lundi 21 décembre 2020

Éjecter l'auteur(e) de l'oeuvre

 Salut,

À la lumière de quelques controverses qui ont secoué les fandoms en 2020 (vous avez entendu parler des tweets d'une certaine J.K. Rowling?), quelques phrases sont revenus souvent: «L'oeuvre appartient au fandom», «On a plus besoin de l'auteur(e)» et autres phrases types du même acabit.  Ces petites phrases m'ont toujours fait sourciller.  Bon, pas besoin de me le dire, je le sais, l'oeuvre, n'est pas la personne qui l'a écrite et la personne qui l'a écrite n'est pas l'oeuvre.

C'est cette notion que l'on peut éjecter un créateur de son oeuvre qui me chicote bien plus.  La formulation en tout cas.  C'est une question qui a tourné un bout de temps dans la roue de mon hamster.  Comment expliquer mon malaise?  Comment mettre des mots dessus?  J'ai abordé le sujet avec quelques amis, mais sans réussir à vraiment comprendre ce qui me dérangeait tant.

Et puis, j'ai repensé à un livre, que j'ai lu il y a quelques années, Comme par magie d'Élisabeth Gilbert, l'auteure de Mange, Prie, Aime.  Elle racontait au début comment elle avait vécu le succès de son désormais célèbre livre.  Elle faisait une comparaison avec une baleine qu'elle avait vue dans un musée alors qu'elle était enfant.  La baleine était au-dessus d'elle, elle la regardait et...  c'était quelque chose qu'elle regardait sans pouvoir y prendre part.  C'était juste là, bien trop gros pour elle.  Elle comparait avec son oeuvre, en disant que le phénomène avait lentement augmenté qu'il était devenu une baleine au-dessus d'elle, sans grand rapport avec elle, que c'était juste là, et qu'il n'y pouvait plus grand-chose.  Bien sûr la partie promotion lui appartenait, la partie publique, le visage de tout cela était le sien, mais le lien intime entre les lecteurs et lectrices et le livre, l'énergie que cela leur donnait de se mettre à en parler avec leurs ami.e.s, de voyager partout,  de se bourrer la fraise de mets italiens et de prendre des cours de yoga... ne lui appartenait pas.

C'est un peu la même chose quand on pense à tous ces fandoms qui ont fleuris avec l'arrivée d'internet.  L'énergie que les fans mettent à lire avec frénésie, à se costumer comme les personnages, à guetter la moindre information issue de leur univers, à écrire des fanfictions est issue de l'oeuvre.   C'est là que je tique.  Oui, une partie des fans vont tripper sur ça et n'iront pas plus loin.  Je suis dans cette catégorie.  D'autres iront plus ou moins loin, du mordu expert fan des moindres détails de l'univers à celui qui animera des forums de discussions, en passant par celui qui se fera tatouer les personnages ou des citations...  Est-ce l'oeuvre comme tel?  Je crois que rendu à ce point, l'auteur.e est déjà rendu loin.  Il ou elle est la personne qui peut apporter de l'eau à un moulin qui tourne déjà à vive allure, mais les fans ont déjà créé leur propre univers à partir de celui déjà créé.  Ils se le sont approprié.

Dans ce genre de fandom, l'auteur.e est comme une figure tutélaire, dont la parole est écoutée à des degrés divers, qui vont du respect poli à l'adulation pure et simple, ce dernier statut était encore plus facilement accessible si l'auteur.e est mort.e.  Sauf que comme toute construction humaine, le moteur qui fait rouler est fait de la foule en marche, pas d'un individu.  Et que si un individu peut mener la marche, quand la foule décide de ne plus suivre ses instructions et ben, il est rendu à son statut de quidam. C'est un peu ça quand on parle d'éjecter un.e auteur.e d'une oeuvre: la foule décide de suivre son chemin ailleurs, emportant avec elle un univers qu'il s'est complètement approprié et dont l'auteur.e était une des sources, la plus importante, la plus ancienne, mais qui n'était déjà plus nécessaire pour que le moulin continue à tourner.

C'est un peu comme bien de grandes institutions humaines, il arrive un point où la roue tourne d'elle-même.  C'est un phénomène qui s'est avéré autant avec de vieux principes, comme les religions ou les démocraties.  Dans ces cas-là aussi, la communauté a pris le pas sur l'impulsion d'individus qui l'on porté au départ.  La nouveauté, c'est que les oeuvres artistiques sont touchées par la même ferveur et se constituent, se renouvellent et s'alimentent par elles-mêmes.  

Dans un sens, quand on dit qu'un fandom n'a plus besoin d'un.e auteur.e, on ne fait que dire que le fandom refuse désormais d'écouter la source de son univers.  La séparation entre les deux avait de facto eu lieu longtemps avant.

@+ Mariane

2 commentaires:

Gen a dit…

Je me sens un par rapport à tout ça comme si l'auteur portait le monde en lui. Avec ses livres, il laisse les fans y entrer. Maisune fois qu'ils y sont, l'auteur n'y peut plus rien. Il peut créer d'autres livres, ouvrir des portes sur d'autres coins de son univers, mais restera aux fans de choisir s'ils y entrent ou pas. En ce sens, l'oeuvre appartient aux lecteurs eg oui, l'auteuren est séparé. Les lecteurs ont juste pas le droit d'ouvrir des portes à leur tour et de les faire passer pour des vraies.

Prospéryne a dit…

Une autre façon de voir en effet!