lundi 7 décembre 2020

De la géographie: Des liens entre les territoires et les humains

Salut!

La joke me fait encore rire même si ça fait des années que je l'ai entendu pour la première fois.  Un des vaillants premier colon français à venir s'installer ici, un brave originaire de Normandie, a construit sa maison selon la bonne vieille méthode ancestrale de par chez-lui.  Un modèle comme celui-ci:


À la première tempête, notre brave colon sort de chez lui et constate qu'une bonne couche de neige est tombée.  Il s'habille convenablement, franchit le seuil de sa demeure et à la mode de l'époque, tire la poignée en donnant un bon coup pour bien fermer la porte.  Résultat?  Toute la neige accumulée sur sa toiture lui est tombé sur la tête!  Voilà donc la raison pour laquelle les toits des maisons canadiennes ont cette forme si particulière, la pente du toit finissant en douceur vers la fin et s'arrêtant plus loin que la porte d'entrée.  Comme ceci.



Bon l'anecdote est peut-être fausse, mais n'empêche, la fameuse pente adoucie des toits canadiens est très présente sur notre territoire et oui, elle s'explique par une adaptation du modèle normand aux rigueurs de notre climat, particulièrement à la neige.

Ceci est bien évidemment tirée de notre territoire, mais ce genre d'anecdotes va se retrouver à travers l'ensemble des territoires habités par les humains.  Telle toiture sera plus solide pour supporter la neige ou plus étanche pour supporter la pluie.  Tel immeuble sera construit de façon à résister aux tremblements de terre et tel autre aux froids intenses.  Les routes seront larges et pavés ou étroites pour avoir le plus possible d'ombres et éviter que le soleil ne les réchauffent trop.  La densité de la population et les besoins de celles-ci expliquent aussi beaucoup de choses.

Parce que voilà, les humains ont besoin de se protéger du froid, du soleil, de la pluie et du vent, de manger et de boire de façon à peu près égale partout sur la planète.  Mais les ressources et les contraintes des territoires varient énormément.  D'où l'extraordinaire créativité des humains pour tirer le maximum de leur territoire.  Et comme les ressources sur un territoire sont communes, les connaissances et les compétences finissent par se transférer entre les individus, puis dans les communautés.  Un comportement s'ancre et devient culture, parfois très éloigné des raisons originales pour lesquels il a été adopté.  C'est pourquoi, même à des milliers de kilomètre, les individus préféreront manger certains aliments (comme les premiers immigrés français en Amérique, qui se sont empressés de planter du blé, au lieu d'adopter le maïs), plutôt que de vivre sur les ressources naturelles du territoire.  Je parle d'aliments, mais je pourrais parler de tellement de choses différentes.  

Par exemple, je pourrais parler d'architecture, comme en ouverture de ce billet.  Je pourrais parler de la façon dont on cultive la terre (régime seigneurial versus canton devrait sonner une cloche à quelques personnes qui ont fait leur cours d'histoire dans les années 1990...).  Je pourrais parler de la façon de diviser les pièces d'une maison, de la façon dont les peuples de cultures arabes, tout comme les romains, avaient leur cours au centre de la maison et que les occidentaux l'ont en-dehors.  Je pourrais parler de l'art des jardins, de la façon de voyager, bref, de tas d'autres choses.  

Pris isolément, chacun de ses éléments prennent racine dans un territoire, dans un peuple.  Sauf que les humains voyagent, se parlent, échangent, s'admirent, se conquièrent parfois les uns les autres.  Cela donne un joyeux mélange.  Une invention peut avoir été faite ici, mais être devenue populaire là, pour des raisons pratiques, économiques, politiques, religieuses ou tout simplement de mode.  Et souvent, le plus fort impose ses innovations aux autres.  Pourquoi croyez-vous donc que l'image d'un berger résonne si fort dans tout le monde occidental, alors qu'il n'y a pas grand monde qui aie jamais vu un mouton dans la majorité de ces pays?  Parce que c'était une image forte pour un peuple en particulier, le peuple hébreux, qui vivait dans un territoire où le mouton était un animal d'élevage parfaitement adapté au territoire, qui en a fait une image forte de son imaginaire, qui s'est transmis à son imaginaire religieux, qu'il a transmis à d'autres.  Par un jeu de bascule, qui s'est joué sur des siècles, la situation de départ qui était régionale, voir locale d'une territoire, s'est transmis à d'autres et a fini par devenir un trait culturel d'une civilisation.  Évidement, dans notre monde globalisé, on peut avoir l'impression que les particularités régionales parfaitement adaptées à leur environnement s'effacent au profit de technologies et de ressources provenant de loin.  Mais comme l'a prouvé l'Histoire, rien n'est jamais statique dans ce domaine.

