Salut!
J'entends souvent dire que le niveau des livres a aujourd'hui baissé par rapport à avant. Que l'on ne produit plus de chefs-d'œuvre, que la littérature se résume aujourd'hui à ce qui se vend, que les auteur.e.s ne sont plus capable d'écrire de grandes épopées comme dans le temps, etc, etc.
Du bon gros fumier bien odorant!
Primo, les auteur.e.s du passé n'ont pas vécu aujourd'hui et seraient peut-être bien capable d'écrire leurs grands classiques à notre époque. Vous verriez Tolstoï écrire Guerre et Paix à l'heure de Twitter? Ou Dumas commenter l'actualité sur le catalogue de visage entre deux chapitres des Trois mousquetaires? Sans compter que la société, le monde ont changé! Don Quichotte chasserait sans doute aujourd'hui les éoliennes bien plus que les moulins à vent! L'imaginaire des gens a changé et c'est tant mieux. On ne peut plus faire comme les grand.e.s auteur.e.s du passé et c'est tant mieux. Proust ferait sans doute des phrases plus courtes aujourd'hui, mais justement parce qu'il a vécu à une autre époque, on ne peut qu'apprécier la différence entre son oeuvre et notre réalité contemporaine.
Deuzio, l'effet d'entonnoir, qui fait que pas mal de romans, de poèmes, de pièces de théâtre sont aujourd'hui disparus du paysage. Vous voulez un exemple? Qui a écrit les Joyeuses commères de Windsor? Une idée? Non? Bon, ok, si vous avez fait un lien avec le titre de ce billet, vous avez peut-être fait un lien avec Shakespeare et je vous dis bravo! C'est l'une de ses pièces les moins connues et pas pour rien: c'est l'une des moins bonnes aussi. On est loin d'Hamlet ou de Roméo et Juliette mettons. Et justement, cette pièce est tombée dans l'oubli. Tant mieux!
Aujourd'hui, quand on publie un livre, qu'il soit excellent ou digne du recyclage, ils figurent côte à côte sur les tablettes des librairies. Tout le monde ou part presque au pied d'égalité. Je dis presque parce que si vous avez réussi à vous faire publier dans une grande maison d'édition, vous partez quand même avec une longueur d'avance, mais tout le monde a une chance de briller. Avancez de seulement trois petits mois et un premier écrémage a déjà eu lieu. Avancez de six et certains livres ne sont déjà plus là. Le destin de ces livres est déjà presque joué dans un grand nombre de cas: on n'en entendra plus parler, bien souvent et parfois, malheureusement. Un an après la date de publication, des livres sont déjà passés au pilon, disparus de l'horizon, pour de bonnes et parfois, de mauvaises raisons.
Imaginer cinq ans. Imaginer dix ans. Imaginer un siècle!
Ce qui m'amène à tertio: certaines oeuvres passent l'épreuve du temps et continuent à vivre parce qu'on continue à les lire. Certes, les oeuvres mal écrites passent mal la rampe, mais prenons la grande majorité. Leurs thèmes peuvent être universels, bien présentés et malgré la distance des années, continuer à toucher les gens. Elles passent l'épreuve du temps pas tant parce qu'elles sont si bonnes, pas tant parce qu'elles sont exceptionnelles, mais bien parce qu'on continue de les lire. Et parfois pour des raisons qui ont moins à voir avec leurs qualités intrinsèques que du contexte dans lequel elles sont nées. Car, on touche ici à quelque chose de profondément subjectif: qui décide de ce qui est bon ou non? Qui décide de ce qui vaut la peine d'être lu cinq ans, dix ans, un siècle après sa parution? C'est là que l'hypothèse de «dans le temps, on faisait mieux!» prend le bord. Parce que de merveilleux textes ont sombré dans l'oubli.
Catherine Bernard a été l'une des grandes autrices de théâtre de la fin du 17e siècle. Avez-vous déjà entendu parler d'elle? Non? Bizarre hein? Une femme qui en son temps a fait vibrer les foules avec ses tragédies, qui a été complètement oubliée depuis. Au premier plan de son vivant, accusée après sa mort de ne pas vraiment avoir été l'auteure de ses textes par nul autre que... Voltaire . Parce qu'il avait titré une de ses pièces du même nom qu'elle, Brutus, il a laissé courir la rumeur qu'elle n'avait pas vraiment écrit la sienne pour la discréditer! Et si on avait retenu le Brutus de Catherine Bernard au lieu du Brutus de Voltaire, quel serait le paysage littéraire de notre époque? Ceci n'est qu'un exemple de ce qui a pu mener un texte vers la porte de sortie de l'histoire qui n'a rien à voir avec le texte lui-même. Si on avait préféré les contes de la Baronne d'Aulnois à ceux de Perreault? Si on avait privilégié les textes de Wilkie Collins à ceux de Charles Dickens? Multiplier ça par des dizaines, des centaines, que dis-je des milliers d'exemples. Il y a des choix qui ont été faits pour nous, parfois des siècles avant notre naissance, par des gens qui n'avaient pas notre sensibilité, nos goûts et notre appréciation de la littérature.
Des textes publiés aujourd'hui sortiront quelques textes qui sauront faire leur chemin dans la durée. D'autres seront redécouverts plus tard. D'autres ne seront que des étoiles filantes dans le ciel littéraire. Comme certaines pièces de Shakespeare.
@+ Mariane
2 commentaires:
L'historienne ajouterait : on ne peut pas savoir quelles oeuvres contemporaines passeront dans le canon. Il faut du recul pour déterminer ce qui reflète son époque dans tout ce qui s'y essaie.
@Gen, oui en effet, j'ai oublié de dire ça dans mon billet!
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