mardi 31 décembre 2019

Bilan culturel 2019

Salut!

Ben oui, une autre année s'en est allée!  Pleine de richesses et d'expériences encore une fois!

Films vus dans les salles obscures:
-Une femme d'exception par Mimi Leder: Sur la vie de Ruth Bader Ginsburg.  Intéressant, mais pas brillant.
-Capitaine Marvel par Anna Boden et Ryan Fleck:  Capitaine América peut aller se rhabiller!  Mais c'est surtout la puissance du message qui est lancé à travers le film que j'ai le plus aimé.
-Avengers: Endgame par Anthony et Joe Russo: Un peu déçue je dirais.  J'ai aimé, mais le scénario était décousu.
-L'inquiétante absence par Félix Brassard et Amir Belkaim: Documentaire sur la place du cinéma de genre au Québec.  Nécessaire, mais on aurait dit qu'à part un tour d'horizon, les documentaristes ne savait pas exactement de quoi ils voulaient parler.
-Le grand bain par Gilles Lelouch: Comédie française sur une équipe de nage synchronisée masculine.  Drôle, mais pas à se tordre de rire.
-Worlds of Ursula K. Le Guin par Arwen Curry: Excellent film que j'ai beaucoup apprécié, même si je ne connais pas encore l'oeuvre de cette grande dame de la SF.
-Cats par Tom Hooper: Loin d'être l'échec total annoncé par les critiques!  Perso, j'ai beaucoup aimé et ça a peu à voir avec le fait que ça parle de chats.  Le mélange entre les différents types de danse et de chants était super!

En rattrapage (donc vu en dehors des salles obscures):
-First Man de Damien Chazel: Ouf, un vrai bloc de glace ce Neil Armstrong.  Et pour une fois, ce n'était pas moi qui mettait sans arrête le DVD sur pause pour expliquer un détail ou un autre, c'était Frérot, un geek de l'histoire de l'exploration spatiale.

Séries télés (J'avoue que j'ai passé beaucoup de temps là-dessus cette année!)
-Bletchley circle saison 2: Vraiment pas aussi bonne que la première, mais ça se laissait bien regarder.
-Dr Who, Saison 1 à 7: Je n'avais jamais regardé un seul épisode avant cette année alors dans l'ordre, Fantastique!, Allons-y! et Géronimo!!!!!  Et la suite pour 2020.  J'ai juste pris une petite pause en décembre.
-His dark materials, Saison 1: Dieu que je l'attendais cette série!  C'est très bien comme adaptation.  Stratosphérique?  Non, mais un bon boulot bien fait.
-The Crown Saison 3: C'est sidérant à quel point on se fait vite au changement des acteurs.  On dirait presque que ce sont les personnages qui ont changé de corps tellement la transition est fluide.  Pour le reste, une belle poursuite sur sa lancée.

Pièce de théâtre:  Encore une riche année!
-Électre à l'Espace Go: C'est du théâtre grec classique, donc, peut-être pas mon style préféré, mais une très belle adaptation, ancrée dans notre modernité.
-Parce que la nuit à l'Espace Go: Pièce hommage à Patty Smith.  Excellente performance de tous les acteurs qui jouent à tour de rôle, tous, la célèbre chanteuse, hommes comme femmes.
-Muliats à la Salle Pauline-Julien: Pièce sur le contact entre Premières Nations et Blancs, dénonçant les préjugés et les erreurs.  Avec des passages en innu.  Une excellente pièce, qui dénonce, mais explique et fait aussi comprendre.
-La face cachée de la lune chez Duceppe: Un monument du théâtre québécois.  Une utilisation géniale de la scène et de l'espace scénique.  Mais la pièce en elle-même est d'un ennui...
-La récréation de Mozart (théâtre jeunesse): J'ai rempli mes devoirs de tante et j'ai emmené Neveu voir cette pièce.  Il a bien aimé!
-Tshishikushkuen de Natasha Kanapé-Fontaine à La Chapelle: Poésie, dénonciation, rage, mais aussi beauté et sensibilité.  Un objet que j'ai eu du mal à appréhender.
-Le meilleur des mondes au Théâtre Denise-Pelletier: Wow!  Juste trop wow!  Mise en scène géniale, acteurs superbes...  On sort de cette pièce en ce demandant comment au juste on peut continuer à être dans le système...