Voyons maintenant les liens avec la fiction.  Je dois avouer que c'est le thème avec lequel j'ai passé le plus de temps à réfléchir étant donné que cette notion de liens entre les territoires et les peuples qui les habitent n'est pas nécessairement évident ou dominant dans la fiction.  Je prends donc un petit détour en poussant une petite pointe vers l'univers d'À la croisée des mondes de Philip Pullman (je recommande fortement de voir la série télé!).  Ici, les territoires sont les mêmes puisqu'il est établi dans la série que plusieurs mondes partagent les mêmes lieux, mais dans des univers séparés.  Donc, l'Oxford de Lyra et l'Oxford de Will sont sur le même territoire, mais sont issus de cultures différentes.  Cela se voit à différents niveaux.  L'emprise du religieux est beaucoup plus puissant dans le monde de Lyra et des technologies ont été davantage poussées (l'utilisation des dirigeables et des montgolfières entre autres), contrairement à d'autres qui le sont bien plus dans le monde de Will (comme l'électronique), qui dépendent du développement des connaissances scientifiques, libres donc de remettre en question les dogmes religieux.  Les possibilités sont à la base les mêmes, mais la culture du territoire dont est issu le pouvoir dominant dans le monde de Lyra a structuré le monde d'une façon différente.  Ce qui fait que  l'organisation du territoire, les sources d'énergie exploitées et les façons dont elles le sont sont différentes.  Ce qui fait que dans deux territoires parfaitement semblable, on puisse donc retrouver des différences aussi importantes dans l'organisation du territoire.

Bon, 2020 achève, une année que j'aurais passé à vous parler de géographie humaine.  On va terminer ça en beauté avec la fin de l'année et le dernier thème que j'aborderai dans cette série de billets et que je gardais comme dessert: la ville.

@+ Mariane

5 commentaires:

Gen a dit…

Pour la différence entre cantons et régime seigneurial (et le découpage de territoire différent que les deux méthodes créent), un professeur avait attiré notre attention sur le fait que les deux méthodes ne considèrent pas l'eau de la même manière. Dans le régime seigneurial, l'eau appartient à tout le monde, c'est un bien royal et donc commun, et on ménage pour tous un accès à la rivière ou au fleuve. Tandis que dans le régime des cantons, l'eau est propriété privée : t'as pas d'accès à l'eau sur ton bout de terre? c'est plate pour toi, arrange-toi pour louer un accès à ton voisin ou acheter sa terre ou crève, tout simplement. En Angleterre, où y'a de l'eau en masse qui tombe du ciel, c'était pas vraiment un problème, mais dans certains coins du monde, ce découpage a mené à un capitalisme sauvage. C'est fou pareil!

Prospéryne a dit…

Exact Gen, l'accès à l'eau (quand elle tombe du ciel, c'est en effet pas un problème!) devient un enjeu différent. C'est une ressource l'eau et donc, le lien entre le territoire et le peuple qui l'habite n'est pas le même. Merci, tu me rassures, y'a au moins une personne qui m'a comprise!

Gen a dit…

Lolol! J'suis sans doute pas seule : t'es super claire!

Nathalie FT a dit…

Oui et pour avoir fait aussi mes cours d'histoire dans les années fin 80- début 90 en France et surtout avoir eu un intérêt pour l'archéologie et les monuments en tout genre, je peux te dire que c'est très clair, bravo.
Note qu'en France par exemple, le nord a des toitures plus en ardoises et le sud en tuiles de terre cuite. La proximité du matériau est importante aussi dans les habitations. Lyon est à cheval et plus au sud, donc des toitures en tuile. Les habitants ont recyclé les monuments romains pour construire la cathédrale St Jean.. cela coûtait cher de transporter des matériaux, donc parfois on réemployait aussi. Pour cela aussi que dès l'époque médiévale les corporations du bâtiment dont les membres voyageaient (compagnons du Tour de France) avaient un atout supplémentaire : connaître des techniques variées et utiliser des matériaux parfois peu ou pas connus. Vu d'ici, la France semble petite mais la grande variété des constructions tient justement aux climats si différents entre l'est et l'ouest, le nord et le sud, les invasions diverses, la migration des techniques et les éléments disponbiles. Lyon a un air très italien au 15e siècle, mais l'Italie est proche et la Suisse aussi.. Les maisons de type breton qu'on voit à Québec soulignent aussi l'origine des habitants. Les églises dont le toit est en carène de navire renversée doivent leur structure aux charpentiers de marine.. bref, oui c'est passionnant et je dévie ;)

Prospéryne a dit…

@Nathalie, Le territoire est souvent quelque chose de très proche des gens, ce sont les lieux qui les entourent naturellement, à une journée de marche de circonférence à une époque pré-automobile. La notion a aujourd'hui beaucoup changé, mais tu as raison, la France était autrefois constituée d'une multitude de territoires, chose qu'on a tendance à oublier, en se disant, en France, c'est comme ça, en Allemagne, c'est comme ça, etc. Ces normalisations sont un processus récent qui ne tient pas compte des particularités régionales, ancrées dans le territoire.