mardi 26 novembre 2013

Eichmann à Jérusalem de Hannah Arendt

Eichmann à Jérusalem  Hannah Arendt  Folio Histoire  Gallimard  513 pages



Résumé:
Hannah Arendt, professeur de théorie politique d'origine allemande, mais installée aux États-Unis depuis de nombreuses années, est chargée de réaliser une série de reportages sur le procès d'Adolf Eichmann à Jérusalem.  Loin de la forme classique du reportage sur un procès criminel, Hannah Arendt préfère utiliser le procès pour analyser les causes qui ont mené un homme ordinaire à commettre des actes ignobles et créer ainsi sa conception de la banalité du mal.

Mon avis:
Ouf!  J'ai hésité avant de me décider à critiquer ce livre.  Après tout, c'est pratiquement un monument à lui seul.  Néanmoins, j'en aie trop à dire!  Alors, voyons...  La première surprise, c'est la facilité avec lequel se lit ce livre.  La prose d'Hannah Arendt est facile à suivre.  (Enfin, si l'on excepte les trop nombreuses et trop longues parenthèses qui ponctuent le texte).  Certes, les concepts qu'elle y expose sont le fruit d'une longue réflexion, mais ils sont bien vulgarisés et nourris d'exemples concrets.  Le texte a été pensé pour le grand public et ça se sent.  Même si les sujet qu'abordent l'auteure sont précis et relativement denses, cela reste accessible.  Le sujet principal est bien évidemment le procès instruit contre Adolf Eichmann, grand responsable de la déportation des juifs de toute l'Europe vers les camps de la mort.  Sauf qu'Hannah Arendt va au-delà.  Au-delà des faits, au-delà du très compréhensible sentiment de vengeance, au-delà des apparences brutales.  Le livre nous dévoile une analyse très fine de la psychologie d'Eichmann, coupable avant tout selon l'auteure d'avoir renoncé à penser par lui-même.  D'avoir cessé de faire l'effort de se demander si ses actions étaient bonnes ou mauvaises.  Il s'est contenté de faire ce qu'on lui demandait de faire, sans penser aux conséquences de ses actes.  En cela, l'auteure se détourne du discours populaire vengeur qui circulait sur Eichmann, le présentant comme un monstre sanguinaire.  Elle le présente plutôt comme un fonctionnaire tatillon et préoccupé par son avancement, un pion en somme.  Un homme qui a suivi les ordres sans discuter et ainsi, commis l'irréparable.  Pour cela, elle multiplie les exemples, reprenant l'ensemble du procès, fouillant dans les témoignages et dans les ouvrages sur l'Holocauste publiés à l'époque (elle cite entre autre à plusieurs reprises La destruction des Juifs d'Europe de Raul Hilberg).  Son «erreur» si l'on peut parler ainsi, est d'ailleurs d'avoir tout mêlé, tout mis sur un même pied d'égalité.  L'ouvrage a causé un scandale à sa publication, parce qu'elle y parle ouvertement de la collaboration des élites juives dans le processus menant aux camps de la mort.  À la lecture, cette réaction se comprend: elle parle sans ménagement d'un sujet qui, même vingt ans après devait rester très sensible pour les gens qui l'ont vécu.  Se faire dire que les gens en qui on avait confiance nous ont envoyé à la mort a dû être terrible.  Surtout que l'angle adopté par l'auteur était celui de l'analyse des faits et qu'elle ne faisait donc pas porter tout le poids de la faute sur Eichmann.  Au contraire, elle refuse de le condamner sans le comprendre et surtout, pour les mauvaises raisons.  Pour elle, il est coupable certes, mais pas nécessairement des crimes qu'on lui reproche.  Son analyse des accusations et de l'angle juridique est sur ce point extrêmement instructive (quoique très technique).  Pays par pays, l'auteure reprend le déroulement des événements et le rôle qu'y a joué Eichmann.  Elle regarde les faits, les mets en lien avec la situation générale en Allemagne, avec l'idéologie et la propagande ambiante, mais également aussi les motivations personnelles d'Eichmann de bien se faire voir par ses supérieurs.  Elle démontre que loin d'être monolithique, l'Holocauste a été appliqué de façon très différente selon les pays et que le traitement de tous les juifs n'a lui-même pas été égal.  De plus, elle montre que l'Holocauste a été une question lourde au sens juridique du terme.  Que la nationalité a protégé de nombreuses vies que le fait d'être apatrides en a facilement condamné d'autres.  Une analyse brillante, sortant des sentiers battus, qui tente de comprendre, d'expliquer, comme des êtres aussi insignifiants qu'Eichmann, un petit fonctionnaire taciturne et obtus, a pu mené à la mise à mort programmée de millions d'individus pour lesquels, au fond, il n'éprouvait aucune haine.  L'auteure démontre au contraire qu'il avait des sympathies sionistes!  Un livre nécessaire, mais un livre avant tout intellectuel.  Pour le lire, il faut accepter de sortir des conceptions transmises depuis longtemps sur l'Holocauste, de sortir de l'angle émotionnel pour s'en tenir strictement aux faits et ainsi disséquer l'essence de ce qui a mené aux chambres à gaz, à l'élimination physique de tout un groupe désigné longtemps à l'avance.  À lire pour comprendre, comme l'auteure a essayé de faire elle-même en le rédigeant.

Je ne note pas ce livre, je crois qu'aucune note ne convient pour un tel ouvrage.

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