jeudi 29 décembre 2022

Une si longue lettre de Mariama Bâ

 Une si longue lettre  Mariama Bâ  Collectif Motif  Le serpent à plume  165 pages


Résumé:
Le mari de Ramatoulaye est mort. Elle est arrivée trop tard à l'hôpital. C'est le temps du deuil, aux côtés de sa coépouse et de tous les rituels qui marquent le passage de la mort à la vie. Prisonnière de sa maison, elle écrit à sa meilleure amie Aïssatou, l'amie de toute une vie. Et dans cette lettre, elle se raconte: l'enfance, l'amour, le mariage, les enfants, la deuxième épouse... Mais aussi le Sénégal, le poids des traditions et l'incertitude de la modernité. 

Mon avis:
Dire que j'ai aimé ce livre est peu dire: c'est mon grand coup de coeur de 2022. Mais c'est aussi un livre à l'écriture sobre, qui s'il nous emporte dans une foule de sentiment est très loin du pathos.

La narratrice est Ramatoulaye et si l'on oublie assez rapidement que le genre est épistolaire, c'est bien une lettre, une très longue lettre qu'elle écrit. Aïssatou est un personnage silencieux, vu uniquement par les yeux de sa meilleure amie. On saura d'ailleurs peu de choses d'elle au fond, mais ce n'est pas important. Parce qu'avec elle, Ramatoulaye peut tout dire, le beau comme le laid. La lettre est une longue confession, un long retour sur toute une vie, avec ses peines et ses joies, mais racontée, presque chuchotée, à l'oreille d'une personne qui sait écouter, et surtout, dont on sait qu'elle ne juge pas. 

Le coeur de l'histoire est bien évidemment la vie de femme de Ramatoulaye et on alterne sans arrêt entre le passé et le présent. Le passé, où elle était heureuse aux côtés de son mari, mais aussi le présent et toutes les intrigues qui entourent son statut de veuve. Parce que dès son mari mort et même si ceux-ci vivaient séparés depuis des années, les hommes se bousculent à ses côtés pour la prendre comme épouse, souvent deuxième épouse. Mais elle refuse: elle connaît la douleur que cause une deuxième épouse, elle ne l'imposera pas à une autre femme. Et surtout, elle est à un âge où elle sait ce qu'elle souhaite pour sa propre vie et le fera respecter.

Un long passage est consacré à la douleur de l'épouse, de l'amante, de la compagne, face au remariage de son mari, avec une femme plus jeune. Un mariage dont elle n'est pas prévenue à l'avance, mise devant le fait accompli. Son mari peut prendre une deuxième épouse, la tradition le permet et il le fera, mais pour elle, c'est une trahison immense. Parce que c'est la trahison d'années de vie commune, d'amour et de partage qui est ainsi, du jour au lendemain, balayée sous le tapis. Sauf qu'elle reste liée à cet homme. Par choix, le divorce est une possibilité pour elle, mais elle reste pour ses enfants. Par contraste, Aïssatou, elle, a fait le choix du divorce. Deux amies, deux voies différentes, un même respect pour les choix de l'autre et un même soutien mutuel face à ce choix.

L'écriture est sobre, mais possède un rythme clair. C'est un récit avec des envolées et des moments plus calmes, mais avec une présence qui courent dans les phrases. On sent l'influence de la tradition orale, du conteur. L'écriture est aussi d'une précision redoutable quand vient le temps de décortiquer les sentiments des protagonistes, jusque dans leurs zones d'ombres. Portés par cette plume, les personnages vivent littéralement sous nos yeux et l'on voit le décor dans lequel ils évoluent. On voit les funérailles, on sent la chaleur du soleil, l'odeur de la rue, le tout rendu de façon incroyablement vivante.

C'est un roman pour connaître le Sénégal, mais vu par un regard féminin et porté par une plume magnifique. Un coup de coeur, vraiment.

Ma note: 5/5

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