lundi 13 juin 2022

De la nécessité d'être curieux ou les bulles numériques version livres

 Salut,

On parle souvent de bulles numériques. C'est l'effet tunnel des réseaux sociaux. À force de ne se faire offrir que ce qui nous plaît, on s'enfonce dans des bulles de gens qui nous ressemblent, pensent comme nous, aiment les mêmes choses, etc.  On oublie qu'il existe ailleurs des gens qui pensent différemment ou encore on en vient à les considérer comme des «ennemis». Ça s'appliquer à tout, de la politique, aux religions, aux goûts musicaux aux... goûts en matière de livres. Ben oui, même là, ça s'applique aussi!

Évidemment, les réseaux sociaux ne sont pas responsables de tout. Il y a aussi le marketing qui entre en jeu. Et là-dessus, toutes les maisons d'édition du monde vous le diront, créer un lectorat fidèle qui les suis de publication en publication vaut de l'or. Pour ça, plusieurs sont prêtes à mettre le paquet: réseaux sociaux, bien sûr, mais aussi rencontres avec leurs auteurices, événements spéciaux, primeurs, etc. À cela s'ajoute l'effet des sites internet de librairie, qui multiplient les Vous avez aimé ceci, vous aimerez cela! qui tourne souvent autour d'un petit nombre de titres. Les bulles des forums de lecteurices ont un peu le même effet, surtout s'ils ne concernent qu'un genre: les lectures des membres les plus actifs ou les plus populaires seront davantage lues que les autres. Ce qui mène un certain nombre de lecteurice à s'enfermer dans une bulle de genre, d'éditeurs, voir de collection. 

Et on oublie. Qu'il existe autre chose ailleurs. On peut même penser que l'on connaît tout étant donné que l'on connaît une petite parcelle de l'univers littéraire sur le bout des doigts. Je ne le sais que trop: en librairie, il y avait des lecteurices qui se présentaient en disant qu'ils connaissaient tout de tel ou tel genre. Et j'arrivais toujours, toujours à les étonner. À leur sortir une nouveauté inconnue, un auteureurice dont ils n'avaient jamais entendu parler, un roman à la frontière de leur genre favori qui était passé sous le radar. Aujourd'hui, j'en serais sans doute incapable, du moins, pas avec autant de facilité. Parce que je ne suis plus libraire depuis plus d'une décennie, mais aussi parce que je ne suis plus autant l'actualité des livres qu'avant.

On peut avoir l'impression de tout connaître, mais c'est rarement le cas. Les plus grands spécialistes d'un genre littéraire ou les éditeurs le savent bien: leur connaissance de la totalité de ce qui paraît, ne serait-ce que dans une seule année, est limitée. À une époque, c'était possible de tout suivre, mais plus aujourd'hui. Il se publie des milliers de romans chaque année, même en se concentrant sur un genre précis, on ne peut pas tout lire et même parfois, être au courant de tout ce qui se publie.

De là l'idée de créer des bulles de lecteurices pour les fidéliser. Ce qui n'est pas une mauvaise idée en soi pour les éditeurs ou les sites internet, mais je ne suis pas sûre que cela soi une très bonne idée pour les lecteurices: on devient vite paresseux quand on nous sert tout le temps le même menu sur lequel on a presque pas à réfléchir. Et on oublie que pas plus loin que le bout de son nez, la découverte existe. Mais comment intéresser quelqu'un à quelque chose de différent, de nouveau, quand il est bien installé dans ses pantoufles littéraires?

Il y a une dizaine d'années, j'ai eu une vive discussion avec un lecteur qui dévalorisait le métier de libraire, disant que s'il avait besoin de suggestions de lecture, il n'avait qu'à demander à ses amis ou à son réseau. Je lui avais dit qu'il n'arriverait jamais à un aussi bon résultat qu'avec un libraire parce qu'un seul en connaissait plus que tous ses amis réunis. Fier comme un coq, il m'avait obstiné que non. Je pense parfois à lui quand je pense aux bulles numériques. On n'en parlait pas encore à l'époque, mais je ne peux m'empêcher de me demander aujourd'hui: et ce type aujourd'hui, dans quelle bulle il est? 

Mais surtout: est-il capable d'en sortir s'il pensait déjà à l'époque qu'une poignée de copains sur le web en savait plus qu'une personne passant ses journées en contact avec les livres?

@+ Mariane

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