Musique:  Un peu moins cette année
-Tchaïkovsky par l'Orchestre Métropolitain:  Un soliste encore vert, mais une cheffe qui savait mener son orchestre de main de maître!
-Musique de fils: Génial! par l'Orchestre métropolitain: Superbe, avec des solistes impeccables et à l'animation, un Martin Carli bien en phase avec son sujet.
-Carmen à l'opéra de Montréal: Je voulais essayer l'opéra au moins une fois dans ma vie.  C'est fait.  Je n'y retournerais pas!

Musée: Maigre année...
-Musée des sciences et technologies à Ottawa.  Très beau musée, super interactif et vraiment intéressant.
-Thierry Mugler Couturissime au MBAM: Créativité vous avez dit?  On ne parle plus de vêtements, mais de sculpture en tissus!
-Poisons et Le cabinet des curiosités au Musée des civilisations à Québec: Les deux valaient le détour dans la vielle capitale.

Dans le domaine du tout ce qui reste:
-Congrès Boréal 2019: Un bon Congrès encore cette année et le site était superbe!
-Manawan: Je n'ai pas été en Europe cette année, mais j'ai été passer une fin de semaine complète dans une communauté atikamekw à 4h de route de Montréal.  Dépaysant, super intéressant, en plein nature, avec des paysages, tellement wow!
-Atelier sur les plantes médicinales autochtones: La ville de Montréal offre tout le temps des trucs intéressants qui sont gratuits.  Celui-là faisait parti du lot.
-Contes et légendes abénakis au Musée des Abénakis: Seule regret de cette magnifique soirée, le ciel était couvert de nuages et le temps menaçait, alors on a pas pu avoir ces magnifiques histoires autour du feu.  
-Fabrication de paniers en frêne au Musée des Abénakis: Je ne regarderais plus jamais les paniers de la même façon.  C'est un art de faire ça!
-Salon du livre de Montréal 2019: Un classique qui ne se démode pas!
Avec bien sûr les classiques lancements de Brins d'éternité deux fois par année.
Et deux ateliers d'écriture aussi cette année.  Pas toujours faciles ces ateliers, mais ils permettent tellement d'apprendre!

Et maintenant, les livres!
Très peu de coup de coeur en 2019.  Il faut dire que j'ai lu une bonne partie de l'année pour le GDLQ et que ça a influencé mes lectures.  Beaucoup, beaucoup de livres ont frôlé le coup de coeur, beaucoup de 4.75/5 entre autre...  Mais un seul vrai coup de coeur.
Ashini d'Yves Thériault

Bref, une autre belle année qui vient de s'écouler!

Et des résolutions pour 2020?  J'ai décidé de ne pas en prendre.  Je veux me laisser inspirer parce que la vie met sur mon chemin.  J'ai bien hâte des découvertes que je vais y faire!

@+ Mariane

mardi 24 décembre 2019

L'art délicat de mettre des livres sous le sapin ou Pourquoi bordel je ne suis pas Islandaise?

Salut!

Je me rappelle, durant mes années en librairie, à quel point les gens qui veulent offrir un livre en cadeau sont parfois idiot:

-Bonjour, je voudrais offrir un livre à un(e) ami(e)/un parent/un collègue/ce que vous voulez.

-Très bien, qu'est-ce qu'il/elle aime lire?

La plupart des gens avaient un embryon de réponse.  La personne aime le polar, tel auteur, un livre sur les oiseaux, sur la Deuxième Guerre mondiale, etc.  Cela me guidait en tant que libraire et la plupart des gens partaient satisfaits, mais il y avait ces quelques cas où la réponse était:

-Euh, je sais pas, moi, un livre?

La libraire essaie dans ses moments d'éviter à ses yeux d'aller faire un tour dans la stratosphère et d'expliquer.

«-Un livre, c'est comme un bon vin, un parfum, un bouquet de fleurs, une manucure.  Il y a autant de possibilités que de gens capable de les apprécier.  C'est de trouver le bon livre pour la bonne personne qui est l'art du libraire.

Pour ça, il faut que le libraire connaissent ses livres, connaissent leurs contenus, aillent au delà de ses goûts personnels.  Les libraires ne peuvent pas tout lire, mais souvent, ils en savent un bout sur presque tous les livres en magasin.  C'est leur travail, mais c'est aussi une passion, celle d'être capable de faire des liens entre les livres et les lecteurs.

Ensuite, ils doivent trouver ce qu'aime le lecteur.  Des indices, des petits bouts, d'autres livres lus ou aimés, des idées, le libraire commence à partir de ça et fait des propositions, propositions qui évoluent selon les réactions et les commentaires de la personne qui veut offrir un livre.  Ce n'est pas simple, ni facile à expédier.  Ça demande de la recherche, du temps et des connaissances précises des deux côtés.  Dans ce cas seulement, le bon choix peut survenir.

