Résumé:
1947, Guyenne, Abitibi. Marcel Desharnais vient s'installer dans une coopérative, un peu au nord de Val-d'or pour défricher la terre et devenir cultivateur. Il souhaite coloniser un nouveau bout de pays. Mais pour la colonisation, la grande époque est passée et si le modèle coopératif est là pour soutenir le développement agricole autant que l'industrie du bois, les tensions sont vives entre le bois qui rapporte et la terre qui est garante d'autonomie, mais est dure à cultiver. Ce récit est l'histoire de vingt ans de colonisation dans un modèle que l'on connaît peu et que les autres colons avait surnommé la petite Russie.Mon avis:
S'il manquait une preuve de l'incroyable versatilité de la bande dessinée, ce livre en est une preuve. En dessins, il reprend les codes des grandes oeuvres sur la terre, dans la veine du Survenant de Germaine Guèvremont et de Maria Chapdelaine de Louis Hémon. Le travail de la terre est admirablement bien rendu dans le dessin, dans cette minutie de ceux qui l'aiment et la travaillent, dans ses duretés aussi. Le contraste avec la forêt, que Marcel n'aime pas mais dans lequel il travaillera afin de pouvoir avoir sa terre, s'étale sur toutes les pages. Forêt qui draine les forces vives de la coopérative, en constante compétition avec la terre. La tension entre les deux est sensible tout au long du livre.
Il y a aussi les personnages. Marcel est un bon gars typique du Québec, qui souhaite reproduire le modèle agricole que ses ancêtres ont connu, se construire une maison et vivre en autarcie. Le bois, pour lui n'est qu'un moyen, pas une fin. C'est avec d'autant plus de difficultés qu'il fera face aux autres membres de la coopérative qui ne lui accordent pas autant d'intérêt. Sa femme, Antoinette est un personnage plus moderne. Elle n'acceptera pas le fait que les femmes n'aient pas leur place aux assemblées de la coopérative et fera tout pour tisser un lien de solidarité entre les femmes de Guyenne.
Le décalage entre leur rêve, somme toute assez conservateur, et la réalité dans lequel ils vivent se fait de plus en plus criante au fil du livre. Alors qu'ils rêvent d'un retour à la terre, télévision, tracteur et téléphone vient changer le monde rural où ils vivent. Après la mort d'un enfant, Antoinette abordera même le sujet de la pilule, c'est dire le fossé! Cela se fait par petite touche, mais on comprend que le monde qu'ils souhaitent appartient au passé, malgré tout le labeur qu'ils y mettront.
Le dessin est tout simplement remarquable. L'auteur nous montre des séquences de dessins pour illustrer l'univers dans lequel les protagonistes évoluent, sans dialogues, parfois même sans personnages. On sent la forêt, partout, toute proche, à la fois repoussoir et source financière, on sent aussi le travail de la terre, on sent les tensions grandissantes dans la coopérative. L'auteur se permet même quelques magnifiques plans séquences pour montrer les aurores boréales qui remplissent le ciel abitibien, rendant dans la technique utilisée pour les faire, la texture de ces phénomènes atmosphériques.
Francis Desharnais est un bédéiste qui roule sa bosse depuis un moment déjà et qui a une feuille de route bien remplie. On peut ajouter un morceau de maître à son tableau de chasse avec cet opus.
Ma note: 4.75/5
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire