Salut,
Adolescente (oui, l'histoire date de plus d'une vingtaine d'années!), il m'arrivait parfois de me retrouver en «gang» pour faire des partys. Je n'étais pas party animal quand j'étais adolescente, bien que je n'étais pas autant du genre à me coucher à l'heure des poules. Lors de l'une de ces soirées où tout le monde se mêle et où tout le monde finit par se raconter des histoires chacun de son bord, une des personnes que je fréquentais s'était mise à raconter une anecdote pas trop joyeuse: quelques années plus tôt, elle avait eu un accident de voiture. OK, ce n'est pas drôle. Mais ce dont je me souviens aujourd'hui, ce sont ses yeux écarquillés et faisant des allers-retours entre le haut et le bas, tandis qu'elle racontait la voiture faisant des tonneaux et qu'elle voyait alternativement le ciel et la terre.
Même son doigt faisait le geste de la voiture qui tournait dans les airs.
Le ciel, la terre, le ciel, la terre.
Puis-je vous avouer? Au moment où elle le racontait, j'étais morte de rire. Parce que de la façon dont elle le racontait, c'était tordant. Tout était là: les effets comiques, le ton, l'histoire tellement folle, les protagonistes qui se hurlent les choses les plus idiotes ou totalement hors de contexte. Par exemple, la personne qui nous racontait l'histoire s'était d'abord plainte d'être prise dans sa ceinture de sécurité... ce qui était logique parce que la voiture avait atterri sur le toit! Sa tante, qui était au volant, l'avait engueulée parce qu'elle ne se rappelait plus comment déboucler sa ceinture! Bref, on était quelques personnes à se pisser dans les culottes en l'entendant raconter. Et pourtant, quelques secondes après, elle nous avait avoué, les yeux embués, que ce souvenir était pour elle traumatisant. Sa façon de le raconter en avait fait une histoire abracadabrante et extraordinairement drôle. Je pense, des années après, que le fait qu'elle nous avait raconté cette histoire de cette façon avait été pour elle une façon de l'exorciser, de la raconter sans tomber dans le pathos où on lui serait tous tombé dans les bras en pleurant. Ce n'était pas ce qu'elle voulait. C'était (et c'est toujours) une personne très forte.
Je ne me rappelle plus des détails de son histoire, forcément, ça fait un bail, mais ses yeux et le ton de sa voix quand elle racontait, oui.
Le ciel, la terre, le ciel, la terre.
Une anecdote pas très drôle dont elle avait fait une histoire désopilante.
On peut raconter une histoire comme Shakespeare et en faire une tragédie touchant le coeur de l'âme humaine. Ou l'on peut prendre le parti inverse et en faire une histoire à vous faire mal aux côtes à force de rire. Ce n'est pas l'histoire qui est en elle-même tragique ou comique, c'est la façon dont on la raconte: le choix des mots, des expressions, du rythme, de la narration, tous ces petits éléments changent notre perception d'une même histoire. Donnez exactement le même texte à un humoriste et à un acteur tragique et vous comprendrez vite la différence, même si l'histoire racontée est la même.
La personne qui raconte est celle qui fait la différence, quel que soit son outil: pour l'écrivain.e, les mots, pour l'acteur.rice, son visage et sa voix, pour le réalisateur.rice, le choix des images et des angles de caméra. Certes, il y a aura toujours des drames duquel il sera plus difficile de rire: des tragédies, des drames, surtout quand les victimes sont nombreuses. Et des histoires drôles qu'il sera difficile de prendre au sérieux. Après tout, même si la personne se casse quelque chose, on aura tout d'abord tendance à rire devant une chute rocambolesque!
Aucune histoire n'est intrinsèquement désopilante ou tragique. Les histoires sont ce qu'on fait d'elles.
@+ Mariane
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