lundi 25 juin 2012

La vérité et la fiction

Salut!

Un jour, je me promenais avec un ami, lui parlant d'un film que j'avais adoré, Une femme honorable, basé sur une pièce d'Oscar Wilde.  Je lui raconte l'histoire et à son insistance, je lui révèle la clé de l'intrigue du film.

-Ah, c'est pas réaliste ça!

-Quoi, mais non, c'est réaliste, ça pourrait arriver! 

Il a renâclé.
-Voir si ce genre d'affaire pourrait arriver dans la vraie vie...

J'ai renâclé à mon tour et on a discuté solide de ce détail pendant un petit moment.  Parce que cet ami et moi avions un point en totale opposition: lui ne lit pour ainsi dire pas, tandis que je dévore les bouquins.  Je suis pour ainsi dire habituée à voir des intrigues, des histoires se dérouler sous mes yeux.  Si l'histoire demande du réalisme, j'aime mieux qu'elle soit réaliste.  Mais le fait qu'elle ne puisse pas nécessairement se passer dans ma petite vie me laisse indifférente.  Ce n'est pas le point le plus important.  Parce que la fiction, en trahissant le réalisme absolu peut justement permettre de dévoiler de grandes vérités.

Soyons honnête: qui n'aime pas se faire raconter de bonnes histoires?  Les meilleures histoires ne sont pas nécessairement celles qui pourraient arriver à la voisine.  Je me doute fort que la mienne comme la vôtre ne sont jamais allées à Poudlard ou fréquenté des vampires.  Pourtant, ces histoires, si peu réalistes de prime abord fonctionnent selon des règles bien établies.  Et à travers elle, justement, à travers le biais de la fiction dont elles font preuves, on peut  voir quelque chose dans notre propre vie qu'autrement on ne verrait pas.  Travestir la réalité, la transformer, la matraquer, lui faire porter des habits neufs, tout ça dans le but de montrer autrement cette réalité qu'on connaît mais qu'on peine à cerner.  La fiction est un miroir déformant, mais à force de fixer ce miroir, on peut peut plonger le regard dans ce qui autrement resterait à jamais invisible.  Parce que le miroir est à cet endroit grossissant et met en évidence un détail et qu'à un autre, il gomme la distance entre deux trucs semblables que l'on pourrait croire opposés. 

Et, énorme différence avec le réel, le rôle de la fiction n'est pas de donner des réponses.  Ce n'est pas le rôle de la fiction d'être véridique ou de dire la vérité.  C'est son rôle de poser des questions.  La science-fiction est riche d'enseignement sur ce point, car elle pose maintenant les questions auquel on aura peut-être à répondre un jour.  Mais il n'y a pas qu'elle.  Jonathan Coe a parlé dans son dernier roman de l'envahissement de la technologie dans nos vies et aussi de son impact sur les relations humaines en racontant l'histoire d'un homme qui discute avec son GPS...  Nancy Huston a questionné la maternité, ses limites et son côté sombre dans La virevolte Jane Austen, à travers ses minutieux portraits de société a justement essayé de dénoncer les travers de celle-ci.  On suit des personnages, on rit, on pleure, on souffre, on a peur à leurs côtés, mais inconsciemment, on s'identifie ou non à eux, on regarde leurs vies, leurs réactions et quelque part, on apprend à travers eux.  Un roman, une fiction, n'est jamais neutre, même si l'auteur n'en a pas conscience: quelque part, il pose toujours une question, s'interroge sur un sujet et tente d'y répondre, mais pas en disant, voilà, j'ai trouvé la réponse!  C'est plus subtil que ça.  Et jamais le lecteur n'est obligé de trouver la même réponse que l'auteur car il ressentira sa lecture selon son propre cheminement. 

Lors d'une visite dans un musée, je suis tombée sur une citation d'une femme autochtone racontant l'importance des contes dans la tradition orale des Premières Nations.  Ça m'avait frappé.  Elle disait, grosso modo que les gens qui écoutent des histoires peuvent les entendre de nombreuses fois sans se lasser parce qu'à chaque fois qu'ils l'entendent, ils sont différents.  Ils comprennent ainsi quelque chose quand ils l'écoutent enfant, jeune adolescent, adulte, nouveau parent, vieillard, etc.  Ne vous demandez pas pourquoi les gens adorent lire, aller au cinéma ou écouter des histoires autour du feu: ça part du même besoin, celui de chercher, à travers la fiction, des réponses au réel.  Et ça n'a pas besoin de pouvoir arriver tel quel dans votre vie pour pouvoir jouer ce rôle.

@+ Prospéryne

5 commentaires:

ClaudeL a dit…

Je ne demande pas non plus que la vraisemblance soit au rendez-vous de la lecture, je préfère l'émotion ou comme tu dis: le questionnement.

Gen a dit…

Je crois que ton ami confondait le réalisme et la cohérence interne.

Un récit réaliste pourrait se passer.

La cohérence interne d'un récit est cette qualité qui fait que ce qui était possible au magicien à la page 1 l'est toujours à la page 30 et inversement.

Cela dit, que le récit soit réaliste ou cohérent, s'il nous amène à nous questionner ou à réfléchir, il sera effectivement plus marquant.

Prospéryne a dit…

@ClaudeL, ben, on est deux!

@Gen, voilà la différence entre une fille qui a des notions de créations littéraires et les mots pour le dire. Quoique dans le cas de mon ami, c'était plutôt d'être obtus sur certains trucs qui était le problème! :P

Gen a dit…

@Prospéryne : L'esprit obtus se rencontre malheureusement fréquemment chez les gens qui veulent juste des histoires réalistes. ;)

Prospéryne a dit…

@Gen, ils savent pas ce qu'ils perdent!