffle de l'auteure est remarquable, fait d'un rythme, d'une façon de raconter, qui crée des images et des impressions plus qu'elle ne décrit.  Mais c'est là que réside la beauté du texte.  Il se dégage de l'ensemble une harmonie poétique parce que chaque son, chaque mot tombe juste et crée une musique particulière à la lecture.

La chasse, la vie sur dans la communauté, les petits tracas entre voisins, jamais nommés, l'alcoolisme des uns, la résilience des autres.  Ce livre, c'est tout ça.  C'est la vie quoi.

Ma note 4.5/5

lundi 13 juillet 2020

De la géographie: Les cartes menteuses

Salut!

-Y'a rien de plus menteur qu'une carte!

L'affirmation de mon foutu prof de géographie humain avait résonné comme une claque ce jeudi après-midi-là.

Hein?  Quoi???  Une carte, mentir???  Ben non, une carte c'est un outil pour voir la réalité, que dis-je, ça nous sert à voir la réalité!  Après-tout, les cartes n'ont-elles pas été inventées pour permettre de circuler dans un territoire et donc d'être un reflet fidèle?

Je sais maintenant, avec l'expérience que mon prof avait (ouch, ça fait mal!) raison.  Une carte ne dit pas plus la vérité que son auteur n'en a l'intention.  Il y a de bons cartographes et de mauvais cartographes, bien sûr, mais ce n'est pas le seul point important.

Une carte, ce n'est pas bien différent d'un texte au fond: ça sert à faire passer un message.  Et celui qui la dessine a des outils autant que la personne qui tient une plume.  Ce sont ces outils qui font la différence quand on parle de cartographie.

(Ok, mini-parenthèse ici pour vous recommander hautement de cliquer sur les liens que je mets.  Je ne suis pas sûre de pouvoir mettre les images sur mon blogue, étant donné les droits d'auteurs, donc, je me permets de mettre les liens, mais ce sera beaucoup plus facile de comprendre ce dont je blablatte si vous avez du visuel.)

Voyons, voyons, après tout, une carte, c'est sensé représenter la réalité non?  Prenez une banale carte du monde.  Elle vous ment.  La Terre est ronde (n'écoutez pas les terreplatistes sur le sujet) et mettre un truc rond sur une surface plane veut dire déformer l'image.  Sur la plupart des cartes, comme celle-ci, le continent africain est représenté plus petit qu'il ne l'est en réalité.  Pourquoi?  Effet de la projection de Mercator, une des plus anciennes et des plus utilisée, qui est bien connu des géographes pour avoir déformé la taille de l'Afrique depuis les premiers planisphères mondiaux.  Ainsi, sur la projection de Mercator, le Groenland et l'Afrique semblent être de la même taille.  Mais si on reporte les cartes de différents pays sur la carte de l'Afrique, on constate que c'est loin d'être le cas.  J'aime aussi beaucoup cette animation qui montre les tailles réelles que devraient avoir les pays si on respectait les proportions dans une carte de Mercator.

Pourquoi alors ne pas avoir corrigé les cartes plus tôt?  Parce que ça faisait l'affaire de ceux qui les dessinaient pardi!  Les premiers planisphères mondiaux ont été dessinés en Occident vers la moitié du XVe siècle, alors qu'on avait même pas fait le tour de la planète au moins une fois.  Pourtant, ces cartes ont été utilisées pendant encore très longtemps.  Et sincèrement, ça allait dans le sens des pays colonisateurs de dire, ouais, on a pris possession d'un tout petit bout de l'Afrique, alors que les conquêtes étaient souvent supérieures au territoire national...  (Allo la Belgique!) De dire que l'Afrique était plus petite, moins importante que l'Europe et le nord de l'Amérique revenait à marcher dans le sens de la psyché collective de nombreux pays européens, alors pourquoi corriger la carte?  De nombreuses projections modernes sont plus précises, mais qui a tant envie de changer une vision du monde?  La carte, même erronée, en a façonné une représentation dont il peut être difficile de se défaire.