Toutefois, c'est délicat et ça demande du doigté.  Si le lecteur aime le policier, il est fort possible qu'il adorera un bon polar scandinave, mais restera froid devant Louise Penny.  Tous les sagas de fantasy ne sont pas si semblable que ça les unes des autres.  Un livre de recettes d'accord, mais encore faut-il savoir si un livre de pâtes conviendra mieux qu'un livre sur les sushis.  Et là-dedans, on risque toujours de se tromper.

Mettre un livre sous le sapin reste un art délicat, mais comme toutes les formes d'arts, quand c'est réussi, quel merveille de savoir que les yeux du lecteur brilleront de joie en déballant son livre et qu'il ou elle passera des heures de bonheur avec lui.»

OK, j'ai jamais dit ça à aucun de mes clients.  Pressés comme ils le sont, ils se seraient enfui après la première phrase.

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J'en avais déjà entendu parlé, mais il me semblait que c'était trop beau pour être vrai, une rumeur, une chose tellement farfelue et fantaisiste que ça tenait plus du conte de fée que de la réalité.  Mais c'est vrai.  Archi-vrai, super vrai.  En Islande, la veille de Noël, la tradition est d'offrir des livres et de... lire.  On s'offre d'ailleurs beaucoup de livres en cadeau, une tradition datant de la fin de la Deuxième Guerre mondiale.

Donc, vous voyez le portrait.  Après un bon souper, la petite famille s'installe autour du sapin pour découvrir leurs nouveaux livres, s'extasier des bons choix (j'espère qu'ils ont d'aussi bons libraires en Islande qu'au Québec), avant de s'installer, tout le monde, sans doute avec des chocolats chauds ou des verres de vins pour les adultes et de plonger, chacun le nez dans leur livres...

Le Paradis...

Je ne sais pas pourquoi on a pas une telle tradition ici, je ne vois aucune raison.  C'est une façon super simple et pourtant tellement brillante de partager l'amour de la lecture, d'encourager les auteurs et les éditeurs, de couper avec la continuité des jours et des fêtes, de prendre du temps...  De laisser de côté cellulaire, télévision et ordinateur le temps de quelques heures.  De prendre du temps pour lire alors que la plupart des lecteurs se plaignent de ne jamais en avoir assez.

Bref, je me demande vraiment quand je vois cette tradition pourquoi au juste ne suis-je pas islandaise...

@+ Mariane

jeudi 19 décembre 2019

Le dernier-héraut-mage: 1- La proie de la magie de Mercedes Lackey

Le dernier héraut-mage  tome 1  La proie de la magie  Mercedes Lackey  Milady  Lu dans l'édition intégrale de la trilogie, p. 1 à 426


Résumé:
L'avenir de Vanyel Ashkevron était tout tracé: reprendre le domaine de son père, Seigneur de Forst Reach, devenir un guerrier, être un homme...  Mais le jeune homme est rebelle: il préfère la musique aux armes, la souplesse et la rapidité à la force brute, les hommes aux femmes...  Envoyé auprès de sa tante, Héraut-mage, dans la capitale, sujet aux intrigues et aux tentations, Vanyel y découvrira l'amour, mais aussi autre chose, cette chose qu'il cherchait à fuir : le devoir.

Mons avis:
Pour qui n'est pas familier avec l'univers de Mercedes Lackey, l'auteure ne prend pas beaucoup de temps pour expliquer son univers comme tel.  On peut le lire de façon indépendante, mais pour quiconque a déjà lu d'autres tomes, les liens sont plus faciles à faire.  Le tout premier tome de cet univers, après tout, ne commençait-il pas par Talia lisant le récit de la mort héroïque du Héraut-Mage Vanyel, le principal protagoniste de cette trilogie?  Un antépisode donc, mais qui nous ramène aussi à une période de l'histoire de Valdémar plus primitive, où les hérauts existent déjà, mais où la magie est toujours présente.

L'auteure manie avec doigté l'art de prendre beaucoup de temps pour raconter certains passages avant d'accélérer pour nous garder littéralement rivé au livre.  Ainsi en est-il de la première partie, décrivant longuement le sort de Vanyel à Forst Reach et à quel point il y est un adolescent malheureux.  Son départ pour Haven emmènera de nombreux changements dans sa vie, entre autre la découverte de son homosexualité.  Puis à un certain point, on accélère encore vers la finale.  Ainsi en est-il de la presque totalité du livre: une grande précision, voire une sentimentalité dans certains moments, un grand flou dans d'autres, suivi d'une accélération.  Pourtant, sans tout le temps à placer les émotions de Vanyel, la finale n'aurait pas autant de force.

