lundi 21 juin 2021

Le fantastique, sans doute

 Salut!

Tzevan est né en Bulgarie en 1939 et est mort à Paris en 2017, étant au passage le mari de Nancy Huston pendant plus de trois décennies.  Ce type a été un universitaire très impliqué dans le milieu littéraire et un de ses livres a marqué les genres de l'imaginaire.  Mais bref, même si je vous dis, ça ne vous dit probablement rien.  Je vais vous donner son nom de famille, ça devrait plus clair: Todorov.  Et là, dans la tête des amateurs des littératures de l'imaginaire, un déclic s'est fait: ah oui, mais c'est ce  Todorov-là, le gars qui a théorisé sur les genres de l'imaginaire.  Il se peut que quelques personnes aient des jurons en tête.  C'est que notre grand ami Todorov les a aussi figé dans une espèce de carcan.  La science-fiction, la fantasy... et le fantastique.

À vraie dire, surtout le fantastique.

Parce que Todorov est fan du doute.  Ce qui fait la définition du fantastique, ce n'est pas le fait que le surnaturel inonde notre bon vieux monde pépère, ni que des créatures qui ne respectent aucune des lois de la physique ou de la chimie existent, ni que dans une histoire un cellulaire et une baguette magique puissent se côtoyer.  Bon, ok, les cellulaires n'existent que depuis peu de temps au fond, mauvais exemple.  Disons, les voitures côtoient les baguettes magiques.  Nope, rien de tout ça.  Ce qui définit le fantastique, c'est le doute par rapport aux phénomènes surnaturels.

Me semble que j'entends le Horla de Maupassant ricaner...

Parce que ça fait très 19e siècle cette définition. 

Je me rappelle quand j'étais en librairie comment on classait les livres: si ça se passe dans un autre monde, c'était de la fantasy, dans le nôtre du fantastique.  Aucun doute à avoir, la ligne était nette.  Cette définition ferait sûrement friser les cheveux de quelques spécialistes, mais elle avait le grand avantage d'être simple et précise.  Ainsi donc, la grande vague de la bit-lit se trouvait dans la section fantastique, même si les personnages n'avaient aucun doute sur le fait que les vampires, les loups-garous, les changelings, les démons ou n'importe quelle autre créature qualifiée communément de fantastique fasse partie du quotidien des personnages.  Que l'histoire se passe à New York, Los Angeles ou Toronto (oui, je suis tombée sur une série qui se passait à Toronto à l'époque.  Et même sur une qui se passait à Longueuil!), si ça se passe dans notre monde, c'est du fantastique.  Mais aussitôt que l'on est ailleurs, on tombe dans le fantasy.

Les libraires étant avant tout pratico-pratiques, il n'y a pas grand support théorique à cette définition, mais c'était celle dans laquelle la plupart de notre clientèle se retrouvait.  Donc, on l'utilisait.  Le glissement entre l'importance du doute et la présence du surnaturel dans notre propre monde s'est fait à un moment ou à un autre, faisant en sorte que par une espèce de transition, la majorité des lecteur.rice.s a finit par donner une définition très loin d'être universitaire, mais qui semble convenir à peu près à tout le monde.  La pertinence de la théorie de Todorov soulevait pas mal de doutes dans notre système de classement.  C'est dans le cas des ouvrages où le doute sur le surnaturel était permis que l'on se grattait la tête: littérature générale ou fantastique?

Le travail universitaire en littérature a toute sa pertinence.  Les universitaires savent parfaitement décortiquer des éléments qui passent loin au-dessus de la tête de la plupart des gens.  Mais ils sont aussi prisonniers de paramètres qui passent, la plupart du temps, largement au-dessus de la tête de la plupart des gens.  Ainsi en est-il allé de la définition du fantastique pour le grand public.  Ce qui ne veut pas dire qu'un ouvrage comme celui de Todorov n'a pas sa pertinence.  Mais que le sens commun est loin des bancs des études studieuses.  Je n'ai aucun doute sur le fait que les définitions générales des genres peuvent évoluer et même qu'on sortira peut-être un jour du trio Sf-fantastique-fantasy.

En attendant, je doute de la pertinence du doute comme seul critère.

@+ Mariane

5 commentaires:

Gen a dit…

Je propose un nouveau système de classement :
- si les trucs impossibles s'expliquent de manière rationnelle : c'est de la science-fiction
- si les trucs impossibles sont pas expliqués rationnellement, mais sont monnaie courante et que leur présence ne brise pas les règles communément admises du monde et ne fait paniquer personne, c'est de la fantasy
- si les gens paniquent ou que ça brise les règles du monde, c'est du fantastique

Et si ça correspond à la définition de Todorov, mettez ça avec la littérature générale, y'a juste les trippeux de réalisme qui vont apprécier anyway! :P

(Les recherches universitaires sont super importantes, mais il ne faut pas oublier qu'elles sont en réaction avec les corpus, donc à la traîne de ce qui se fait, pas à l'avant-garde... et ouais, y'a beaucoup d'intertie ensuite pour les faire changer d'idée!)

Prospéryne a dit…

Donc, pour toi tout le courant de la bit-lit serait de la fantasy?

Philippe-Aubert Côté a dit…

Todorov? C'est qui? :-p Je ne l'ai jamais croisé. Et jamais sur mon blogue... XD

Gen a dit…

@Prospéryne : ça dépend de l'ampleur de la présence du surnaturel, mais True Blood (où c'est connu) serait de la Urban Fantasy, oui, tandis que Twilight au début, quand c'est caché, est plus fantastique.

Prospéryne a dit…

@Phil-Aubert, surtout croisé dans le récent débat suite à mon billet sur la classe moyenne en fantasy, c'est de là que vient l'inspiration pour ce billet. Je me suis rendue compte que les définitions variaient pas mal selon les gens.

@Gen, mon cerveau a énormément de mal avec l'idée de fantasy dans notre monde, parce que c'est là que je trace la ligne entre la fantasy et le fantastique. Fantastique urbain, aucun problème! Mais fantasy? Ouch, non, j'ai du mal.