lundi 22 mars 2021

L'imaginaire importé de la jeunesse

 Salut!

Si je vous disais, citez-moi un classique de la littérature jeunesse, que répondriez-vous?  Peut-être que quelques-uns me citerait les grands conteurs, en partant, le trio des Grimm, Andersen et Perreault.  Peut-être que vous me parleriez de Peter Pan, de Bambi et d'Alice au pays des merveilles.  D'autres me citeraient Mary Poppins, Le Magicien d'Oz et autres Mulan.  Ce sont d'excellentes histoires.  Elles ont d'ailleurs presque toutes passées par la moulinette Disney!  Elles ont aussi un autre point en commun: à l'exception de Perreault, elles n'ont pas été écrite en français.

Je n'ai absolument rien contre le fait de lire des textes créés originalement dans une autre langue.  Au contraire, je trouve que la capacité d'appréhender d'autres imaginaires que le nôtre est un atout, une force même.  Sur notre belle planète où les informations circulent à la vitesse grand V, connaître l'Autre avec tous les petits détails, manières d'être, références culturelles qui en font une société, une culture même est quelque chose de positif.  Et quel meilleur moyen de plonger dans une autre culture que par la fiction?

Le hic, c'est qu'en faisant la liste de toutes les oeuvres classiques pour la jeunesse que je connaissais, je me suis rendue compte que parmi elles, bien peu sont en version originale française.  Ok, il y a Les trois Mousquetaires!  Mais combien d'autres?  Plus jeune, j'ai lu la Comtesse de Ségur, j'ai été en contact avec Jean de la Fontaine et je me suis délectée avec Jules Verne, Tintin et Astérix.  Sans oublier un peu plus tard les Yoko Tsuno, Scrameustache et cie...

Je cite surtout des oeuvres françaises, je sais, mais j'ai beau réfléchir, je ne suis pas capable de nommer des oeuvres jeunesse québécoise qui auraient traversé les âges depuis ma jeunesse.  Notre littérature, particulièrement jeunesse, est encore jeune et elle n'a pas encore produit de grands classiques qui se transmettent de génération en génération.  Ça peut arriver, il va forcément en avoir à un moment ou à un autre, mais là-dessus, je ne suis pas inquiète.  Le milieu de la littérature jeunesse au Québec est bouillonnant de créativité, ce n'est qu'une question de temps.

Ce qui m'inquiète un peu, c'est le fait que notre imaginaire soit dominé par d'autres imaginaires venus d'ailleurs.  Les grands récits que tout le monde connait sont aujourd'hui majoritairement issus du monde anglo-saxon et sont porteurs des valeurs et des références qui les supportent.  Pour le monde francophone, beaucoup sont en communs, d'autres non.  Si toutes vos histoires se passent à Londres, ont des noms à consonnance anglaise et des appellations anglophones (Mr, Mrs et Miss au lieu de M. Mme et Mlle par exemple), comment se reconnaître dans la vie quotidienne dont les références sont autres?  Et en plus, le pouvoir des histoires rend incroyablement cool tous ces petits détails: on veut tellement s'identifier aux personnages quand on est jeune!  À côté de ça, le quotidien peut paraître tellement fade: s'il n'est pas enrichi des couleurs de la fiction, comment s'y projeté?

Je rêve en couleur parfois, mais j'aimerais voir accéder à autant de visibilité des oeuvres écrites dans toutes les langues, provenant de toutes les cultures.  Parce que l'important, c'est le contact avec ces oeuvres et ces cultures.  En ce moment, celle qui traversent le plus facilement les frontières, autant physiques que celles des langues sont produites dans un univers anglo-saxon.  On en oublie d'excellents contes qui sont issus du monde arabe (comme ceux des 1001 nuits, y'a pas juste Aladin tsé!), de la Chine et du Japon, du territoire africain au grand complet, de l'Amérique du sud, des Premières Nations ici...  Le monde est tellement plus vaste que les grands récits qui en ce moment sont les plus rassembleurs parce que les plus répandus.

Ça ne m'empêchera pas de garnir les bibliothèques de mes filleul.e.s des aventures de Peter Pan et cie.  Je vais peut-être être juste un petit peu plus attentive à y ajouter des oeuvres d'ici et d'ailleurs, moins connues, même si ce ne sont pas des classiques, qu'ils s'habituent à y voir l'égal de leurs si sympathiques congénères fictionnels.

@+ Mariane

4 commentaires:

Gen a dit…

Y'a un effet d'inertie générationnelle là-dedans : les parents ont tendance à faire découvrir aux enfants les histoires qui les ont fait rêver. Et y'a aussi l'idée que pour les histoires classiques (Aladin, la Belle aux Bois Dormants, etc) les éléments iconiques du récit sont plus importants que son écriture. Ce sont des histoires qui sont faites pour être racontées. Et on les raconte dans notre langue. Mais ouais, faudrait secouer le fond culturel un peu.

Éloi a dit…

Il me semble que tu oublies Amos Daragon et Le journal d'Aurélie Laflamme. Bon, ils sont un peu trop récents pour qu'on parle de classiques, mais leur succès a été énorme et peut-être passeront-ils le test du temps.

Sur le fond, je suis totalement d'accord avec toi. Une culture s'exprime dans son imaginaire et il est important que chacune ait ses propres classiques jeunesse. Ils servent à définir et transmettre nos valeurs et notre manière de vivre. Ce qui n'empêche pas d'apprécier les classiques des autres cultures, bien sûr.

Ça ne touche pas seulement la littérature jeunesse, ni même la littérature. Je suis inquiet de voir tous ces gens autour de moi qui ne font qu'écouter des séries anglo-saxonnes sur Netflix. Ces séries sont imprégnées de valeurs américaines: matérialisme, individualisme, culte de la beauté, des armes à feu, winners et loosers, etc. J'ai l'impression que ça américanise notre société insidieusement.

Nathalie FT a dit…

Oui Mariane et il y a aussi la belle et la bête de Mme Leprince de Beaumont, les aventures de Riquet à la houppe, moins connues et pourtant présentes dans l'imaginaire français. J'avais aussi une collection de contes et légendes de tous les pays du monde quand j'étais gamine en France. L'imaginaire des Premières Nations est ancien ici et aussi oral, il est passé à l'écrit progressivement il me semble. La chasse galerie me semble être un conte québécois typique.

Prospéryne a dit…

@Éloi, Pour Aurélie Laflamme, peut-être, mais j'estime qu'Amos Daragon a de meilleures chances parce que l'histoire est intemporelle (et aussi parce que son auteur y veille!).

J'ai la même crainte que toi concernant la télévision américaine. Et pourtant, je ne m'en suis aperçue que lorsque que j'ai visionné Doctor Who: quelle différence dans la vision et le traitement des armes à feu!

@Nathalie, oui, ils existent et c'est tant mieux, mais ont-ils la même résonnance, la même portée, le même impact? Pas sûre.