Une chose est sûre, les nuances émotionnelles que vit Vanyel sont soigneusement détaillées.  On se reconnaît dans ce personnage mal dans sa peau et on l'accompagne dans les difficiles épreuves qu'il traversera.  Par contre, à un certain point, on peut trouver que l'auteure en beurre pas mal épais.  Toutes ces épreuves sur un seul être humain?  En si peu de temps?  Mouais...

L'écriture n'est pas très riche et bon, la principale qualité de l'auteure n'est pas son style qui est assez fade.  Mais elle est une très bonne raconteuse d'histoire, qui nous donne envie de continuer auprès de ses personnages, qui s'ils sont au départ archétypaux, sont capables d'évolution sans que cela fasse niais.  Même ceux qu'elle s'amuse presque à torturer pour mieux nous les rendre humain et proches.  Et l'univers qu'elle a su créer est riche de tellement de nuances que l'on voit dans peu d'univers de fantasy que l'on accroche. Quoique ce tome-ci, et je dirais même cette trilogie-ci, est réservée aux fans déjà conquis.

Ma note: 3.5/5

lundi 16 décembre 2019

De la bulle

Salut!

Il y a deux semaines, j'ai publié un effet sur la théorie du ruissellement, théorie qui veut, au niveau littéraire, que le contact d'une oeuvre d'un genre particulier permettent  d'entrer en contact avec le genre en général et de découler vers les autres oeuvres qui le composent en prenant comme exemple, le fameux effet Harry Potter.  Comme le faisait si justement remarquer une charmante amie blogueuse dans les commentaires (si tu te reconnais Gen, c'est normal), l'effet de ruissellement ne se remarque pas très souvent.  C'est une vue de l'esprit, inspirée d'une théorie économique qui n'a jamais connu beaucoup de succès dans la réalité.  Cependant, en relisant mon billet et les commentaires, j'ai repensé un détail qui ne m'avait pas surprise lors de sa rédaction: j'y aborde par la bande le sujet des bulles, un autre phénomène qui touche pas mal le monde du livre, mais aussi le monde dans son ensemble.

Une bulle, c'est un univers en soi, un univers complet qui se nourrit de lui-même.  Vous aimez tel genre de littérature?  Le propre d'un bulle c'est de vous ramenez sans cesse à cela, sans cesse à ce genre, avec de subtiles variations qui vous donnent l'impression que quelque chose a changé, mais dans le fond, rien.  Et vous avez l'impression de découvrir, d'évoluer, alors que dans le fin fond... non.  Je parle de littérature parce que c'est ce que je connais de mieux, mais cela s'applique à tous les domaines et en particulier, aux idées en politique.

Le propre d'une bulle est de ne pas savoir que l'on est dans une bulle.  Je cite directement d'un film que j'ai vu il y a quelques années, The big short sur la crise financière de 2008.  L'action du film prend place avant la fameuse crise financière et montre combien les gens qui y participent n'ont au fond aucune idée dans quoi ils vivent.  Ils y participent sans en être conscient.  Ainsi en est-il de bien des domaines.

Dans le fond, mes lectrices invétérées de Barbara Cartland, à la belle époque où j'étais libraire, étaient dans une bulle.  Je les plaignais d'une certaine façon.  J'avais un peu pitié d'elles.  Elles n'étaient pas conscientes de ce qu'elles vivaient, dans la bulle dans lequel leur univers littéraire était restreint.  Comment auraient-elles pu?  À part moi, de l'autre côté du comptoir qui commandait leurs livres et les leur donnaient une fois arrivés, quel contact avaient-elles avec d'autres livres, avec d'autres genres?  Presque pas.  Qui auraient pu les faire sortir de leur bulle?  Je les aies souvent dénoncées, sans aller plus au fond du concept: tout était fait, pensé et conçu pour les garder dans leur bulle.  Il aurait fallu un effort de leur part pour en sortir.  Parfois un effort violent.

