dimanche 16 octobre 2011

Quand un livre fait du bruit

Salut!

Je ne parle pas ici de quand j'échappe une pile de livres: oui, ça fait du bruit (beaucoup), mais ce n'est pas de ce genre de bruit-là que je veux parler.  C'est plutôt de l'effet Tout le monde en parle, quand effectivement, tout le monde en parle!  Quand une bonne dizaine de clients arrivent en une journée pour me demander exactement le même livre, tous avec l'air de m'apprendre une grande vérité que je ne saurais pas encore.  Passé le premier client avec cet air mi-ahuri, mi-conspirateur, je peux vous le dire que j'ai retenu le titre et qu'il n'y a pas de problèmes.  Et qu'habituellement, je m'amuse, enfin, quand je le retiens à dire au client surpris: vous êtes juste le sixième à m'en parler aujourd'hui Monsieur!

Il y a différents moyens de voir les livres faire du bruit, faire un buzz dans le jargon des médias.  Il y a l'effet télévisuel.  Ça, il est facile et rapide à voir.  On le sait le lendemain du passage de la personne à la télévision.  On nous demande le livre du gars ou de la madame qui est passé à Tout le monde en parle la veille.  Ou encore du gars ou de la madame (honneur aux dames pour dire madame pour les femmes et le gars pour les hommes?) qui est passé à Denis Lévesque la veille.  Je me demande d'ailleurs dans son cas quand il va avoir un site internet digne du XXIe siècle celui-là parce que j'ai toujours un début de migraine qui pointe quand on parle de son émission, il ne met jamais les références sur son site web et comme je n'ai plus le câble depuis au moins 3 ans, ben, je l'écoute pas!  L'effet télévisuel est rapide, immédiat et habituellement, je ramasse la pile de copie que j'ai dans le magasin et je la mets sur le dessus de mon bureau afin de m'éviter de faire des pas inutiles pour aller chercher la copie désirée par le client à l'autre bout du magasin 6 fois par jour.  Ok, le magasin est grand, mais tout de même, j'ai des tas de choses à y faire à part du conditionnement physique à courir partout!

L'autre buzz, c'est à la sortie d'un livre, surtout si c'est la suite d'une série ou encore que c'est une nouveauté d'un auteur connu. Là, on a des gens qui se pointent à l'heure d'ouverture pour me le demander, la bave au coin de la bouche et les yeux brillants.  Je vais vous confier un secret de Polichinelle: ça sert à rien de vous pointer à mon comptoir à 9h30 le matin, les livres, ils sont livrés la journée de leur sortie, alors, le matin, ils sont pas arrivés!  Et l'un de nos chers transporteurs a la malheureuse habitude de nous livrer le tout à 4h30, alors, je peux vous dire que je trouve certaines journées longues, dixit les récentes journées de parutions de Aurélie Laflamme 8 et du dernier Nora Roberts (elle fait tout le temps courir les foules elle, même après je ne sais plus trop combien de bouquins!)  Dire une fois, deux fois, trois fois que le livre n'est pas encore arrivé, ça passe, mais quand on est arrivé au dixième, ou même au onzième client à la file, faut faire extrêmement attention de ne pas laisser poindre son impatience!  Dans tous les cas, ces journées-là, mes oreilles se frisent en entendent prononcer les mots du titre à répétition.  Mais quand le livre est arrivé, oh, quel bonheur de dire, il est là, Monsieur/Madame!  Mes oreilles se défrisent et je retrouve mon sourire!

Et il y a un autre phénomène, celui-là est plus subtil, beaucoup plus long et il faut être dans le milieu pour le voir naître et éclore.  Souvent, dans ces cas-là, les médias sont à la traîne plus qu'à l'avant-garde.  Si la télévision a en librairie l'effet d'un tsunami et la sortie d'un livre d'une forte marée qui se retire au bout de quelques temps, l'effet bouche-à-oreille ou effet de fond est plutôt invisible en surface, mais il gruge les profondeurs de manière subtile.  Millenium a été de cette vague-là.  C'est un phénomène de bouche-à-oreille que les médias ont fini par relayer, mais que les connaisseurs du genre avaient en tête depuis longtemps.  C'est subtil, je me le fais demander au plus deux ou trois fois par semaine et des fois, ça s'arrête là.  D'autres fois, ça rejoint le grand public et ça éclate encore plus.  On parle ici de livres de tous les genres et provenant de toutes les directions.  Une personne le lit qui en parle à une autre, qui en parle à une autre qui lit le livre.  Effet d'enchainement, d'entraînement.  À mon comptoir, les gens savent que j'ai moins de chance de connaître le livre et ils arrivent avec la référence complète, souvent fourni par un ami bien intentionné (que je remercie).  Ce ne sont pas toujours ces livres qui sont au sommet des best-sellers, mais ils font leur petit bruit tranquillement, sans se presser et se creuse une niche bien confortable où les lecteurs vont finir par aller le chercher.  Et ça, pour un libraire, c'est souvent le phénomène le plus intéressant, parce qu'il ne part pas d'une autorité quelconque et n'ont pas besoin de relais hors-littérature.  Ce sont alors les lecteurs qui créent le propre cheminement d'un livre.  Des exemples?  Les premiers livres de Michel David, L'homme blanc de Perrine Leblanc, la série Uglies de Scott Westerfeld et certains livres de psychologie.  Ce sont des vendeurs à long terme, ils restent sur les tablettes parce que les lecteurs ne les oublient pas.  Parfois, ils sont les seuls à en parler, mais en même temps, ils en parlent toujours bien, car qui de mieux pour parler d'un livre qu'un lecteur qui l'adoré?  Ces livres-là font leur petit bruit bien tranquillement, mais pour les lecteurs, ce sont souvent les plus belles découvertes, parce qu'ils débarquent dans nos vies alors qu'on ne s'y attendait pas.  Ce sont les cadeaux de la vie de lecteur.

