jeudi 25 février 2021

Le voyage dans le passé de Stefan Zweig

 Le voyage dans le passé  Stefan Zweig Le livre de poche 177 pages


Résumé:
Louis est un jeune homme qui s'est tiré de la pauvreté à la force du poignet.  Entré dans une grande entreprise où il s'est taillé une place de choix, il est forcé de s'installer dans la demeure de son riche employeur malade, à titre de secrétaire particulier, retrouvant ce qui est pour lui son statut de pauvreté.  Comprenant instinctivement sa situation, la femme de son employeur fait tout en son pouvoir pour le mettre à l'aise, mais ce faisant, ces deux êtres lient une amitié qui lentement se transforme en amour.  Lorsqu'un an plus tard, il est chargé d'un important projet de l'entreprise, les deux amoureux en viennent presque à devenir des amants, mais se refusent l'un à l'autre avec une promesse: lorsque l'on se reverra, ce sera oui.  Mais plutôt que les deux années prévues, neuf années vont passer sans qu'ils se revoient.

Mon avis:
Lire du Stefan Zweig, c'est plonger dans toutes les nuances d'un orfèvre du sentiment amoureux.  Ce texte ne fait pas exception.  Loin des coups de foudre, cette histoire-ci est un lent apprivoisement entre deux êtres issus de milieux très différents, mais avec des personnalités et des intérêts communs qui les uniront au-delà des différences.  C'est aussi l'histoire d'une grande passion qui dure dans le temps avec en trame de fond la question: l'amour peut-il résister au temps et à l'éloignement?

De la première rencontre aux retrouvailles, c'est l'histoire de cet amour-passion dévorante que Zweig raconte, avec la part de lumière et la douleur, mais aussi tous ces petits allers et retours entre les deux personnages, ces coups d'oeil, ces expression du visage qu'on déchiffre, ces petits gestes qui ont beaucoup de sens, parce sur le moment, parfois après coup.

La plume de Zweig est comme toujours magnifique, tout à fait adaptée à l'histoire qu'il raconte.  Il a l'art de faire de superbe images qui nous montre les sentiments des personnages en utilisant les objets, les décors autant que les dialogues.  Sa plume est à la fois un écrin pour l'histoire et un révélateur des émotions que les personnages eux-mêmes de sont pas encore capable de comprendre.  C'est là une bonne partie du sommet dans l'art de Zweig et si ça couvre toute son oeuvre, je trouve que c'est particulièrement réussi dans cette novella. 

Bref, mon premier coup de coeur de 2021!

Ma note: 5/5

N.B. L'édition au Livre de poche contient aussi l'édition originale en allemand.  

lundi 22 février 2021

L'avenir vers le passé

 Salut,

Il y a un truc qui sincèrement me gosse en fantasy.  Et qui revient sans cesse.  Je crois que la première fois que ça m'a frappée, c'est dans la série Eragon: l'usage de la magie s'était perdu et... le monde n'avait pas trouvé d'autres façons de faire, n'avait pas innové, n'avait rien créé de neuf.  Et les gens continuaient de se battre avec les méthodes anciennes.  La connaissance était cachée dans le passé et la façon de battre le tyran du jour également.  M'est également revenu en tête le Seigneur des anneaux à l'époque.  Comment le fameux Anneau, source de tous les pouvoirs, trouvait sa source dans le passé.  

À partir de ça, m'est revenu une longue liste de séries de fantasy: tel artéfact des grands rois devait être retrouvé, tel sortilège enfoui, libéré, telle super arme récupérée ou détruite avant qu'ennemi X ne s'en empare.  Et ainsi de suite.  La fantasy n'a pas seulement lieu dans le passé, elle est tournée vers le passé.  Steve Jobs n'y vivrait pas heureux...

C'est pas illogique quand on pense que la fantasy s'inspire du Moyen Âge, où le fantôme du grand Empire romain était encore très présent.  Comme si l'âge glorieux du passé recouvrait le présent d'un immense linceul le faisant paraître fade, vide, insignifiant...  Et pourtant, notre monde est issu du Moyen Âge.  D'innombrables innovations techniques inconnues à l'époque de l'Empire romain ont fait des petits et ont emmené des changements dans la vie quotidienne, puis de nouvelles idées, de nouvelles manières de les diffuser, de voyager, de se nourrir ont émergées. Elles ont lentement transformé la vie des habitants de cette époque.  Oh, pas toujours de façon révolutionnaire, mais quand même.  Ce sont autant de petits changements successifs qui font qu'une société bouge et évolue.