Et pourtant... La librairie, avec la bibliothèque, est un des rares endroits où la bulle peut être percée de nos jours.  On parle du web comme de la panacée, mais les algorithmes auront tôt fait de vous orienté vers un livre ou vers un autre, selon votre historique de recherche.  La librairie et la bibliothèque, sont des lieux qui ont une certaine radicalité contre l'ordre des préférences.  Certes les présentoirs sont pleins de nouveautés, mais sur les rayons, Alexandre Dumas côtoie Marguerite Duras qui a écrit un siècle après lui.  Margo Vargas Llosa ne sera pas loin de Jules Verne et occasionnellement, Stephen King pourra reluquer Sophie Kinsella.  L'ordre alphabétique se fout de la popularité ou de la pérennité voire même du genre.  Sans compter que passé l'effet de nouveauté, un livre aussi populaire que Le Secret sera placé à côté d'un obscur ouvrage du même genre.

Alors la bulle?  Je dirais que d'être conscient d'être dans une bulle aide.  D'être conscient que les bulles existent aussi.  Mais rien n'est parfait.  Le mieux est d'être capable d'aller vers ce qui nous confronte, ce qui nous pousse à nous remettre en question, à ce qui nous est étranger, à apprendre de tout ça et à l'intégrer à notre vie.  Quitte à l'inconfort que cela amène.

Mais dans notre univers où on nous oriente toujours vers ce que nous aimons déjà, qui en est vraiment capable?

@+ Mariane

jeudi 12 décembre 2019

1493 de Charles C. Mann

1493 Comment la découverte de l'Amérique a transformé le monde  Charles C. Mann  Albin Michel 535 pages


Résumé:
Dans son livre précédent, 1491, l'auteur faisait un portrait de l'Amérique d'avant Colomb, des multiples peuples qui la composaient, de la politique, de la science, des techniques agricoles et j'en passe qui parsemaient cet immense continent.  Dans cet opus-ci, il s'intéresse à l'après et aux conséquences immenses qu'ont eu les contacts à de nombreux niveaux.  Comment les plantes de l'Amérique ont voyagé partout, sortant autant les Chinois du XVIe siècle que le Irlandais du XVIIe de la famine.  Comment le caoutchouc a servi de support à la révolution industrielle.  Comment l'argent du Potosì a entraîner des bouleversements monétaires autant en Europe qu'en Asie et aussi, comment l'immense brassage génétique qu'a entraîné l'esclavage a transformé le monde entier.

Mon avis:
Idées reçues, attachez vos tuques!  Comme avec le premier tome, l'auteur nous amène un peu partout, loin des discours académiques, très près des problèmes concrets issus de l'héritage de l'arrivée de Colomb en Amérique, tout est étant richement documenté (la bibliographie de son ouvrage fait plus de cinquante pages).  Ajouter à cela un talent de conteur à mille lieux des ouvrages scientifiques poussiéreux, et vous avez un livre qui est avant tout une aventure, une aventure autant humaine que biologique.

L'auteur défend une thèse, simple, mais redoutablement efficace:  du contact avec l'Amérique a émergé un nouveau monde, un monde complètement nouveau, qu'il nomme l'ère de l'Homogénocène: l'ère où toutes les parties de la planète sont reliés les unes aux autres, par des liens complexes, parfois même sans le savoir, mais avec des impacts importants loin de leur lieu de départ.  À partir de là, il commence à défiler les exemples, comme un long fil.  L'argumentation est extrêmement logique et sort des sentiers battus.  Sauf qu'elle est nourrie de tellement d'exemples qu'on ressort du livre, sinon convaincu, du moins, appelé à reconsidérer bien des certitudes.

Comme pour 1491, l'auteur, au lieu d'essayer de tout raconter, opte pour des exemples choisis, les mieux documentés souvent, à partir duquel il monte son argumentation, utilisant ces exemples pour ratisser plus large.  Il le dit d'ailleurs dans l'introduction, il a fait des choix, mais ses choix sont pertinents.  Ainsi, s'il traite des maladies introduites en Amérique par le contact avec les Européens, il ne traite en profondeur que de la malaria et de la fièvre jaune alors qu'elles ont été beaucoup plus nombreuses.  Ce procédé permet de ne garder que les exemples ayant le plus d'impact pour soutenir sa thèse, mais d'un autre côté, elle permet d'éviter le piège de l'érudition trop pointue et garde le texte très accessible.  Le texte étant d'ailleurs nourri de références et d'histoires concrètes, on est très impliqué dans celui-ci.

