lundi 27 mai 2019

C'est l'histoire d'une fille et de sacs de sable...

Salut!

Pour ceux qui ne savent pas, j'habite un arrondissement de la ville de Montréal qui a été visité par les eaux de sa rivière avoisinante par deux fois au cours des dernières années.  De façon un peu trop généreuse.  Je fais partie des chanceux qui n'ont pas été touchés, à part par des fermetures temporaires de route (et par une bonne frousse la première fois!).  Cette année, durant l'après, mon arrondissement a demandé des volontaires pour défaire les digues et ramasser les sacs de sable.

Je me suis donc présentée, un beau samedi matin de mai, au poste des bénévoles de la ville de Montréal.  Je me suis retrouvée avec une équipe fort charmante formée d'un représentant scout, d'un retraité et d'un vietnamien dont je n'ai jamais compris les motivations à être là, à part, comme moi, d'une volonté d'aider son prochain.  Constatation arrivée sur place: comme bien souvent dans ma vie, je me suis retrouvée la seule fille parmi une gang de gars.  Et il fallait lever des sacs de sables, parfois gorgés d'eau.  Ok, je ne me suis pas mise au bout de la chaîne humaine pour les lever du sol.  J'ai essayé de les lever, mais je n'étais pas capable.  J'ai laissé cette tâche à d'autres.  Par contre, j'étais capable de transporter les sacs une fois en l'air et je n'ai pas rechiné à lever des sacs de 50 lbs, voir plus (merci les arts martiaux pour la bonne forme physique et l'art de bien placer son poids pour forcer le moins possible!)

J'étais donc là, dans une équipe de joyeux bénévoles maniant le franglais comme un art (j'habite dans le West Island), quand une dame dont je défaisais la digue me lance:

-Vous devriez pas faire ça madame, c'est lourd ces sacs-là!

-(passe un sac de 20 lbs) C'est pas grave!

-Vous êtes sûre!

-(passe un sac de 50 lbs gorgé d'eau) arg, ben non, c'est pas grave!

J'étais prévenue!  Je le savais que la demande de bénévolat était de ramasser des sacs de sable.  Je le savais que le travail serait physique.  J'y suis allée quand même.  Pourquoi pas?  Je me savais capable de le faire!  Suis-je partie de là éreintée?  Certes!  Est-ce que j'ai eu des bleus/des courbatures le lendemain?  Certes!  Mais pourquoi mes bleus et mes courbatures seraient plus importantes que celle d'Eric le retraité, de Martin le chef scout ou de Dong le vietnamien?  Parce que je suis une femme?

J'espère que ce n'est pas un critère....  La plupart de mes nombreux confrères de corvée ont d'ailleurs, avant mon départ, souligné mon coeur à l'ouvrage.  J'étais la minorité visible.  J'étais la femme qui forçait.  Le hic, c'est que je ne me voyais pas comme une exception.  Mais bien comme une règle non appliquée...  Quelle femme n'est pas capable de soulever un 50 lbs?  Aucune?  Prenez un enfant de quatre ans dans vos bras: c'est pas loin de 50 lbs!  On est capable mesdames!  Mais quand c'est un sac de sable, oups, non, tout à coup, c'est trop lourd, on est pas capable...  Mais si mesdames!  Et vous le faites à tous les jours.  Vous le feriez en cas d'urgence!  Alors pourquoi pas?

C'est une frontière invisible.  Forcer, c'est une job de gars.  Comme de porter un fusil dans l'armée.  Comme de prendre la parole en politique.  Comme de faire rire les gens en riant d'autres choses que de son poids.  Comme de couper la parole dans une réunion parce que la personne devant soi blablatte sans intérêt...

C'est percer un plafond de verre.

Pour moi, ce n'est pas un personnage de fiction qui m'a inspiré.  Ce sont mes tantes.  Mes tantes que mon grand-père, fermier, a toujours traité comme ses garçons.  De sont elles qui conduisaient le tracteur, levaient les balles de foin de 75 lbs jusqu'à la réserve, sortaient les vaches et pestaient contre la mécanique.  Beaucoup plus tard (et je jure que c'est vrai!), j'ai croisé un prof de cégep qui a grandit dans le même village que mon père.  Un de ses souvenirs marquants datant de son enfance, est le souvenir de ma tante (oui, ma tante!), menant d'une main de fer le cheval familial jusqu'à l'école du village, arrêtant pour prendre en chemin le gamin qu'il était....  De ça, mon père a tiré une leçon: les femmes sont aussi forte que les hommes moyens, restent juste les muscles à développer.  Il l'a appliqué à son fils, un poids plume jusque dans sa trentaine et à sa fille, qui a levé et charrié des bûches pour remplir le poêle jusqu'au départ de la maison familiale (on chauffait au bois... Ça a été une bénédiction durant le verglas en '98!)

Mon père m'a montré qu'une femme était capable de faire la même chose qu'un homme, que la seule différence était les capacités physiques (je levais des bûches plus lourdes que mon frère à l'adolescence).  Mon père m'a appris que rien n'était à mon épreuve, suffisait de bien évaluer mes forces.  Ma mère m'a appris à coudre, à cuisiner et à ne jamais accepter de me laisser limiter par quoi que ce soit.  Mon frère m'a appris à tuer des monstres sur des jeux vidéos, à pester contre les lenteurs d'internet à à conduire en hiver (même s'il reste la seule personne avec qui j'ai jamais pris le champ lors d'une tempête!).

Alors, pourquoi est-ce que les personnages qui me ressemblent restent l'exception en fiction?

@+ Mariane

4 commentaires:

Gen a dit…

Ah cette maudite mentalité de "Voyons, laisse un gars forcer! Tu vas te faire mal!" Alors que selon mes expériences personelles:
1- Une fille entraînée est plus forte qu'un gars non entraîné (même s'il pense le contraire)
2- La fille n'ambitionnera pas : si elle est capable, elle va le faire, si elle n'est pas capable, elle ne forcera pas tout croche pour réussir par simple orgueil
3- (partant du point 2) J'ai jamais vu de fille se blesser sérieusement en faisant du travail physique, mais les gars me semble que ça arrive tout le temps!

C'est pas mêlant, après quelques corvées physiques où j'étais (comme toi) la fille au milieu des gars, j'en suis venue à ne pas vouloir laisser les gars autour de moi forcer! Lol! Ils se font mal trop souvent! Donnez-moi des filles entraînées ou des mamans d'enfants de 4 ans à la place, pis on va vous le déménager votre voyage de garnotte! :p

Prospéryne a dit…

Je crois qu'on va résumer ainsi: une fille qui va forcer, elle va être là pour faire la job. Les gars, eux, ils sont là, en partie, pour montrer aux autres gars qu'ils sont capables de le faire. Ça fait toute une différence!

Et puis, une fille entraînée, on voit bien ce que ça peut finir par faire ;)
https://www.youtube.com/watch?v=V8-kLIyp3jY

Gen a dit…

Whoa! (Pis on s'entends-tu qu'elle a pas l'air sur-musclée? Elle force juste de la bonne manière!)

Prospéryne a dit…

Exact!