Rien de tel dans la fantasy.  Les sociétés sont quasiment immuables depuis la chute des grandes époques révolues.  Le quotidien suit son cours, mais les gens n'inventent pas, n'essaient pas de nouvelles choses.  Les grands mouvements de société sont aussi souvent passés sous silence: on veut bien renverser le tyran, mais répandre de nouvelles idées?  Pas nécessairement.  On pige dans le passé les idées, on ne les crée pas.  

Bref, la fantasy a souvent lieu dans un monde figé, arrêté, attendant que la gloire du passé revienne.  Pas toujours évidemment, les tendances ont toujours leurs exceptions (bon, une pensée ici pour ma chouchou Mercedes Lackey qui dans une de ses séries fait inventer la machine à vapeur par ses personnages!), mais n'empêche, ce qui sous-tend la fantasy est souvent l'idée de fond que l'avenir est dans le passé et non pas dans ce que l'on va faire aujourd'hui pour le créer.  Drôle d'idée inhérent au genre.  Mais bon, quand on le sait, on hausse les épaules, on attrape son livre et on se délecte des aventures de nos héros.  Parce que ça reste de saprées bonnes histoires!

@+ Mariane

jeudi 18 février 2021

La chair décevante de Jovette Bernier

 La chair décevante  Jovette Bernier


Résumé:
Jeune, Didi Lantagne a aimé.  De cet amour est né un fils, mais son père a préféré en épouser une autre, plus riche et mieux placée socialement.  Didi s'est battue bec et ongles pour garder son enfant, a trouvé un homme près à le prendre comme son propre fils, l'a vu grandir.  À l'âge où il s'envole de ses propres ailes, il entre, sans le savoir, dans le cabinet d'avocat de son père biologique et tombe amoureux de celle qui est sa demi-soeur.

Mon avis:
Ce roman, c'est de la poésie écrite en prose.  Certes, la structure, la manière de raconter est typique du roman, mais la plume elle, est par moment tellement proche de la poésie que j'ai l'impression que l'on peut parler de roman-poème.  

Le thème n'est pas neuf, celui de la fille-mère abandonnée par son amoureux.  Mais ici, le récit fait quasiment l'impasse sur l'homme pour se concentrer sur la femme abandonnée, mais qui ne finit par en pauvresse rejetée de tous.  Au contraire, Didi rebondit, même si c'est difficile et retrouve au fil du temps toute la respectabilité que son statut de fille-mère lui avait fait perdre.  Ce n'est pas une personne écrasée ou amorphe.  On sent que l'auteure avait un message à livrer à travers ce livre, ce qui n'est pas surprenant pour l'époque et ce message est celui-ci: la personne à blâmer dans ce genre d'histoire n'est pas la femme, mais l'homme.  Elle le fait de manière très habile, en montrant la situation sous l'angle de Didi et en laissant volontairement très peu de place au personnage du père.

Mais surtout, elle donne une vie complète à Didi.  Celle-ci n'est pas réduite à cette maternité, elle a une vie, elle voyage, elle tombe amoureuse, se demande si elle est trop vieille à trente-huit ans pour attirer les hommes.  C'est une femme normale, de son époque, qui a un vrai arc narratif.

On peut reprocher à l'auteure d'avoir été un peu trop mélodramatique.  Surtout vers la fin, elle en beurre quand même pas mal épais.  Il y a quelques maladresses dans la psychologie des personnages masculins qui sont pour la plupart assez unidimensionnels, y compris son fils, mais dans l'ensemble, on retrouve surtout toute la naïveté et la fraîcheur d'un premier roman, tant dans le positif que dans le négatif.

Pour un des premiers romans écrit par une femme au Québec, c'est quand même une réussite.

Ma note: 4.25/5

lundi 15 février 2021

Ne pas commencer par le meilleur

Salut,

C'était il y a longtemps, mais un ami avait réussi à mettre la main dans une vente de livres usagés d'un livre d'un auteur qu'il aimait beaucoup et m'en avait fait cadeau.

-Désolé par contre, c'est pas son meilleur!

La remarque m'avait fait tiquer.  Parce qu'au fond, commencer par le meilleur livre d'un auteur n'est pas la première de mes priorités.  C'est bizarre cette obsession de toujours n'avoir que le meilleur: meilleur livre, meilleure série, meilleure ci ou ça...  Le monde n'est pas constitué que du meilleur.