Puisant autant dans les documents historiques, dans les dernières recherches scientifiques que dans ses voyages sur les lieux mêmes des événements, nourris d'anecdotes avec les gens y habitant toujours, l'auteur nous permet de voir les impacts de ce qu'il raconte, entre autre, les immenses impacts écologiques qu'ont entraînés la culture du maïs en Chine ou de la canne à sucre dans les Caraïbes.  Le nombre de catastrophe écologique citées dans ce livre est effarant.  On dirait que malgré les siècles, l'être humain apprend peu et continue de jouer à l'apprenti sorcier avec la nature.  Avec des résultats souvent catastrophiques!  Sauf qu'en filigrane se dessine une autre réalité qu'il n'aborde que très peu, mais qui reste présente: désormais, peu importe où sur la planète, les actions des uns ont des impacts partout sur les autres.  Ce qui fait réfléchir sur les racines de la crise écologique actuelle.

Si le livre reste un tour de force et un livre à lire, vraiment, je l'ai trouvé un peu moins fascinant que le premier opus.  De un, l'auteur pousse une thèse de façon beaucoup plus marquée et c'est un peu agaçant.  De l'autre, même tout le talent de conteur de l'auteur ne peuvent rendre certains passages aussi intéressants que d'autres.  J'avoue sans problèmes que moi et le système monétaire chinois du XVIe siècle n'avons pas fait bon ménage...

Ce sont de biens minces défauts et je recommande chaudement cette lecture!

Ma note: 4.75/5

lundi 9 décembre 2019

La si pratique prophétie

Salut!

Depuis quelques temps, sous l'influence néfaste d'un ami prêteur de dvd en série, je me suis mise à écouter Dr Who.  Je devais bien être la seul fan de SFF au Québec à ne pas les avoir écouter, mais qu'importe, je suis en train de me rattraper et assez vite en prime.  J'ai donc enfilé les sept premières saisons au cours des derniers mois (de la série depuis 2005, je précise).  Et vous savez quoi?  Cette série parle d'un être capable de voyager à travers l'espace et le temps et le grand dénouement de la saison 4 se base sur... une prophétie!  Wow!

Non, mais quelle originalité!  Une prophétie comme dans le plus banal des récits de fantasy, comme celle qui pousse le héros à se mettre en quête, celle qui fait que tout va se finir comme on l'a dit au début, comme si tout était planifié d'avance!  La prophétie est la pirouette scénaristique ou narrative par excellence.  Vous n'avez qu'à dire que ça va arriver et pouf, comme par magie, ça arrive!  Et les lecteurs ou les auditeurs sont pendus à votre intrigue, sachant que ça va arriver, mais sans savoir comment.  Drôlement pratique non?  Ça paraît, à posteriori, de justifier un truc bizarre parce qu'il fallait bien que ça arrive pour que tout finisse au bon moment non?  Ben oui, c'est normal, on vous l'avait dit que ça finirait comme ça!

Les prophéties sont partout de nos jours.  On les retrouve dans la fantasy, dont elles sont souvent un élément principal, un moteur de l'intrigue bien souvent.  Combien d'histoires du genre commencent par une prophétie à accomplir qui touche le héros/l'héroïne?  Même chose dans le fantastique souvent.  J'en aie même vu dans la science-fiction, à l'occasion.  Pourquoi cette tendance?

On dirait que c'est à la fois une amorce facile (c'est suite à une prophétie que tout se met en branle) et aussi, une façon de fuir en avant (on se dirige vers une fin déjà annoncée).  Quelque part, il me semble que ça parle beaucoup sur notre époque.  On a peur de l'avenir, on ne sait pas ce qu'il va arriver, alors quoi de plus rassurant que de lire une histoire dont on sait déjà comment elle va finir?  La fin, l'arrivée, est connue.  Pas d'angoisse sur trop d'option, sur un monde ouvert, sur un monde où les décisions influenceront réellement l'avenir et où tous auront à faire face aux conséquences de leurs actes parce que ces conséquences proviendront de leurs décisions et non de l'action d'une prophétie ou de dieux ou de peu importe quoi.  C'est l'angoisse de faire des choix qui est supprimée.

Ok, ça peut être vraiment cool une prophétie pour faire avancer l'action, mais est-ce toujours nécessaire?  J'en doute.  Il n'y en a pas dans tout le Seigneur des Anneaux, ni dans Star Trek.  Certes, il y en a eu une dans Harry Potter, mais elle arrive à la fin du cinquième tome et elle sert à expliquer le passé autant qu'à éclairer l'avenir.  Pas de prophétie non plus dans Games of Thrones et Hunger Games, mais les destins des personnages n'en étaient pas pour autant moins intéressant.