Je viens de donner un exemple frappant, mais toutes les cartes sont porteuses à différents niveaux de cette contradiction interne: on les pense neutres, mais elles ne le sont pas.  Autrefois, j'avais entendu dire, que lors de l'invasion du Koweit en 1991, Saddam Hussein mettait en arrière-plan de tous ses discours à la nation une carte montrant le territoire irakien et koweitien comme faisant parti du même état.  C'était carrément utiliser la carte comme outil de propagande.  Et elle l'est encore!  Récemment, j'ai vu cet article passer, comme de quoi Google manipule les cartes, selon là où on est.  Surprise moi?  Non.  Quand la politique se mêle à la cartographie, c'est sûr que ce genre de truc peut arriver.  Les cartes construisent trop notre vision du monde pour négliger cet aspect lorsqu'il est question de politique, de nationalisme ou même de propagande.  Elles sont un outil pour configurer la façon dont les gens qui habitent ce territoire se servent pour le visualiser, mais aussi pour prendre des décisions par rapport à celui-ci.  C'est puissant comme outil, une carte.

Tenez, je vous mets cette photo, celle-ci, j'ai le droit, c'est moi qui l'aie prise.

Musée des Abénakis, photo prise en septembre 2019

Ok, c'est la vallée du St-Laurent qui est sur la photo.  Mais où est l'habituelle ligne, cette frontière avec les États-Unis, qui traversent pratiquement toutes les cartes que les écoliers québécois voient, la plupart du temps pour la première fois, sur l'un des célèbres cahier Canada?  Ici, les frontières sont différentes et les peuples qui les habitent ne sont pas les mêmes.  Pourtant, cette carte, elle a déjà existé... Le seul hic, c'est que c'était à une époque où les cartographes européens n'avaient pas commencé à la dessiner.  Elle représente une autre réalité, une autre façon de voir le continent, une carte mentale différente.  Ce qui m'avait beaucoup surprise en voyant cette carte, c'est le fait que l'on soit en fait si proche de l'Atlantique, beaucoup plus proche en fait des côtes américaines que du Golfe du Saint-Laurent.  Sans la barrière que constitue la frontière, on se rend compte que les distances ne sont pas les mêmes.  Ceci n'est qu'un exemple.  Il pourrait y en avoir des milliers d'autres.

Je pourrais multiplier les exemples.  Les cartes ne sont pas fiables, elles mentent parce qu'elles ne sont pas tant destinées à représenter la vérité qu'à construire une représentation du réel.  Les frontières des États peuvent bouger selon la volonté des gens qui les dessinent, les zones agricoles ou industrielles être séparées différemment de la réalité, on peut tromper par des indications discutables.  Y-a-t-il une route ici?  Bien sûr que non, secret militaire!  (Zone 51 quelqu'un?)  Et ainsi de suite et ainsi de suite...

Et maintenant, la fiction.  Ouvrez un livre de fantasy, n'importe lequel, tant qu'il y ait une carte au début.  Cette carte est un mensonge.  C'est une projection de la vérité selon la personne qui l'a dessinée.  Si un royaume est dessiné avec certaines frontières, dites-vous que le royaume voisin de l'aura pas dessiné avec exactement les mêmes frontières, surtout s'il y a un conflit entre eux.  Tenez, prenez la carte de la Terre du Milieu.  L'une des plus célèbres.  Les frontières entre les différents royaumes y sont tracées selon la volonté de Tolkien, selon ce que lui voulait qu'on y voit.  Est-ce un mensonge?  C'est une projection de sa volonté en tout cas.  Ce n'est pas neutre.  C'est un royaume fictif, imaginaire, c'est lui qui a décidé où serait quoi, qui vivrait où, où serait les montagnes, les villes et les rivières.  Les films de Peter Jackson ont repris ces frontières, ces limites, mais ils les ont aussi transformées.  Et dans les deux cas, la carte dessinée, si on compare l'histoire avec ce qui s'y passe, n'est pas identique.  Parce que la carte est un instrument pour nous faire comprendre le monde dans lequel se déroule l'histoire, bien plus qu'une réalité.  Elle sert avant tout à configurer la façon dont on voit le territoire,

Méfiez-vous des cartes.  Même les GPS peuvent parfois vous menez dans un cul-de-sac.