Non, je ne commence pas toujours par le meilleur livre d'un.e auteur.e.  Ça arrive si ce livre-là en particulier me tombe dans les mains, mais je n'en fais pas une obsession.  Si j'entends parler d'un auteur, je vais aller vers le livre dont l'histoire m'accroche le plus, sur celui qui est le plus facilement disponible, sur celui qui m'arrive dans les mains (merci les bouquineries pour les merveilleuses découvertes!).  Si on s'intéresse à un livre en particulier, c'est une chose, mais si on s'intéresse à un auteur avant de s'intéresser à un livre, ne pas commencer par le meilleur peut être un avantage.

Les auteur.e.s sont des êtres humains.  Leur production n'est jamais égale.  Il y a des hauts et il y a des bas. Un seul livre ne constitue pas une oeuvre, c'est leur cumul qui le fait.  Alors, si on se donne comme objectif de commencer par le meilleur... le reste paraîtra fade, sans attrait même si objectivement, ce n'est pas le cas.  L'inverse n'est pas aussi vrai.

De plus, si on commence par «le meilleur», on met beaucoup de pression sur un auteur.  Si le livre nous déçoit (je lève ici la main), ça peut tout simplement être à cause du livre lui-même, du thème de celui-ci de ce que l'auteur a essayé de faire dans ce livre, parce que oui, des fois, les auteurs essaient quelque chose avec un livre.  Ça marche des fois, des gens adorent et d'autres fois, les gens détestent.  Et c'est normal.  La vie est ainsi faite et la littérature n'est pas différente.

Si je tombe sur le meilleur en premier et bien tant mieux!  La meilleure oeuvre est souvent plus facile à trouver, même si ce n'est pas toujours la meilleure pour nous.  Si c'est ce livre-là qui nous intéresse et bien, tant mieux!  Sinon, ne pas en faire une obsession est plus sain.  Si on veut lire ce livre-là, c'est parfait!  Aucun problème!  C'est le fait de vouloir découvrir une oeuvre par le biais d'un livre qui serait étiqueté le meilleur qui me chicote.

Entendons-nous, certain.e.s auteur.e.s sont plus faciles à aborder par certains livres que par d'autres, mais facile n'est pas synonyme de meilleur.  Si un.e auteur.e vous intéresse, commencer par celui qui vous tente le plus, ne vous limitez pas: il y aura toujours une bonne occasion de lire son meilleur si sa plume vous plaît.

@+ Mariane

jeudi 11 février 2021

Un chant de Noël de Charles Dickens

Un chant de Noël  Charles Dickens  Gallimard  Folio classiques  178 pages


Résumé:
Scrodge est pingre, vraiment!  L'avarice de cet homme le pousse aux économies les plus absurdes et le pousse à la misanthropie.  Mais voilà que le soir de Noël, qu'il passe seul bien entendu, le fantôme de son ancien associé lui rend visite et lui dit qu'il n'a qu'une chance de se racheter.  D'ici l'aube, trois fantômes lui rendront visite, celui des Noëls passés, des Noëls présents et des Noëls à venir.  À lui de comprendre la leçon qui lui sera donnée.

Mon avis:
Classique des classiques de Noël, l'histoire de Scrodge, autant elle est bien ancrée dans un contexte victorien, mais n'a pour autant pas pris une ride.  Parce que le centre de l'histoire, son essence, c'est l'esprit de Noël et son pouvoir de transformer les gens.  

Car Noël est partout dans ce livre: dans les branches de sapins partout, dans les glissades dans les rues, par les glaçons qui descendent des immeubles, par le parfum des dindes qui cuisent, mais aussi, par cette envie de se réunir, de se rassembler, de partager, amour et nourriture, que ce soit en famille, entre amis ou simplement entre gens heureux de se rassembler.  Mais c'est aussi un magnifique portrait de Londres: de ses rues, de ses gens, de leur manière de vivre, de toutes ces petites choses qui font la vie des villes.  Même son célèbre brouillard a droit à son moment de gloire.

L'écriture est très dickensienne: simple, sans être simpliste, très abordable, mais en même temps recherchée, bref, un équilibre délicat que l'auteur sait trouver sans trop de mal, mais sans jamais chercher non plus à sortir d'un certain cadre d'écriture.  Le personnage de Scrodge est peint par gros traits et à certains moments, on doute qu'il soit plus qu'un banal archétype de l'avare grincheux, mais à travers les fantômes, on finit par le découvrir dans sa complexité.  Ceux-ci font d'ailleurs davantage penser à des anges qu'à des fantômes, mais la peur inspiré par les fantômes leur donne un aura différent.

À lire avant Noël (ça a été mon cas) pour se mettre dans l'ambiance!

