jeudi 28 mai 2020

Cheval Indien de Richard Wagamese

Cheval Indien  Richard Wagamese  XYZ éditeur  265 pages


Résumé:
Saul Cheval Indien est dans un centre de désintoxication.  Incapable de parler lors des cercles de partage, son thérapeute l'encourage à écrire son histoire.  Il a grandi dans la forêt du nord de l'Ontario, dans ses dédales de lacs, de rivières et d'épinettes.  Depuis son plus jeune âge, il est habitué, dès que des blancs s'approchent, de fuir dans les bois avec sa grand-mère et son frère.  Sa mère craint les pensionnats, qui lui ont déjà volé sa fille.  Après la mort de sa grand-mère, il est lui aussi pris et emmené dans ce sinistre endroit, conçu pour «tuer l'indien dans le coeur de l'enfant», quand ce n'est pas l'enfant lui-même qui en meurt.  C'est à travers un sport de blanc, le hockey, mais auquel il se consacrera de tout son être, qu'il parviendra à survivre.  Mais à quel prix?

Mon avis:
Ce qui est intéressant dès le départ, c'est que l'histoire est raconté par un homme en désintoxication, donc, le style de l'histoire reste très simple.  Pas le moindre lyrisme et malgré le sujet grave, très peu de pathos.  C'est la parole d'un survivant des pensionnats, mais aussi de quelqu'un qui garde enfoui en lui tant de choses pénibles que c'est par petites couches, presque par coups de pinceaux sur une toile, que l'auteur dessine son histoire.  Il raconte, il montre, il explique, mais comme son personnage, il ne descend pas dans les tréfonds des émotions que toutes ces pénibles expériences recouvrent.  C'est trop douloureux, c'est trop fort.  Il énonce les faits, mais ne s'étend pas là-dessus.

Son histoire commence pourtant bien.  Son enfance n'est pas parfaite et comporte des zones d'ombre (l'alcool entre autre est dans l'air), mais il est aimé.  C'est l'existence nomade, entourée de ses proches, d'un jeune ojibwé, partagée entre sa grand-mère, porteuse des traditions et des coutumes, pleine d'histoires et de connaissances sur leur environnement et ses parents, qui rejettent déjà en grande partie le mode de vie traditionnel, sont christianisé et en un sens, déjà déchiré dans leur identité.  Cette plongée dans une existence simple, mais sur lequel on sent toutes les menaces et sa fragilité ne fait que plus contraste avec ce qui va suivre.  L'arrivée au pensionnat, après la mort de sa grand-mère dans des circonstances terribles, ne montre que mieux l'immense fossé entre les deux mondes, même si, étant donné que Saul parle déjà la langue des blancs (son père lui en a montré les bases), son intégration semble beaucoup plus facile.  Pendant des pages, il raconte le pensionnat, mais le détachement dont il fait preuve, même face aux pires horreurs, est quasiment aussi effrayante que ce qu'il vit lui-même.  Il raconte, mais avec un noeud dans le coeur.

Le seul moment où ses émotions se déploient, c'est lorsque le hockey entre dans sa vie.  Ce sport, qu'il observe d'abord de loin, promu par un des prêtres du pensionnat, le fascinera dès le début.  Il en deviendra fan, y consacrant toute ses énergies, trouvant là une soupape à l'atmosphère étouffante dans lequel il grandit.  Les descriptions du hockey sont absolument hallucinantes, on sent la glace, le contact des lames sur elle, les jeux avec les bâtons, le vent dans les casques, le son de la rondelle dans le filet.  Cette partie est extraordinairement charnelle, contrairement à toute la description de la vie dans les pensionnats, qui est désincarnée, quoique sous les mots, on devine l'innommable.  (En fait, j'ai presque trouvé qu'il y avait trop de descriptions de hockey dans ce livre...)

C'est à travers le hockey que Saul quittera le pensionnat, mais c'est la morsure de ses années passées là-bas qui le poursuivra.  On sent le venin qui le suit partout, un venin qui finira par contaminer jusqu'à son amour du hockey. 

Ce livre est un coup de poing, mais comme un coup de poing qui te rentre dedans au ralentit, la douleur se déploie tout au long, mais le choc le plus dur survient à la fin, quand une révélation oblige à remonter le livre et à voir l'empreinte profonde d'un fait que la douleur a empêché Saul lui-même de comprendre pendant des années.  C'est aussi l'histoire d'une certaine rédemption ainsi que l'illustration de la puissance de la résilience dont les communautés des Premières Nations ont dû puiser au fond d'eux-même.  En ce sens, la scène finale du livre serre le coeur autant qu'il le réchauffe. 

Un livre puissant, mais sobre et calme, comme l'eau d'un lac du nord de l'Ontario sur lequel plane l'amour profond d'un jeu: le hockey.

Ma note: 4.75/5

2 commentaires:

Anonyme a dit…

J'adore cet auteur. J'ai vu le film adapté du livre, très fort aussi. J'ai Embers dans ma bibliothèque, les pensées de sagesse de Richard, survivant lui-même de bien des horreurs, sont empreintes de sérénité et d'absolu.

Prospéryne a dit…

Je note ce livre!