lundi 20 février 2012

Le numérique et les librairies

Salut!

Je suis plusieurs sites ou blogues qui parlent du numérique.  Souvent en grinçant des dents, parfois en rageant, mais la plupart du temps, je me tais.  Je sais que je parlerais dans le vide et que bien des fans du numérique sont tellement crinqués et pétris de leurs idées que de leur faire voir un autre point de vue est comme de remettre en question la Bible dans une assemblée de Mormons...  Soyons honnêtes, je ne magasine pas les claques et je ne cours pas après les tomates.  Je garde mes idées pour moi sur ces sites, mais disons que je n'en pense pas moins.  La plus grande connerie que j'y lis?  Que les libraires sont contre le numérique.  Quelle belle foutaise de la pire espèce!  C'est le numérique qui n'aime pas les libraires, pas l'inverse.

Soyons honnêtes, est-ce que je suis contre le numérique?  Non, pas du tout.  Je ne suis vraiment pas convaincue que ce soit pour moi, mais disons que je ne suis pas contre pour autant.  Tout comme le papier, il a ses avantages et ses inconvénients.  Si on me pose des questions sur le numérique en magasin, je réponds à toutes les questions que je peux.  Je manque parfois d'informations, je ne sais pas tout et j'ai parfois l'impression d'être un funambule en faisant ça, mais je le fais.  Les gens veulent connaître le numérique et veulent en acheter, ce n'est pas à moi de décider pour eux.  Je sais que quelques clients viennent me voir et achètent leurs livres en numérique.  J'espère qu'ils le font sur notre site internet, mais je n'ai aucune preuve et je ne le saurais sans doute jamais.  Tant pis.  C'est ainsi.  Mon boulot, c'est de faire connaître des ouvrages, des auteurs et de donner le goût de lire.  C'est dans ça que je suis la meilleure et je ne m'en prive pas. 

Alors les libraires, contre le numérique?  Pas du tout.  Mais ça emmène énormément de défis.  Ça c'est indéniable.  Et un sacré changement de paradigmes et de façons de faire.  On s'adapte, sans doute pas aussi vite que d'autres, mais on fait face.  Amazon avait déjà changé et de beaucoup la donne, mais la difficulté, c'est surtout de s'adapter au niveau des technologies.  Avec le numérique, je passe d'une spécialiste du livre à une spécialiste des technos des liseuses et des logiciels disponibles pour le livre numérique.  Vraiment pas ma tasse de thé.  Et ensuite, la difficulté, c'est que je vends du vide.  Des séries de 0 et de 1 alignés dans des fichiers compressés.  Ça me prend un ordinateur comme interface entre moi et le livre numérique pour en parler au client, pour lui permettre d'avoir un contact avec lui.  Et c'est d'autant plus difficile que j'ai l'habitude de fourrer le livre entre les mains des clients pour qu'ils puissent le découvrir.  Là, je ne peux plus faire ça.  Il m'arrive de vendre des livres qu'on a pas en magasin, quand les gens cherchent un livre et que je l'offre parce qu'il est disponible sur commande, mais encore là, je le connais.  Je peux en parler, le décrire, l'expliquer, le faire découvrir.  L'offre numérique, je la connais moins, je ne la vois pas en magasin, je n'ai pas d'occasions de la tâter, de lire les résumés, de feuilleter un peu les livres numériques sur mes heures de boulot.  Du moins, très peu.  N'ayant pas le livre entre les mains, je dois fouiner pour connaître l'offre numérique.  Et même si je fouille pour connaître et comprendre l'offre numérique, ce n'est pas comme avoir le livre entre les mains.  Et malheureusement, autant pour eux que pour nous, rare sont les éditeurs numériques qui prennent la peine de nous démarcher pour nous faire connaître leurs nouveautés*.  C'est toujours plus facile pour moi de parler de livres que j'ai lu et, hélas, je ne suis pas équipée pour lire du numérique.  Investissement à faire trop important pour moi.  Un jour, pas trop lointain j'espère, j'aurais une liseuse pour pouvoir avoir accès à cette production littéraire.  Je déteste avoir à dire ça, mais le sésame avec le numérique, c'est la liseuse ou la tablette.  Si on a pas la technologie, on peut difficilement plonger.  L'avantage du livre papier, c'est qu'il est à la fois le contenu et la technologie pour l'utiliser. 

