lundi 7 juin 2021

Réinventer le passé

 Salut!

Récemment, j'ai écouté une série télé diffusée sur AppleTV, Dickinson sur la vie de la poétesse américaine Emily Dickinson.  C'est donc une série d'époque, mais avec une ''twist'' très moderne: les costumes sont d'époques, les normes sociales, les caractères, l'arrière-monde le sont aussi.  Mais dans le traitement des personnages, dans les réactions de ceux-ci, on apporte une touche très moderne.  Ainsi, Emily y est queer et féministe, revendique souvent, est amoureuse de sa belle-soeur (leur vie intime est clairement évoquée) et a souvent des réactions qui appartiennent clairement plus au registre du 21e siècle au 19e.  En écho, la trame sonore est bourrée de tubes d'aujourd'hui et les personnages, entre deux danses guindées, peuvent se permettre des mouvements de twerk en robes à crinolines.  

De la façon dont c'est fait, on comprend très vite que l'on est dans une réinvention du passé, dans un passé que l'on imagine, plutôt que celui, se voulant plus réaliste que de nombreuses séries télés et films sur le 19e siècle qu'on nous présente depuis quelques décennies.  Et pourtant, ça marche!  Le spectateur.trice fait la différence entre ce qui appartient au fantasme moderne et à la réalité.  À la fois parce que c'est assez évident et parce que c'est voulu ainsi.

Ça me fait penser à une autre série en jupons et corsets que j'ai vu à la fin de 2020: Bridgerton.  Celle-ci était plus proche du traitement habituelle pour cette époque (accent mis sur la course au mariage, commérage, importance des convenances, etc), mais s'attaquait plus frontalement que Dickinson à la problématique de la diversité à l'écran.  La moitié de la noblesse, même la reine, avec la peau noire?  Pas de problème!  Et passé la surprise initiale, on s'y fait très rapidement.  D'un seul coup, les domestiques blancs pour un duc noir, des couples interraciaux, les relations de pouvoir inversées entre les différentes couleurs de peau... existent sont acceptées, normales, circulez, y'a rien à voir.  Une idée du 21e siècle qui vient se greffer sur un contexte historique, mais en tord les codes et les représentations pour réinventer ces histoires et leur donner une touche de modernité qui les rendent immédiatement plus contemporaines.

Je donne des exemples issus des séries télés, mais la littérature fait la même chose depuis des décennies.  Le steam punk est en soi un genre où on réinvente l'époque victorienne.  Si les femmes y sont souvent aussi corsetées que sous le véritable règne de la reine Victoria, mais elles peuvent y être bien d'autres choses que préoccupées à faire un bon mariage, mères au foyer ou préoccupées par les commérages en buvant une tasse de thé.  Toutes les uchronies touchent un peu à cette idée, mais certaines embrassent plus l'idée de réinvention.  Et chaque époque réinvente en tenant compte de ce qui l'agite: de nos jours, c'est la diversité, de couleur de peau autant que d'orientation sexuelle ou de genre, qui importe.  

Car la réinvention du passé dans la fiction est peut-être une façon de faire oublier les laideurs que l'on y voit trop souvent: le 19e siècle a été le siècle de l'esclavage, de la colonisation et du sexisme, toutes choses que notre époque combat, mais que les livres d'histoire nous ramènent en plein visage comme étant notre passé.  En le réinventant, en lui donnant un autre visage, mais inventé, même fictif, on essaie un peu de corriger nos erreurs et de le transformer pour qu'il soit plus semblable à ce que l'on aimerait qu'il soit aujourd'hui.  Réinventer le passé en fiction pour se construire un passé imaginaire plus près de ce que l'on aimerait qu'il soit.

La fiction le permet alors pourquoi pas?  Parce que créer des images du passé plus proche de ce qu'on aimerait qu'il soit, plutôt que comme il a été, nous permet aussi d'imaginer une société plus juste pour l'avenir.  Ce n'est pas parfait, ça ne règle rien, mais ça permet d'ancrer dans les esprits des images différentes et quelque part, c'est peut-être ainsi que l'on réussira à construire un avenir loin des images figées de notre réel passé.

@+ Mariane

2 commentaires:

Gen a dit…

Et n'oublions pas que même le passé des livres d'histoire n'est pas nécessairement le passé réel. C'est le passé généralisé, basé sur les lois officielles, les actions au niveau "macro" et, surtout, ce que les hommes de pouvoir voulaient qu'on retienne. Au niveau micro, des femmes hors normes, il y en a eu plein (je suis tombée récemment sur des récits de marine marchande où un armateur sur deux était une femme!), des "gens de couleur" libres, il y en avait beaucoup, des personnes queer, homosexuelles ou qui pensaient selon des schémas d'idée plus proche des nôtres, il n'en manquait pas. Alors oui, utilisons la fiction pour les remettre à l'avant-plan, mais ne nous laissons pas non plus dire qu'on invente tout ça. C'était là!

Prospéryne a dit…

Oh, ce n'était pas tout à fait le sujet de mon billet, mais tu as raison Gen: le passé dans les sources est pas mal loin de l'image que la fiction en a bâti au cours des dernières décennies. Les personnes queers et féministes existaient bien avant nous! Et ce n'était pas non plus toujours des militant.e.s (souvent on nous présente toutes les féministes comme des militantes... elles ne l'étaient pas toutes!). C'est pour ça que j'apprécie le cassage des codes de l'époque qu'emmène Dickinson. Tout cela était possible, même en robe à crinoline. Enfin, sauf le twerk...