@+ Prospéryne

8 commentaires:

Isabelle Lauzon a dit…

Très bon billet! C'est intéressant, de voir ça avec l'oeil d'une libraire... :D

Prospéryne a dit…

Hé, je vois bien des choses différemment d'un lecteur parce que je vois le comportement de bien des lecteurs à la fois. L'avantage d'être libraire... en plus bien sûr de celui de vivre en plein milieu des livres! ;)

Perséphone a dit…

C'est drôle ce que tu dis là. L'autre jour à la bibliothèque, j'ai dit à la bibliothécaire que j'étais étonnée de voir qu'ils avaient certains livres récents et que d'autres qui sont "à la mode" sont introuvables dans la bibliothèque. Elle m'a regardée comme si elle n'avait jamais entendu ce mot là, elle me demande ce que ça veut dire, je lui explique et je lui dis innocemment "c'est comme Dumas ou Goethe" (dans le sens, lorsque les malheurs du jeune Werther sont sortis, tout le monde le lisait). Elle m'a sauté dessus en me disant: "non non non je ne peux pas vous laissez dire ça, vous ne pouvez pas comparer Goethe et Dumas à cette madame Collins (en parlant de Suzanne Collins)" j'ai du lui expliquer ce que je voulais dire et elle a été heureuse quand elle a vu que j'empruntais un Trollope....

Alors deux remarques: la première pour rebondir sur ton billet, je trouve assez hallucinant qu'une bibliothécaire (jeune de surcroit) ne connaisse pas le concept de livre à la mode
2) j'ai trouvé sa réaction assez stupéfiante. J'ai trouvé ça assez insultant, parce que ça semblait vouloir dire "la littérature contemporaine n'est pas aussi bonne que la classique" alors qu'elle n'a pas lu les Hunger Games et qu'elle semble oublier que Flaubert lorsqu'il a publié Madame Bovary a été traité de scribouillard. Cette rigueur sur la littérature classique me tue...En plus elle semblait ne vraiment pas aimer "les livres à la mode", comme si elle les mettait tous dans le même panier avec la mention "affreuse" de "Populaire"......

Désolée si j'ai été longue mais je trouve ça passionnant comme débat ^^

Prospéryne a dit…

Intéressant comme réaction Perséphone. Mon billet parlait surtout des livres dont, en tant que libraire, j'entends le plus parler, mais c'est vrai que les bibliothécaires doivent aussi avoir affaire au Buzz. La réaction de cette bibliothécaire me semble exagérer. Ok, peut-être que bien des écrivains modernes ne sont ni Flaubert ni Goethe, mais en même temps, comment dire, quand ils sont parus, ils n'avaient pas le même aura qu'ils ont aujourd'hui. Comme si l'épreuve du temps les avaient bonifiés, alors que contrairement à ce que l'on pense, c'est surtout qu'ils ont triomphé de la concurrence de leurs contemporains! De très bons livres «à la mode» se vendent bien, autant que des pourris. L'épreuve du temps permet de garder le meilleur, mais ça ne veut pas dire de cracher sur le présent, parce que par nos lectures, c'est nous qui créons les conditions idéales pour voir émerger ce qui sera considéré comme des chefs-d'oeuvres plus tard. ;)

Perséphone a dit…

Je me disais bien que tu aurais le même avis que moi sur le sujet!

Prospéryne a dit…

Héhé! J'ai appris une chose: il ne faut jamais bouder son plaisir en littérature! Ceux qui lèvent le nez sur certains trucs ne savent pas ce qu'ils manquent! ;)

ClaudeL a dit…

À te lire, le coeur s'emballe. L'auteur, lui, a tellement peu de contrôle sur ce que deviendra son livre. Il voudrait qu'il soit à la fois de la première et de la deuxième catégorie: qu'il fasse du bruit ou au moins un certain bruit et qu'il demeure longtemps sur les tablettes. Aussi complexes que variées les réactions qui s'entremêlent. Finalement c'est presque un billet de loto!

Prospéryne a dit…

Oui, une sacrée loto ClaudeL, mais rassures-toi, au moins, pas besoin de dépenser un petit 2$ au dépanneur chaque semaine pour avoir une chance de gagner! ;)