N'empêche, on sent souvent une hostilité entre le numérique et les libraires.  J'assume que de mon côté, on aime pas trop cette technologie qui vient bouleverser nos plates-bandes si bien entretenues.  Ça nous oblige à faire face à des réalités qu'on aurait mieux aimé laisser de côté, mais en regardant ce qui est arrivé à l'industrie du disque, on peut se sentir chanceux d'avoir eu quelqu'un qui nous a montré ce qu'on risquait si on ne se bougeait pas les fesses.  Ce qu'on a fait.  Mais de l'autre côté, parce qu'on vend encore des livres papiers, on est traité de réactionnaires.  Et surtout, surtout, je crois que beaucoup de l'amour-haine des libraires envers le numérique vient de ce que dès l'avènement de celui-ci, quelques fortes gueules ont hurlé qu'on allait enfin se débarrasser des libraires et des librairies et des autres membres de l'écosystème actuel du livre.  Comme si on était des voleurs.  Comme si on voulait contrôler les lectures des gens.  Hélas pour eux, on peut recommander ce qu'on veut, ce sont les gens qui décident de ce qu'ils lisent, conseils de libraire ou pas!  C'est aussi méconnaître le rôle essentiel des librairies dans la diffusion de la littérature et de la connaissance que de nous réduire au fait que l'on vend plus cher qu'Amazon ou Wal-Mart.  Oui, on le fait, à la fois pour pouvoir survivre et aussi pour pouvoir avoir en magasin une offre variée.  Pour pouvoir faire notre boulot en somme.

Non, les libraires ne sont pas contre le numérique, mais on n'aime pas toujours la personne qui nous oblige à relever des défis et à revoir de fond en comble les bases de notre métier.  Taper sur le messager est souvent plus simple que de se retrousser les manches.  Ce qui ne veut pas dire que l'on soit inutile ou obsolète.  Je suis certaine que les partisans du numérique sont contents quand on parle de leurs ouvrages.  C'est notre boulot, mais même s'ils gueulent contre nous, ils finissent par reconnaître l'avantage de voir quelqu'un qui s'y connaît en littérature parler de ceux-ci.

Une chose est sûre: j'ai besoin d'une liseuse.

@+ Prospéryne

P.S.  Même si je parle en on au nom des libraires dans ce billet, je dois cependant dire que cela ne reflète que mes opinions.
* Je tiens d'ailleurs à dire un grand merci ici aux Éditions ELP de me faire parvenir les argumentaires de leurs nouveautés, c'est vraiment apprécier.

6 commentaires:

ClaudeL a dit…

Ouais, pas que le dilemme!
C'est pire que le changement du VHS au CD ou la transition entre le vinyle et le MP3! Parce qu'alors, il s'agissait du même produit, tandis que le numérique et le papier, souvent, pour l'instant en tout cas, ce sont deux mondes bien différents: certains auteurs ne publient qu'en numérique et ça ressemble à du compte d'auteur et il y a l'autre numérique qui est la version numérique du roman qui existe déjà en papier. Ce dernier au moins, le libraire peut plus connaître.

ClaudeL a dit…

Coudonc, vous êtes-vous donné le mot? As-tu lu:
http://lapresseaffaires.cyberpresse.ca/cv/201202/20/01-4497860-la-vocation-de-libraire-a-lere-numerique.php

Prospéryne a dit…

@ClaudeL, intéressant, en effet, l'édition numérique tourne bien souvent le dos à l'édition papier et développe ses propres créneaux. J'aime pas vraiment cette attitude de vouloir absolument mettre la totalité du passé de côté pour repartir à neuf, mais j'y peux rien. Merci pour l'article, je vais y jeter un coup d'oeil. Aucun lien, j'ai écrit ce billet il y a bien deux semaines!

Jean-François a dit…

Si tu ne l'a pas déjà vu, regarde ceci : http://www.youtube.com/watch?v=Q_uaI28LGJk

En tant que libraire, je vis les mêmes problèmes. Moi aussi je vais avoir besoin d'une liseuse... mais laquelle ? Un livre c'est facile!

Prospéryne a dit…

@Jean-François, ah oui, déjà vu cette vidéo et je l'ai adoré! :D Je suis heureuse de voir que je ne suis pas la seule libraire à avoir des problèmes avec les liseuses. La marque, le modèle, le prix, les formats de fichiers acceptés... Alouette! Les livres sont beaucoup plus facile au final. Au fait, as-tu vu passé le livre La liseuse de Paul Fournel? Un éditeur qui prend contact avec une liseuse. En tout cas, ça a l'air intéressant... même si c'est publié en papier!

Jean-François a dit…

La liseuse, ca pique ma curiosité! J'ai vu le livre dans nos rayons, mais je n'ai même pas regardé la 4e de couverture.

Je regarde ca en arrivant au boulot!