Je n'ai rien contre les prophéties comme tel.  C'est un excellent outil narratif, mais il est à utiliser avec précaution.  On peut très bien savoir l'avenir sans avoir de direction précise à suivre.  Lyra, l'héroïne d'À la croisée des mondes accompli son destin sans même savoir qu'il est le sien.  Comme de quoi, on a pas besoin d'être nécessairement guidé pour avoir un destin intéressant.

Personnellement, je préfère les histoires où les héros doivent tracer leur propre chemin, doivent trouver leurs propres solutions, trouver leur propre avenir et décider ce qu'ils en feront.  C'est une question de goût sans doute.  Je trouve ça plus intéressant que de penser que quelqu'un, quelque part a décidé de la fin de l'histoire avant même qu'elle ne commence.

@+ Mariane

jeudi 5 décembre 2019

Monstress: Awakening de Marjorie Liu et Sana Takeda

Monstress  tome 1  Awakening  Scénario de Marjorie Liu  Dessins de Sana Takeda  Images comics  Non-paginé


Résumé:
Maika Halfwolf est une arcanique, une race issue d'un croisement entre les humains et une ancienne race.  Contrairement aux autres membres de son peuple, elle a une apparence entièrement humaine, à l'exception de son bras gauche, amputé.  Maika cherche quelque chose et se laisse même vendre comme esclave pour l'obtenir.  Seulement, les personnes qu'elle croit être ses pires ennemis sont autant à l'extérieur d'elle qu'à l'intérieur.

Mon avis:
Décoiffant.  Tant par le style narratif très proche des comics de super-héros (que je n'ai guère lu, je le confesse) que par un esthétique qui lui propre, à cheval entre les traditions graphiques issues de l'Asie et d'autres traditions, dans un mélange surprenant, mais dont le résultat est se démarque au niveau du dessin.  La dessinatrice a su créer un univers hautement cohérent, tout en étant totalement unique.  Un exploit à lui seul.

L'histoire de Maika se révèle par couche.  L'histoire commence au moment où elle est vendue aux enchères comme esclave, une situation qui s'avérera volontaire par la suite.  Car Maika cherche quelque chose.  Qui plus est, une part d'elle-même lui échappe.  Cette double situation, qui la confronte sans cesse à elle-même, la suit tout au long du récit.  Le récit est donc une double quête, extérieure d'abord, puis intérieure, qui se mélangent et se répondent tout au long de l'intrigue.

L'univers dans lequel cette histoire se déroule étant un matriarcat, on est au départ un peu surprise par la quantité de personnages féminins, mais ce n'est que justice: on est tellement habituées à l'inverse!  Les hommes sont relégués à des rôles secondaires, voire tertiaires, laissant toute la place à de riches personnages féminins, nuancés et crédibles, Maika au premier rang.  Aucun d'eux n'est d'ailleurs sexualisé à outrance.  Cela ne correspondrait pas à cet univers.  Et il y a bien sûr les non-humains, à premier chef les chats à multiples queues...  Comment pourrais-je seulement résister à ce genre de récit où des chats jouent un rôle principal?

Ce n'est que le premier tome, mais tant par son intrigue, nuancée et complexe, que par par son esthétique, ce livre révolutionne bien des choses.  Intriguant à souhait.  J'ai hâte de connaître la suite.

Ma note: 4.5/5

lundi 2 décembre 2019

La théorie du ruissellement

Salut!

Je m'en rappelle comme si c'était hier.  J'étais à mon tout premier Boréal, à mon tout premier atelier à vie.  C'était en 2011.  J'étais à cet atelier parce que parmi les panélistes, il y avait une écrivaine dont j'avais tellement aimé les livres que je lui vouais intérieurement un mini-culte et que je n'arrivais pas à croire que j'étais dans la même pièce qu'elle: Élisabeth Vonarburg.  Le sujet de l'atelier?  La fantasy au Québec après Harry Potter.  Au bout de quelques minutes, j'ai regardé autour de moi en me demandant pourquoi personne ne réagissait à ses propos que je trouvais plutôt... tranchants.  Je sais aujourd'hui pourquoi personne n'a réagit, mais je me rappelle aussi des propos d'Élisabeth: si la vague Potter avait suscité un énorme enthousiasme dans le milieu, on dirait qu'elle a passé par-dessus la tête du milieu de la SFFQ sans attirer les lecteurs qui avaient pourtant trippé sur les aventures d'Harry, Ron et Hermione.

