jeudi 18 mars 2021

La pensée blanche de Lilian Thuram

 La pensée blanche  Lilian Thuram  Mémoire d'encrier 308 pages


Résumé:
D'où vient le fait que les Blancs se considèrent supérieurs aux Noirs?  À l'esclavage, à une supposée infériorité naturelle ou culturelle?  D'où cette idée est-elle partie et pourquoi perdure-t-elle?  Dans cet essai, Lilian Thuram essaie d'aller à la source des choses pour faire la différence entre le construit et le réel et faire un peu de ménage dans les grandes raisons qui ont mené à l'existence des races et du racisme, sans mettre la faute sur les uns et les autres.

Le livre est divisé en trois parties: l'histoire de l'infériorité et de l'esclavage, la mise en place de la suprématie blanche et les pistes de solutions pour sortir de ce qu'il appelle la pensée blanche.

Mon avis:
Faites vos recherches qu'ils disent.  Visiblement l'auteur les a faite et en profondeur, mais ce qui est fascinant, ce sont ses conclusions: les Blancs, comme les Noirs sont prisonniers d'un système de pensée qui perpétue les inégalités, évidemment au bénéfice apparent des premiers, mais sans tout à fait l'être.  La pensée blanche a été créé de façon verticale pour que les blancs pauvres appuient leurs dirigeants de la même couleur de peau, quand bien même qu'ils se feraient autant exploiter par eux que leurs camarades de misère noirs!

La première partie fait d'abord l'historique de l'esclavage et de la différence de statut entre les Blancs et les Noirs: non, ils n'ont pas toujours été vus comme inférieurs et durant la grande majorité de l'histoire, les esclaves ont été des Blancs, propriété d'autres Blancs.  Ensuite, les Blancs ont retenu de l'histoire ce qui les avantageaient.  L'Égypte est africaine, pas européenne et les Grecs étaient bien plus proches, culturellement, des courants de pensée de l'Asie Mineure que de l'Europe avant l'avènement de Rome.  Pourquoi alors en faire les racines de la civilisation occidentale?  Poser la question est important, car on voit que l'appropriation culturelle ne date pas d'hier.

C'est avec le contact avec les Amériques que tout change et que la couleur de la peau devient un marqueur social d'importance: car voyez-vous, les Européens qui s'élançaient par-delà les océans n'avaient pas grand-chose d'autres en commun, mais ils se sont servi de cela pour se distinguer de l'Autre, d'abord habitants des Amériques, puis l'Africain.  Pour ajouter une couche de respectabilité, on a ajouté la religion (on va les sauver!), mais au fond, la motivation première était simple: le profit.

Cette première partie est profondément nourrie d'exemples et de contre-exemples.  L'auteur va là où d'autres auteurs n'ayant probablement pas ses sensibilités n'oseraient pas aller.  Il montre les mêmes événements par un prisme différent.  Évidemment, il y a une argumentation derrière la présentation de ces faits (c'est le cas de tous les essais), mais sa logique est extrêmement intéressante à suivre et il sort de bien des sentiers battus.

La deuxième partie, plus idéologique, est aussi le coeur de l'argumentation de l'essai et montre ce que l'auteur appelle la pensée blanche: comment un système, créé de toutes pièces, a conçu une échelle sociale basée sur la couleur de la peau.  Comment ce système s'est autojustifié (sauvage versus civilisé, chrétien versus païens, blancs contre noirs, etc) et comment à chaque fois que des arguments contraires apparaissaient, il a su se renouveler pour maintenir le statu quo (par les armes, par la religion, par la biologie, par la sociologie, par l'économie).  Cette partie est un peu plus ardue à lire, mais elle est passionnante, car l'on voit que si les époques et les arguments varient, la logique reste la même: justifier une pyramide sociale au profit d'une élite.  L'auteur par contre, va ici beaucoup plus loin que les différences de couleur de peau et montre que les Blancs ont eux aussi été instrumentalisés, surtout ceux des classes les plus pauvres.  Comment l'argument de la couleur de la peau a été utilisé pour mieux diviser de potentielles alliances de classe.  Cette partie est largement fouillée et bien expliquée et elle montre aussi l'absurdité des distinctions de couleurs de peau: à une époque, les Irlandais n'étaient pas considérés comme blancs...

Au travers de cette partie, il fait aussi l'apologie de tous ceux, qui, au fil des siècles et souvent au péril de leur vie sont allés contre le courant dominant et ont dénoncé ce système de pensée.  Manière de montrer que la pensée blanche n'a au fond jamais fait l'unanimité.

La troisième fait un état des lieux actuels et des pistes de solution pour dépasser les différences construites de manière abstraite.  Cette partie, quoique aussi intéressante à lire que les autres, m'a parue un peu moins solide que les deux précédentes.  Ce qui y figure a déjà été dit et redit maintes fois.  Hélas, il faut le redire.

Cet essai, accessible, clair et riche en information sans être barbant est à mettre entre toutes les mains. Pas uniquement parce qu'il est très intéressant: parce qu'il refuse la culpabilité des uns et des autres et montre l'importance de construire ensemble un avenir meilleur.  Les Noirs tout comme les Blancs.

Ma note: 5/5 

2 commentaires:

Gen a dit…

Ça étonne toujours l'historienne que je suis de voir à quel point la distinction raciale inventée à l'époque de l'esclavage s'est répandue et a occulté tout le reste. À quel point quand on présente une image réaliste de la Rome antique (avec des gens de tous les teints et des empereurs qui ne sont définitivement pas des blondinets aux yeux bleus), on est décriés. Foutue hémégonie américaine. Elle va avoir fait très mal à l'humanité.

Prospéryne a dit…

Il parle relativement peu des États-Unis comme tel, il se concentre plus sur la situation France vs colonies en Amérique, mais ton commentaire tient quand même.