Mon avis: 4.5/5


lundi 8 février 2021

Comme un hameçon à l'attention

Salut,

Vous être en train de lire un livre.  Je veux dire, vous êtes vraiment dedans.  On est en plein milieu de l'action, l'intrigue déboule sous nos yeux, votre héros ou votre héroïne multiplie les péripéties et...  et sonne la fin de l'heure du dîner, l'heure d'aller dormir, l'heure d'aller s'entraîner, de faire le souper, de faire du ménage (non, ce c'est jamais une raison d'arrêter de lire).  Certaines personnes pourraient aussi entendre le son de leur réveille-matin, mais personnellement, ça ne m'est jamais arrivé.

Sauf que là, commence le moment de la torture.  On est bien accroché au livre, on veut savoir la suite, mais genre, vraiment beaucoup.  Sauf qu'on ne peut pas.  On est en voiture, au téléphone, au boulot (il y en a qui ne considère pas ça comme un obstacle, mais ce n'est pas mon cas!) et on pense à notre livre.  Ce n'est pas tout le temps-là, mais ça le reste, à la frontière de nos pensées.  Notre héroïne vient de découvrir le secret de la potion qui mettra fin à la famine dans son pays en restaurant l'abondance.  Trouvera-t-elle tous les ingrédients?  Notre héros a enfin réussi à comprendre le fonctionnement du nouveau logiciel.  Réussira-t-il son infiltration?  Et ainsi de suite et ainsi de suite.

On est fonctionnel, on avance, on fait nos trucs, mais!  Une partie de notre attention est ailleurs.  Notre livre nous attire comme un aimant.  Pourtant, il ne fait rien comme tel.  C'est nous, lecteur, qui sommes attirés par lui.  On veut retourner dedans, savoir la suite ou la fin.  Notre livre est le maître de notre attention, comme un pêcheur qui aurait ferré un poisson au bout de sa ligne.

De l'extérieur, rien ne paraît.  Le processus est entièrement interne. Ça gruge de l'intérieur.  On peut être un peu plus grognon que d'habitude, expédier les tâches ingrates du quotidien avec un peu plus de vigueur, mais, mais...

Seul le lecteur connaît l'intensité du petit fil qui le relie à son livre et combien la hâte d'aller le retrouver pour plonger de nouveau dans son histoire peut le ronger.

Un lecteur bien ferré, au contraire d'un saumon, ne se débat pas pour s'éloigner du pêcheur.  Il se débat pour retourner le plus vite possible auprès de son livre.

@+ Mariane

jeudi 4 février 2021

Vol de nuit d'Antoine de Saint-Exupéry

 Vol de nuit  Antoine de Saint-Exupéry  Le livre de poche 124 pages

Résumé:

Argentine, début des années 1930.  L'aéropostale, récemment implantée, fait face à un défi: ne pas perdre l'avantage de la vitesse, pris durant le jour sur le chemin de fer, la nuit.  C'est pourquoi sous l'impulsion de Rivière, le chef de l'aéropostale, les vols de nuit ont été mis en place.  Dangereux, solitaires, ces vols représentent l'avenir, Rivière le sait et pour qu'ils triomphent, il est prêt, par sa seule volonté, à faire plier éléments, nature et hommes devant lui. 

Mon avis:

C'est un récit au rythme très lent et en même temps, l'auteur sait faire monter une tension palpable tout au long du récit.  Celle-ci est relié à la fois au vol de la Patagonie, qui connaîtra un destin tragique, mais aussi à la personnalité de Rivière, confrontée aux éléments, qui doute, mais ne laisse rien paraître.  Le livre est un très long crescendo, mais qui ne se termine pas en apothéose, contrairement aux attentes.  Non, le rythme suit l'histoire, qui elle-même suit les mots.  C'est un genre d'expérience, c'est dur à expliquer, mais en tant que littérature, c'est absolument fabuleux.

Ce rythme lent transpire jusque dans l'écriture qui est très sobre, mais qui respire, profondément.  La longueur des phrases, le rythme des mots se conjugue pour donner son effet d'ensemble au livre et c'est très réussi.  C'est un tout, un ensemble et même si on sait que la moitié de l'histoire tient à la façon dont elle est racontée, on la suit quand même.

Il y a beaucoup de répétitions dans l'intrigue, beaucoup de redite pour nous faire plonger dans la psychologie des personnages.  C'est une lecture que je recommande de faire par petits sauts, pas d'un seul coup, un peu comme on lirait un recueil de poésie: un chapitre, on prend une pause, un chapitre, etc.  C'est un texte qui respire beaucoup, pas un page turner.

Magnifique donc, mais le genre d'oeuvre qu'il faut savourer et non dévorer.

Ma note: 4.75/5