C'est l'une des façons dont se répand les genres dans la population: un livre peut faire le pont entre la littérature générale et la littérature de niche permettre aux lecteurs de ruisseler naturellement vers ce genre, d'entrer en contact avec lui et de le découvrir.  Ça s'est déjà vu, entre autre avec le roman policier et le roman d'horreur.  Des auteurs plus accessibles servent de porte d'entrée avec le genre, qui est ensuite exploré plus largement.

Mais ce ne sont pas tous les succès qui permettent ce genre de transfert.  Loin de là.  Découvrir Harry Potter n'a pas emmené des hordes de lecteurs vers les récits de fantastique, le Seigneur des Anneaux n'a pas entraîner les dévoreurs de livres vers d'autres séries du genre et les Hunger Games de ce monde n'y ont pas plus réussi.  Pourquoi donc?

J'y vois trois grandes raisons: ben, de un, souvent l'oeuvre grand public se démarque de beaucoup de ce qui se fait déjà dans le genre.  Harry Potter a rebrassé certains concepts et pour un lecteur qui n'y connaissait rien, ça sonnait nouveau.  Donc, c'était facile pour un lecteur néophyte de se dire qu'il lisait un livre révolutionnaire... même si un lecteur du genre pouvait y voir plein de liens avec des autres précédentes, possiblement même les inspirations de l'auteure.  L'aspect «nouveau» de certaines oeuvres les rend plus facile à accepter pour le grand public.  Car après tout, on ne lit pas une oeuvre de genre hein, on lit quelque chose qui vient d'être inventé!

De deux, aussitôt qu'une oeuvre a du succès, les maisons d'éditions se dépêchent d'inonder le marché de clones plus ou moins réussi.  Après Fascination, combien d'histoires de vampires aie-je vu débouler sur les tablettes de ma librairies.  Ça en était au point ou entre libraires, on se lançait un regard entendu dès qu'une quatrième de couverture mentionnait le mot vampire.  Peu de chance alors de se rendre jusqu'au corpus.  Au contraire, on dilue l'effet d'entraînement de la nouveauté qui pourrait ruisseler vers d'autres oeuvres en la gardant bien captive de livres publiés dans la foulée.  Quelle dommage pour d'autres livres qui le mériteraient pourtant tellement!

De trois et bien...  Beaucoup de gens lisent ce qui est à la mode et uniquement ce qui est à la mode.  Alors, si la vague part dans une direction, ils vont lire l'oeuvre en question et en rester là, jusqu'à l'arrivée de la prochaine vague qui les emmènera vers d'autres lectures, parfois en lien, parfois pas du tout.  C'est alors très dur de créer le lien nécessaire entre le genre et l'oeuvre porteuse, parce que justement, l'oeuvre porteuse crée sa propre niche qui une fois remplie coule ailleurs que de là où elle a jaillit.

Alors la théorie du ruissellement?  Jusqu'à un certain point, ça marche.  Mais à quel point il faut avoir des attentes quand une oeuvre d'un genre particulier résonne dans le grand public?  Je crois qu'il faut avoir des attentes très réalistes: non, une oeuvre populaire, adaptée au cinéma, lu par des dizaines de milliers de lecteurs ne transformera un genre précis en littérature grand public en quelques années.  Ça peut, mais ce n'est pas une courroie de transmission automatique.

Je crois que les oeuvres de moyenne portée sont plus efficace pour faire ce transfert.  Elles bénéficient moins d'un effet de mode et sont moins entourées d'un aura qui les mets à distance des autres oeuvres proches.  J'ai vu certaines séries plus marginales avoir un effet d'entraînement considérable à comparer à certaines séries ultra-populaire.  Parce qu'elles étaient moins intimidantes.  Parce qu'elle se laissaient découvrir plus qu'elle s'imposaient.  Et comme les lecteurs découvraient des pépites, ils voulaient en découvrir d'autres.  Le bruit de fond de l'oeuvre populaire n'était pas présent pour leur nuire dans leurs recherches.  Il n'y avait pas de bandeau de Harry Potter sur d'autres oeuvres pour les attirer, ils ont fait leurs propres recherches et ont trouvé.

C'est ce que je crois qui manque le plus aux oeuvres ultra-populaires de genre, l'absence de recherche.  Quel que soit la qualité de l'oeuvre, elle devient un tout cuit dans la bouche.  Ça ne pousse pas à chercher autre chose.  Et comme les lecteurs ne cherchent pas, ils manquent des univers entiers qui auraient pu leur plaire.

@+ Mariane