lundi 16 août 2021

Structure et culture

 Salut!

Depuis que je chronique à Bouquins et confidences sur les classiques, je me tape beaucoup de recherches sur les auteur.e.s et il y a une constante que je ne peux m'empêcher de constater: ceux et celles qui ont réussi sont avant tout ceux qui ont bénéficié de la meilleure conjonction entre les outils de diffusion à leur disposition et une oeuvre qui savait répondre aux attentes du public.  Par exemple, Charles Dickens a su construire son succès essentiellement en publiant dans des journaux et des magazines.  Au début de sa carrière, c'était vraiment la meilleure façon de procéder: les livres étaient encore relativement coûteux pour la majorité des gens, mais un abonnement à un périodique donnait accès à de nombreuses histoires qui pouvaient se lire de semaine en semaine, gardant ainsi un public captif.  Les gens devaient acheter le numéro suivant pour savoir la suite.  Aujourd'hui, une telle stratégie serait caduque, sauf pour quelques gros noms.  De un, on a plus la patience d'attendre une semaine et de deux, le lectorat des périodiques a fondu comme neige au soleil.

Dickens était un homme ambitieux et intelligent.  Il a su utiliser au maximum les moyens de diffusion de son époque, ce qui lui a assuré un grand succès.  Or, ces moyens évoluent constamment.  Ce qui fonctionnait à son époque serait voué à l'échec aujourd'hui.  De la même façon, un.e auteur.e, brillant.e à l'époque victorienne pourrait très bien ne pas avoir eu le moindre succès et être aujourd'hui dans les limbes de la littérature, non pas à cause d'une absence de talent, mais bien d'une absence de structure adéquate pour diffuser ses oeuvres.  Et il en a été ainsi à toutes les époques.

La culture est en crise nous disent souvent les médias.  En fait, c'est faux: la culture n'a jamais été en crise.  La créativité, l'innovation, le renouvellement est et a toujours été le synonyme de la culture.  Ce qui est en crise, c'est ce qui soutient la culture, lui permet de vivre et de s'épanouir.  C'est la structure des moyens de diffusion.  C'est ça qui en rame.  Et ce n'est pas nouveau.

La culture comme telle est immatérielle, elle est émotion, sensation, histoire.  Mais elle doit pour être transmise, passé par des gens, qui y consacrent du temps, passer par des médiums qui demandent des ressources, bref, rien de tout cela n'est gratuit au final.  Et ces moyens de diffusions-là sont constamment sur la corde raide: comment convaincre les gens d'ouvrir les cordons de la bourse pour quelque chose d'immatériel?  Comment fixer un juste prix?  Comment les rejoindre?  Comment les convaincre de choisir une oeuvre ou une autre alors qu'ils ne l'ont pas encore vue?  Les publicitaires sont là pour ça, même leur pouvoir de persuasion a des limites.  Le public, en matière d'art et de divertissement a des goûts changeants: ce qui est au goût du jour un matin ne l'est plus la semaine suivante.  Suivre de tels cycles est essoufflant et l'industrie culturelle est rarement parfaitement arrimée aux bons moyens de diffusion.  De là une perpétuelle quête de la meilleure manière de rejoindre et de toucher le public et au passage, de les encourager à payer.

L'internet, avec sa capacité à tout démultiplier en une fraction de seconde, est venu donner des coups de pied sur un modèle qui tenait, même s'il n'était pas toujours facile à suivre.  Parce que même si c'est la dernière révolution en date, la radio, le cinéma, et la télévision avaient eu leur rôle à jouer.  On va encore au théâtre aujourd'hui, mais ce médium a-t-il autant d'impact qu'il y a 500 ans?  Shakespeare aurait-il eu une aussi longue longévité dans les mémoires et les coeurs s'il avait écrit ses pièces aujourd'hui?  Ou a-t-il, comme tant d'autres, eu la chance de voir moyens de diffusion et pièces capables de toucher son public venir au monde au bon moment?

La culture n'est pas en crise.  Ses moyens de diffusion sont constamment sur la corde raide par contre.  Et qu'on le veuille ou non, c'est une limite importante au travail des artistes.

@+ Mariane

4 commentaires:

Gen a dit…

Autre chose : La culture est en crise, parce que les artistes sont en crise... mais ils l'ont toujours été. C'est à croire que l'état de crise douce mais perpétuelle est un pré-requis à la création (ce l'est pas, on vous le jure!!!).

Prospéryne a dit…

@Gen, oui, la crise perpétuelle... Mais au fond, ce n'est pas ça le renouvellement perpétuelle? Être toujours sur la brèche à se chercher?

Gen a dit…

Ouais, mais ce serait bien de pouvoir se chercher artistiquement et non financièrement! lol!

Prospéryne a dit…

Oh, boy, j'adore celle-là!!!