@+ Mariane

jeudi 9 juillet 2020

Pour qui je me prends de Lori Saint-Martin

Pour qui je me prends  Lori Saint-Martin  Boréal  184 pages


Résumé:
Née en anglais, Lori Saint-Martin a entendu pour la première fois le français à dix ans, dans une salle de classe.  L'accès à cette nouvelle langue a été pour elle une révélation, un tournant.  À partir des langues, elle a entamé un parcours de révélations, de recherche sur elle-même, au point de changer de langue comme on change de corps.

Mon avis:
Le sujet d'une anglophone qui choisit de changer de langue pour le français m'a attiré dans ce livre, mais ce serait tellement réducteur de dire qu'il est seulement ça que j'ai hésité à commencer ma critique en le mentionnant.  Voilà, c'est fait.  Maintenant, ce livre a tant de richesses et de profondeurs que ce n'est finalement pas ce que je garde de cette lecture.  Au contraire, il est tellement fait de richesses et de beauté que cela dépasse largement le sujet premier.

L'auteurice écrit comme van Gogh peignait: par petites touches de couleurs vibrantes, éclatantes.  C'est sa vie qu'elle nous raconte de cette façon, le sujet est clairement établi depuis le début.  Elle raconte en zig zag, revenant sur des événements, passant de l'un à l'autre, sautant quelques années, revenant sur un sujet, parlant d'un autre à l'avance.  Elle joue avec la ligne chronologique, nous emmenant dans une danse, sa danse.  Sa maîtrise des mots de la langue française est à faire rougir des locuteurs natifs: elle a le sens du mot juste, de l'expression tombant avec grâce et son livre est autant un récit qu'une confession, une invention littéraire qu'une autobiographie romancée.  On joue dans toutes ces nuances à la fois et de manière grandiose.

Car à sa danse des langues (elle en parle couramment trois, anglais, français et espagnol) se mêle une danse de l'identité.  Elle raconte qu'à l'âge tendre de dix ans, quand elle a entendu parler pour la première fois le français, elle a eu l'impression de respirer pour la première fois.  Elle a par la suite tout fait pour apprendre cette langue qui la fascinait, mais cet apprentissage, ce départ vers une autre langue a aussi été synonyme d'un départ vers autre chose que le milieu ouvrier d'où elle provient.  Et à travers l'exploration de la langue, vient celle de sa propre identité.  Elle ira jusqu'à changer son nom de famille pour mieux épouser celle qu'elle souhaitait.  Elle a trouvé son nouveau nom dans un bottin téléphonique, dans la ville franco-française de Québec au milieu des années 1980 et l'a adopté, rejetant son héritage pour mieux se recréer elle-même.  Tout au long de son parcours, elle montre qu'elle a utilisé la langue, les langues, pour se réinventer. se chercher et se trouver.

On la suit dans sa découverte des mots, des gestes de la langue, de sa tentative pour parler tellement bien que personne ne saurait d'où elle venait.  De se glisser dans la peau d'une autre à travers la langue.  De ses enfants, qui vont la réconcilier avec sa langue maternelle.  De sa soeur qui lui donnera à sa mort l'impulsion et le courage de se lancer à corps perdus dans sa troisième langue, l'espagnol.  Et de l'allemand, qu'elle se découvre comme langue perdue.

Quête d'identité, quête de langue, tout se mêle dans ce livre, mais c'est aussi une fête des mots.  

Un très gros coup de coeur!

5/5

lundi 6 juillet 2020

Cette chère comtesse...

Salut!

Dans mes premiers souvenirs de lecture, il y a cette série de livres à la couverture rose cartonnée qui traînaient dans mon garde-robe, attendant que je sache lire.  En fait, mes souvenirs parlent de deux séries.  L'une était la favorite de ma mère alors qu'elle avait le même âge, la série des Sylvie.  J'ai lu environ trois pages de l'un des romans, je n'ai pas accroché et j'ai mis de côté ces livres-là.  Ma mère n'a rien compris à l'époque pour mon manque d'engouement envers sa série fétiche.  Non, les livres que j'ai dévoré, au point d'en faire quasiment une obsession, ce sont les romans de la Comtesse de Ségur, ceux de la collection de la Bibliothèque rose.

Ceux-là!  Source de l'image, ici


C'est bizarre, j'avais presque oublié la Comtesse.  Après tout, j'ai lu toutes ses oeuvres avant d'entrer au secondaire et même à la fin du primaire, je m'en étais éloignée.  Mais entre l'âge d'environ huit à dix ans, j'ai dévoré les uns après les autres les romans de cette série.  Les petites filles modèles, bien sûr, mais pas que.  J'ai dévoré les autres livres, L'auberge de l'ange-gardien, Le Général Dourakine, Les malheurs de Sophie , Les vacances et bon, en fait, je les aies presque tout lus...

J'aimais ces histoires, avec les dialogues intercalés entre les paragraphes de description.  Aujourd'hui, je trouve la mise en page plus proche du théâtre que du roman, mais à l'époque et comme tous les livres nouveaux que je lisais, c'était ma référence, mon modèle et je lisais tous les autres livres à la hauteur de celui-ci.  J'adorais aussi ses longues listes de descriptions, quand elle décrivait avec soin le trousseau d'une poupée  (le trousseau est l'ensemble des vêtements et literie que possède une poupée, n'est-ce pas chou comme expression?).  J'aimais ses situations nettes, ses caractères tranchés entre les bons que l'on adoraient et les méchants que l'on détestaient.  Entre eux, les repentis, qui passent du camp des méchants à celui des gentils, transfuges d'une autre époque.

Le charme de ses romans quand j'y repense est surtout suranné.  C'était une autre époque, d'autres gens, une autre mentalité, mais surtout, une autre conception du monde.  Elle a bercée mes souvenirs de lecture à un âge où on lit tout ce qui nous tombe sous la main quand on aime lire.  J'ai traqué les exemplaires qui manquaient à ma collection dans les ventes de garage et les autres endroits où l'on trouvait des livres usagés, harcelant mes parents dès que je trouvais un exemplaire manquant à ma collection.  Elle doit en ce moment dormir quelque part dans une boîte chez eux, tranquilles dans leurs couvertures roses.  Il ne doit manquer qu'un ou deux tomes à cette intégrale, la moitié étant dans un état extraordinaires et les autres ayant affrontés les tempêtes de la vie.  Tout dans ses livres est relié aux souvenirs de l'enfance.

En fait, j'avais presque oublié la Comtesse.  Elle était cachée dans un coin de mon esprit, calme et sage comme l'une de ses petites filles modèles.  Elle a resurgit au travers de ma passion des balados, quand une émission d'une heure lui a été consacrée.  Et avec elle, une myriade de souvenirs sont remontés à la surface.  Et ce sont de bons souvenirs, quoique la morale qu'elle défend est à milles lieues de celles que j'ai aujourd'hui en tant qu'adulte.

La Comtesse m'aura quand même ouvert toutes grandes les portes de la littérature, aura été le pont entre les albums et les livres, à cheval entre les deux avec ses couvertures cartonnées et ses illustrations aux quelques pages.  D'autres livres, d'autres auteurs auraient pu jouer ce rôle, mais c'est elle qui l'a tenu.  Je l'ai remercie.

Merci pour tout, Madame la Comtesse de Ségur.  Sachez seulement que maintenant, vos livres qui m'ont tant émerveillés n'ont été que les premiers pas que une route que je parcours encore avec joie, même aujourd'hui.  Merci d'avoir ouvert la porte, mais merci aussi de m'avoir permis de m'éloigner de vous sans remords et de rester dans mes souvenirs d'enfance comme un magnifique soleil de printemps.

@+ Mariane